⚠️ ⚠️ ⚠️ Attention ! Faute de forces bénévoles suffisantes, NosSénateurs.fr ne peut plus être maintenu à ce jour. Le site ne reflète donc plus la réalité de l'activité des sénateurs depuis plusieurs mois.

Intervention de Jean-Luc Sauron

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 28 janvier 2015 : 1ère réunion
Pouvoirs de sanction des régulateurs financiers — Audition conjointe de M. Rémi Bouchez président de la commission des sanctions de l'autorité de contrôle prudentiel et de résolution Mme Marie-Anne Frison-roche professeur des universités à l'institut d'études politiques de paris M. Gérard Rameix président de l'autorité des marchés financiers M. Jean-Luc Sauron conseiller d'état délégué au droit européen du conseil d'état ainsi que Mme Corinne Bouchoux sénatrice ancienne rapporteure au nom de la commission pour le contrôle de l'application des lois

Jean-Luc Sauron, conseiller d'État, délégué au droit européen du Conseil d'État :

Sur ce point, je ne partage pas du tout l'analyse dominante sur la couleur du ciel... Je pense qu'il est un peu moins gris que beaucoup veulent bien le dire.

C'est un principe ancien, né du droit pénal. Au niveau national, c'est simple puisque les trois cours suprêmes ont des avis identiques sur la question. Au niveau européen, en revanche, c'est plus compliqué puisque, d'un côté, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), avec l'arrêt Åkerberg Fransson du 26 février 2013 rendu en chambre plénière, reconnaît la possibilité de cumuler des sanctions administratives et pénales. La législation européenne prévoit aussi le cumul des deux types de sanctions. Un rapport de l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) a enfin montré que notre système n'est pas unique dans l'Union européenne. Les situations sont très hétérogènes. Certains pays ne font que du pénal, d'autres que de l'administratif, et nous sommes très loin d'être seuls sur le cumul.

La position de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) mérite d'être analysée plus en détail. D'abord, les deux grandes cours européennes divergent sur ce principe. Ce n'est pas banal d'autant que l'avis 2/13, rendu par la CJUE le 18 septembre 2014, déclare non conforme au droit primaire de l'Union européenne l'accord d'adhésion de l'Union à la Convention européenne des droits de l'homme. Vu les termes de l'avis, nous avons encore devant nous quelques belles années de discussion doctrinale.

L'arrêt Grande Stevens a été beaucoup commenté et a beaucoup inquiété car la réserve d'interprétation mise en avant par l'Italie puis par l'Autriche - et qui a été invalidée par la Cour - était rédigée dans des termes identiques à celle de la France.

Les trois cours suprêmes françaises ont la même position. Le 17 septembre 2014, la chambre criminelle de la Cour de cassation a saisi le Conseil constitutionnel de deux questions prioritaires de constitutionnalité sur ce point - dans le cadre de l'affaire EADS. Elle cite l'arrêt Grande Stevens. Nous verrons si les Sages de l'aile Montpensier du Palais Royal changeront de position. Pour ma part, je les inviterais - même si mon invite n'a pas grande importance - à ne pas changer de position puisqu'elle me paraît très saine sur le principe de la proportionnalité de la peine. Il n'y a pas d'interdiction du cumul mais celui-ci ne doit pas dépasser la sanction la plus forte qui peut être prononcée.

Entre la CEDH et la CJUE, il existe une grande différence sur la portée de leurs décisions. Quand la CJUE prend une décision, celle-ci s'applique à l'ensemble des législations nationales qui seraient identiques ou proches de celle qui a été condamnée. En revanche, pour les arrêts de la CEDH, seul l'État condamné est tenu par la décision. Les autres États peuvent courir le risque d'être condamné ou bien de ne pas l'être puisqu'il y a toujours un contexte factuel spécifique à la procédure.

Par exemple, voilà quelques années, nos voisins belges ont été condamnés parce que les arrêts de cours d'assise belges n'étaient pas motivés. Le barreau français s'est immédiatement mobilisé pour faire évoluer la législation française, ce qui advint finalement. Seulement, entretemps, la CEDH avait rendu deux arrêts concernant la non-motivation des jugements de cours d'assise en France. Dans une affaire, avec un contexte factuel précis, la France a été condamnée tandis que, dans l'autre affaire, avec un contexte factuel différent, la non-motivation a été jugée conforme à la Convention européenne des droits de l'homme.

On voit que les jugements de la CEDH sont toujours circonstanciels et dépendent d'un contexte juridique particulier.

Ainsi, on peut penser qu'avec une argumentation mieux construite et mieux débattue que ce que l'Italie a présenté dans l'affaire Grande Stevens, la France pourrait gagner devant la CEDH sur le même sujet. Il faut, je crois, que nous défendions un système auquel nous croyons.

Par ailleurs, je crois que nous sommes désormais dans un système circulaire entre les jurisprudences de cours suprêmes européennes. L'arrêt de la CEDH ne clôt pas le débat. À cet égard, je crois qu'il y a en Europe une forme de « marché de la sanction », ce qui pose la question des réseaux entre autorités de sanction, y compris l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF). Nous sommes dans un jeu ouvert entre autorités.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion