⚠️ ⚠️ ⚠️ Attention ! Faute de forces bénévoles suffisantes, NosSénateurs.fr ne peut plus être maintenu à ce jour. Le site ne reflète donc plus la réalité de l'activité des sénateurs depuis plusieurs mois.

Intervention de Marie-Anne Frison-Roche

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 28 janvier 2015 : 1ère réunion
Pouvoirs de sanction des régulateurs financiers — Audition conjointe de M. Rémi Bouchez président de la commission des sanctions de l'autorité de contrôle prudentiel et de résolution Mme Marie-Anne Frison-roche professeur des universités à l'institut d'études politiques de paris M. Gérard Rameix président de l'autorité des marchés financiers M. Jean-Luc Sauron conseiller d'état délégué au droit européen du conseil d'état ainsi que Mme Corinne Bouchoux sénatrice ancienne rapporteure au nom de la commission pour le contrôle de l'application des lois

Marie-Anne Frison-Roche, professeur des universités à l'Institut d'études politiques de Paris :

Nous sommes aujourd'hui dans une impasse. Le système juridique français risque d'être pulvérisé tant par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), qui met en avant le principe de non bis in idem, que par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), qui interdit de punir une même personne deux fois pour un même fait.

Pour comprendre la situation actuelle, il faut revenir aux choses simples.

Premièrement, le droit de la répression est spécifique par rapport à toutes les autres branches du droit en ce qu'il est le seul qui se développe à travers un procès. Pour cette raison, la procédure et le droit des incriminations sont absolument indissociables. Une difficulté récurrente en matière de procédure révèle nécessairement un problème de fond concernant l'ensemble du système de la répression.

Deuxièmement, le droit financier doit être appréhendé comme le droit utile pour les marchés financiers. Il s'agit d'un droit instrumental au service de son propre objet : il vise à assurer le bon fonctionnement des marchés financiers.

Troisièmement, la répression financière n'est qu'un outil parmi d'autres pour satisfaire les exigences du bon fonctionnement des marchés financiers. De nombreux outils complémentaires peuvent être mobilisés : les normes, la répression, la soft law, les rapports avec l'Europe, la composition administrative, etc. Conceptuellement, ces outils n'appartiennent pas au même monde. Ainsi, la composition administrative est un contrat, alors que la sanction est une peine.

Deux domaines doivent donc être distingués. Dans le cas d'une punition, il s'agit de faire en sorte que les marchés financiers fonctionnement objectivement bien. Dans le cas d'une peine, qui relève du droit pénal classique, il s'agit de punir une intention dolosive socialement réprouvée, même si le dommage est minime.

La répression financière n'a donc rien à voir conceptuellement avec le droit pénal. Le juge pénal est légitime pour punir les intentions dolosives de certaines personnes qui portent atteinte aux valeurs fondamentales du corps social. A l'inverse, c'est le régulateur qui constitue l'entité légitime pour la sanction de comportements visant à perturber le bon fonctionnement objectif des marchés.

En conséquence, il est absolument inconcevable que le régulateur ne soit pas titulaire d'un pouvoir de sanction. Par l'exercice de ce pouvoir, il affirme son autorité sur les opérateurs, prévient les risques de capture et injecte de l'information dans le marché. Dans cette perspective, il existe une continuité entre la prévention et la sanction.

Pour réguler les marchés, le régulateur utilise son pouvoir de sanctions avec des charges de preuve légères. Les présomptions sont fortement mobilisées car les fautes reprochées sont objectives. Pour le régulateur, en matière probatoire, il est légitime que la fin justifie les moyens. Il est donc parfaitement normal que le régulateur soit beaucoup moins exigeant que le juge pénal.

Ces finalités très différentes doivent se retrouver dans les incriminations. Or, pour des raisons historiques, la construction du droit administratif répressif financier s'est faite par transposition du droit pénal financier. Il s'agit du principal vice du système français. Par exemple, pour ce qui est du manquement d'initié et du délit d'initié, la même incrimination est tout simplement dédoublée.

Ce choix du législateur constitue une grave faute que nous payons aujourd'hui. Petit à petit, les juges européens se réveillent et mettent en cause notre procédure. Or, les procédures ne vivent qu'à travers le procès. Avoir un problème de procédure, c'est donc avoir un problème de droit des incriminations. En conséquence, des ajustements relevant du « bricolage » ne suffiront pas pour donner satisfaction aux juges européens. Une réforme d'ensemble visant à différencier les incriminations est nécessaire. Il faut construire pour le juge pénal et pour le régulateur des infractions spécifiques correspondant conceptuellement aux fins distinctes du droit pénal classique et de la répression financière. C'est uniquement cette différenciation qui pourra permettre de justifier des procédures pouvant se cumuler.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion