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Intervention de Mathieu Darnaud

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 13 décembre 2017 à 10h10
Polynésie française — Examen du rapport d'information

Photo de Mathieu DarnaudMathieu Darnaud, rapporteur :

Je veux à mon tour remercier Mme Lana Tetuanui. Depuis 2003, la Polynésie française est une collectivité d'outre-mer régie par l'article 74 de la Constitution. Son statut est fixé par loi organique de 2004.

La Polynésie peut édicter des règles relevant du domaine de loi, le respect de cette séparation étant garanti par le Conseil constitutionnel. Elle peut, par dérogation au principe d'égalité, accorder des droits particuliers à ses habitants en matière foncière ou d'accès à l'emploi. Enfin, elle exerce la compétence de droit commun sous réserve de celles qui incombent à l'État.

Il en résulte des interrogations sur le partage des compétences et des imbrications. Il en résulte également des « vides juridiques » : certaines règles édictées par l'État pour le reste du territoire national ne s'appliquent pas, alors même qu'aucune règle spécifique n'est prévue par les autorités locales. De même, la Polynésie française ne transpose pas nécessairement les réformes intervenues au niveau national dans son champ de compétences.

Les institutions de la Polynésie française sont en voie de stabilisation. Elles comprennent le président, le gouvernement, l'assemblée de la Polynésie française et le conseil économique, social et culturel. Le Parlement a modifié à plusieurs reprises la loi statutaire pour mettre fin à l'instabilité gouvernementale au cours de la décennie passée : onze gouvernements se sont en effet succédé de 2004 à 2011.

Depuis, la Polynésie française est sortie de ce cycle, ce qui était primordial pour son image et pour son attractivité pour les investisseurs français et étrangers.

De même, le mode d'élection de l'assemblée de la Polynésie française a été rationalisé en 2011, ce qui a porté ses fruits en termes de stabilité de la majorité malgré des déchirements politiques, notamment dans le bloc autonomiste. Les élections territoriales au printemps 2018 seront un « test de résistance » pour les institutions.

Le souhait du maintien de la Polynésie française dans la République prédomine parmi la population, le vote indépendantiste restant minoritaire. M. Édouard Fritch, président de la Polynésie française, a indiqué que son gouvernement portait une appréciation globalement positive sur le statut actuel d'autonomie et approuvait ses grands équilibres. Le statut actuel a démontré son efficience.

Le Parlement pourrait être appelé à modifier la loi organique après les élections territoriales de 2018. Certaines mesures sont approuvées par le ministère des outre-mer, compte tenu de leur caractère technique ; d'autres ne font pas encore consensus.

Il faut se poser la question des îles Marquises. Certains élus marquisiens souhaitent la création d'un statut particulier qui s'apparenterait à une forme de « départementalisation ». Nous sommes prudents sur cette question.

La communauté de communes des îles Marquises (CODIM) a été le premier établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre créé en Polynésie française. Selon la chambre territoriale des comptes de la Polynésie française, la CODIM s'apparente à une « coquille vide », car elle exerce peu de compétences.

S'agissant des communes, nous avons auditionné de nombreux maires pour voir quelles étaient leurs attentes. Les communes sont régies par le code général des collectivités territoriales (CGCT), qui est difficilement intelligible car il procède par renvois au droit commun sous réserve d'adaptations. Le CGCT a ainsi été rebaptisé localement : le « code général casse-tête » !

Les communes polynésiennes sont de création récente, puisqu'elles datent de 1971. Si elles connaissent, pour l'essentiel, les mêmes règles d'élection, d'organisation et de fonctionnement que leurs homologues métropolitaines, elles présentent néanmoins plusieurs particularités notables quant à leurs compétences et leurs finances. Jusqu'en 2007, elles étaient placées sous la tutelle administrative de l'État, avec un contrôle a priori de leurs décisions. Elles restent, compte tenu de la distance et de l'isolement des archipels, un échelon de proximité irremplaçable. Le « tavana » - le maire en tahitien - reste ainsi une figure respectée de la communauté.

Du fait de la création des communes et des contraintes géographiques, la Polynésie française a conservé le régime ancien des communes associées. Au total, il existe toujours 98 communes associées pour 30 des 48 communes que compte ce territoire. À Huahine, que nous avons visitée, il existe huit communes associées, disposant chacune de sa mairie, de son école et de sa cuisine centrale.

En 2016, le Parlement, sur l'initiative de Mme Lana Tetuanui, a modifié le mode de scrutin pour prendre en compte cette spécificité. Les personnes rencontrées ont approuvé très largement cette solution en vue des élections municipales de mars 2020.

La construction intercommunale est encore balbutiante. Il existe dix structures intercommunales, dont deux seulement sont à fiscalité propre. Plusieurs facteurs expliquent cette situation. Il n'existe pas d'obligation d'établir un schéma de coopération intercommunale, comme c'est le cas en métropole. Par ailleurs, les communes sont de création récente et il existe encore nombre de communes associées qui font apparaître l'échelon intercommunal comme un « troisième niveau » s'ajoutant aux deux précédents.

Au sein de l'agglomération constituée autour de Papeete, la construction intercommunale bute sur des oppositions politiques.

La constitution d'EPCI à fiscalité propre suppose des compétences et des recettes fiscales susceptibles d'être transférées par les communes. Or, sur ces deux aspects, les marges de manoeuvre des communes polynésiennes sont historiquement réduites.

Les compétences communales sont également réduites en Polynésie française. Leur périmètre demeure amoindri par rapport à celles des autres communes françaises, nombre d'entre elles étant exercées par la collectivité de la Polynésie française. La compétence de principe de la Polynésie française fait échec à la clause générale de compétence des communes polynésiennes. Les communes peuvent se voir déléguer par la Polynésie française certaines compétences limitativement prévues par le statut, mais avec l'accord préalable de l'assemblée de la Polynésie française.

Ainsi, les communes de Polynésie n'exercent pas certaines compétences emblématiques du bloc communal en métropole, comme l'urbanisme ou l'action sociale. Au demeurant, l'échéance du transfert des compétences impliquant la mise en place de services publics environnementaux - eau, assainissement, déchets - a été, de nouveau en 2015, repoussée par la loi de 2020 à 2025.

Les communes polynésiennes constituaient l'échelle pertinente pour conduire des projets et relancer avec dynamisme le développement des archipels là où le pays pouvait sembler être un niveau d'administration non seulement éloigné, mais aussi peu au fait des préoccupations locales. Vus de Papeete, certains projets, pourtant indispensables localement, peuvent sembler secondaires. L'intervention des administrations situées à Tahiti peut même, dans certains cas, paraître disproportionnée au regard de l'objet circonscrit du projet conduit.

Ces considérations plaident donc pour l'application du principe de subsidiarité et une forme de décentralisation interne du pays vers les communes. Il faut assurer la sécurité juridique d'actions actuellement menées par les communes : elles exercent en pratique une aide sociale à l'égard de la population locale la plus défavorisée sans que le pays lui ait transféré légalement cette compétence.

Le transfert de compétence vers les communes, ou la participation des communes sans transfert complet de la compétence, soulève la question de leur financement. Privées de toute capacité fiscale, les communes dépendent du financement de l'État et de la part prélevée sur le budget de la Polynésie française.

Dans les îles, les programmes de travaux de la commune reposent largement sur les aides de la Polynésie française.

En moyenne, 22 % seulement des recettes étaient issues des impôts et taxes en 2015. En dehors de l'archipel de la Société, cette proportion baisse même à moins de 2 % en raison d'une base fiscale très limitée ou de l'absence de mise en oeuvre du levier fiscal par les communes éloignées.

Certains élus municipaux appellent à une refondation de la fiscalité communale, insistant sur l'importance pour une commune de disposer de ressources propres afin de garantir son autonomie de gestion. Sa mise en oeuvre relève de la compétence de la Polynésie française, qui est dotée de l'autonomie fiscale.

Les communes peuvent s'appuyer sur une fonction publique communale de mieux en mieux formée. Le personnel communal est régi par un statut spécifique, déterminé par l'État.

La fonction publique communale en Polynésie française est toujours en développement : 52 % des agents communaux sont des fonctionnaires, les autres des agents contractuels, pour certains recrutés sous contrat de droit privé, traditionnellement requalifié en contrat de droit public par le juge lorsqu'il en est saisi.

Le centre de gestion et de formation assure, sous forme d'un « guichet unique », les fonctions d'un centre de gestion, d'un mini-centre national de la fonction publique territoriale et du conseil supérieur de la fonction publique locale.

Malgré la forte polyvalence des agents communaux, leur nombre est tendanciellement élevé en Polynésie française, ce qui pèse sur les budgets communaux. En moyenne, les communes polynésiennes comptent un agent communal pour 58 habitants. Il n'est pas rare que les communes, particulièrement dans les archipels, constituent le premier employeur.

Nous espérons que les informations collectées auprès du gouvernement de la Polynésie sur les évolutions institutionnelles puissent se traduire, après les élections de 2018, par des évolutions statutaires au travers d'un projet de loi organique qui serait présenté l'année prochaine par le Gouvernement.

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