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Intervention de Catherine Troendle

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 13 décembre 2017 à 10h10
Polynésie française — Examen du rapport d'information

Photo de Catherine TroendleCatherine Troendle, rapporteur :

Je voudrais évoquer la place de l'État en Polynésie française. Longtemps, il a été fortement implanté, au travers de la présence militaire. Vous vous rappelez des débats importants que nous avons eus début 2017 sur l'indemnisation des victimes des essais nucléaires. Celle-ci devrait être facilitée. Une commission, composée pour moitié de parlementaires, sera prochainement installée.

L'État exerce les missions régaliennes sur le territoire. La Polynésie française connaît une criminalité faible et une délinquance atypique. Les phénomènes de violence tels que les violences urbaines ou le crime organisé sont quasi absents, même si le territoire se situe sur les routes maritimes internationales du trafic de drogue. La délinquance reste contenue, avec de très bons taux d'élucidation des forces de l'ordre. En revanche, la Polynésie doit faire face à une hausse préoccupante des violences intrafamiliales. II existe une prise de conscience lente, mais réelle de ces difficultés.

La prévention de la délinquance a été facilitée par la création, en 2016, d'un conseil de prévention de la délinquance, qui ne dispose pas d'un financement aussi important qu'en métropole. S'agissant des forces de sécurité, elles reposent, côté État, sur la police nationale et la gendarmerie nationale. La police nationale est compétente pour les communes de Papeete et Pirae, le reste du territoire polynésien relevant de la compétence de la gendarmerie nationale. Là aussi, la distance et l'isolement sont des paramètres irréductibles. Certaines brigades de gendarmerie ne comptent que deux ou trois sous-officiers. L'escadron de gendarmerie mobile est dispersé dans l'archipel pour compléter l'effectif des unités.

Les militaires de la gendarmerie exercent également des missions atypiques dans les îles. À titre d'illustration, ils peuvent dresser certains actes notariés ou organiser l'examen de la capacité de conduire, un examen prévu par la règlementation locale.

J'en viens à un autre service relevant de l'État : l'administration pénitentiaire. Jusqu'à récemment, la Polynésie française s'illustrait par ce qui était sans doute l'une des pires prisons de la République : le centre pénitentiaire de Nuutania, à Faa'a. Nos collègues avaient poussé un cri d'alarme en 2008. Depuis plusieurs années, les 171 places théoriques permettaient en fait une occupation supérieure à 200 % dans des conditions déplorables. S'il n'y avait le professionnalisme des personnels et le caractère pacifique des Polynésiens, on aurait dû déplorer des émeutes depuis longtemps.

Pour remédier à cette situation, un nouvel établissement de 410 places a été construit à Papeari, sur l'île de Tahiti : le bâtiment a été inauguré en mars 2017. Un concours exceptionnel de recrutement de fonctionnaires locaux a même été organisé pour permettre son ouverture. Cet établissement, qui a coûté 80 millions d'euros, répond aux standards modernes, avec notamment une unité médicalisée ou de vie familiale. Elle ne doit pas masquer cependant les difficultés liées à son implantation à plus d'une heure du palais de justice et de l'aéroport. L'ancienne implantation de Faa'a Nuutania reste donc nécessaire, et l'établissement connaîtra heureusement une rénovation.

Je souhaite vous faire part d'un regret. La nouvelle prison, qui ne sera pendant un certain temps que partiellement remplie, ne compte aucune place pour les femmes, alors qu'une dizaine sont incarcérées dans l'ancienne prison dans des conditions indignes et devront y rester. Je ne me résoudrai pas à cette injustice et je continuerai mon combat pour qu'elles ne restent pas emprisonnées dans l'ancien site.

Je conclurai mon propos avec la justice en Polynésie française.

Il existe un tribunal administratif et une chambre territoriale des comptes. Ces juridictions sont désormais bien intégrées dans le paysage institutionnel et fonctionnent plutôt bien.

Au niveau judiciaire, la Polynésie française forme le ressort d'une cour d'appel. Au premier degré, il existe plusieurs juridictions particulières : un tribunal de première instance avec deux sections détachées, un tribunal mixte de commerce et un tribunal du travail qui sont tous deux échevinés.

Les juges tiennent également des audiences foraines. La justice foraine se résume à un magistrat accompagné d'un greffier. La saisine de ce juge est essentiellement orale avec parfois un interprète. Dans le cadre de sa « tournée », il est l'incarnation de l'État français dans des territoires reculés de la Polynésie française. Compte tenu des délais et du rythme des transports, cette tournée nécessite parfois plusieurs jours de présence dans les îles. Le coût de ces déplacements pèse sur le budget des juridictions puisqu'il représente près d'un cinquième de leurs dépenses annuelles. Toutefois, les montants engagés ne couvrent pas les frais réellement exposés, ce qui est tout de même problématique : pour reprendre une expression commune, les magistrats et fonctionnaires « en sont au final de leur poche ».

Les personnels de greffe sont également fortement sollicités en Polynésie française. Les magistrats, greffiers et fonctionnaires travaillent dans des locaux exigus et dispersés dans la ville de Papeete, faute d'une véritable cité judiciaire. Ils n'ont pas accès au logiciel Cassiopée. En matière foncière, il n'existe pas de fichier immobilier réel et le cadastre est seulement en voie de finalisation. Enfin, le casier judiciaire pour les personnes nées en Polynésie française est encore tenu sur support papier.

Pourtant, l'activité judiciaire est soutenue, principalement en matière foncière. Comme plusieurs personnes nous l'ont indiqué, « aller au tribunal est un sport local ». Pour y faire face, des magistrats et fonctionnaires supplémentaires ont été affectés dans le cadre d'un contrat d'objectif et de moyens conclu en octobre 2015. Puis le tribunal foncier compétent a été enfin mis en place, après de multiples interventions législatives, pour reprendre et résorber le stock impressionnant d'affaires qui ne cesse d'ailleurs de croître depuis l'annonce de ce tribunal.

Rendre la justice en Polynésie française est compliqué par le contexte insulaire. Toute affaire politico-médiatique donne lieu à des échanges vifs par voie de presse. La longévité de magistrats judiciaires dans leur poste, au-delà d'une décennie dans certains cas, est parfois mise en cause. Il faut cependant admettre que cette situation n'est pas propre à la Polynésie française, mais se retrouve en métropole. Si une solution devait être trouvée, elle devrait être générale. À ce titre, la mise en place, sur l'ensemble du territoire national, de durées minimale et maximale d'affectation dans une même juridiction pour tous les magistrats devrait être envisagée. Le Sénat l'a décidé le 24 octobre 2017, en adoptant la proposition de loi organique pour le redressement de la justice.

En outre, compte tenu de la sensibilité de certaines affaires sur un territoire aussi restreint, le dépaysement devrait être activement encouragé afin d'apporter aux débats judiciaires la sérénité dont ils ont besoin, en Polynésie française comme ailleurs.

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