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Intervention de Jean-Jacques Lozach

Mission d'information Fonctionnement fédérations sportives — Réunion du 15 juin 2020 : 1ère réunion
Audition de M. André Barbé président de section à la 3e chambre de la cour des comptes sur le rapport de la cour des comptes : l'état et le mouvement sportif : mieux garantir l'intérêt général 2018 en téléconférence

Photo de Jean-Jacques LozachJean-Jacques Lozach, président :

La Cour des comptes s'est intéressée aux fédérations sportives avec une insertion au rapport public annuel de 2018, en livrant un constat assez sévère à bien des égards et en formulant des propositions très intéressantes. Dans cette étude, vous indiquez ainsi que les conventions d'objectifs et de performance « sont standardisées, toutes fondées sur les mêmes principes et objectifs certes peu contestables mais très généraux, alors que les enjeux de développement sont très différents selon la taille et le nombre de pratiquants, l'aisance financière, les besoins en équipements et la nature des sports pratiqués ».

L'insertion relevait toutefois une amélioration de la situation financière des fédérations sportives au cours des dix dernières années. Est-ce une affirmation que vous confirmeriez aujourd'hui ?

M. André Barbé, président de section à la 3e chambre de la Cour des comptes. - Au-delà de l'insertion que vous avez citée, la Cour des comptes effectue également en moyenne deux contrôles ponctuels de fédérations sportives chaque année, ce qui nous donne l'occasion d'envisager l'économie du sport concerné.

Je souhaiterais insister sur deux aspects : la structure financière et la gouvernance des fédérations sportives.

Malgré la grande diversité des fédérations sportives en France, qui sont plus nombreuses qu'ailleurs, nous identifions trois éléments clés. Le premier tient à la capacité des fédérations à disposer de ressources propres stables fondées sur la pratique sportive amateur. Dans la mesure où les fédérations sportives sont des associations, elles devraient normalement vivre des contributions de leurs adhérents, à savoir la licence, or la réalité est plus complexe. La deuxième caractéristique tient à la capacité des fédérations à retirer des ressources économiques de la pratique de leur sport. Le troisième élément est plus structurel : il tient à la capacité d'une fédération sportive à maîtriser et à bénéficier des retombées des grandes manifestations et compétitions nationales, voire internationales. Ce sont ces évènements qui génèrent des revenus importants de billetterie, de partenariat et de droits d'image.

La capacité des fédérations sportives à activer ces trois types de ressources est très variable. Ainsi, pour les licences, certaines fédérations sportives ayant beaucoup de pratiquants ne parviennent pas à transformer ces pratiquants en licenciés. Deux exemples : la fédération française d'équitation qui a 600 000 licenciés pour 700 000 pratiquants non licenciés, et la fédération française d'athlétisme, qui ne réussit pas à tirer des recettes des milliers de pratiquants de la course à pied. Au contraire, d'autres fédérations y parviennent : ainsi, la fédération française de voile exige qu'un pratiquant s'acquitte d'une licence pour pratiquer en club.

Pour certaines fédérations sportives, comme les fédérations françaises de football et de rugby, les ressources qu'elles retirent de leurs licenciés représentent une part infime de leurs ressources propres. En moyenne, les licences correspondent à 20 % des ressources des fédérations sportives en tendance baissière. La capacité à extraire des recettes tirées des licences est liée aussi à la mobilisation des structures territoriales : certaines fédérations sportives ont du mal à faire en sorte que leurs clubs, ligues, districts locaux fassent s'acquitter les pratiquants de la part fédérale des licences. C'est le cas de la fédération française de natation.

C'est pourtant un enjeu déterminant, car la licence assure un autofinancement sûr et stable d'une fédération, garantissant sa pérennité. À cet égard, la crise sanitaire a souligné la fragilité résultant d'une dépendance trop forte des finances fédérales aux manifestations nationales ou internationales.

Face à ce constat, quelles peuvent être les réponses ? Il est possible de jouer sur une pratique commerciale plus dynamique. Ainsi, dans le rapport récent que la Cour des comptes a consacré à la fédération française d'équitation, qui est confrontée à une érosion tendancielle du nombre de licenciés, nous avons recommandé de moduler leur politique commerciale en recourant à des licences temporaires ou à des licences pour jeunes cavaliers par exemple.

Ensuite, il est nécessaire que les fédérations sportives maîtrisent davantage les conditions d'organisation des compétitions pour que les pratiquants soient incités à prendre une licence pour y participer. C'est un des problèmes de la fédération française d'athlétisme : les marathons sont essentiellement organisés par des personnes privées, sans que la fédération n'ait réellement la maîtrise de ces évènements. C'est également vrai en matière d'équitation : certaines compétitions privées sont plus intéressantes financièrement pour les participants. La difficulté est de nature juridique : les fédérations sportives reçoivent une délégation de service public pour organiser les compétitions nationales et les équipes nationales. Elles ne disposent donc pas du monopole de l'organisation de toutes les compétitions concernant leur sport.

Il faut envisager d'autres recettes que toutes les fédérations sportives ne peuvent pas capter : il s'agit des recettes générées par les grandes manifestations sportives nationales ou internationales. Ces manifestations sont au coeur de la délégation confiée par l'État. Certaines fédérations sportives vont dépendre pour la quasi-totalité de leurs recettes de ces grandes manifestations - à travers les recettes de billetterie, de sponsoring, de parrainage, de droits d'image. Tels sont le cas des fédérations françaises de football et de rugby.

Il y a plusieurs limites à ce modèle.

La première, c'est la volatilité de ces recettes, comme en témoigne la crise du Covid. Il peut en outre y avoir de la concurrence entre les manifestations fédérales et celles qui ne le sont pas : il peut y avoir une attirance pour les compétitions qui ne sont pas fédérales.

Il y a une deuxième limite : un certain nombre de manifestations sportives demandent des équipements spécifiques, souvent de grande envergure et coûteux : compétitions de football, de rugby, de tennis. Or ces infrastructures sont dans les mains des collectivités publiques et pour leur exploitation de concessionnaires. Un certain nombre de dirigeants fédéraux sont convaincus qu'il faut qu'ils maitrisent ces équipements qui leur permettent d'organiser le calendrier des compétitions - pour ne pas être en conflit avec d'autres événements (culturels par exemple) - et les recettes dérivées (sponsoring, naming, loges VIP, etc.). Ce qui a expliqué le souhait de la fédération de rugby de créer son propre stade de rugby, ce qui motive aujourd'hui les projets des fédérations d'équitation ou de judo.

Or ces investissements exigent des capacités d'autofinancement importantes. Actuellement s'il existe une aisance financière de certaines fédérations, il ne faut pas se méprendre, c'est une aisance de trésorerie et non la possibilité, pour celles-ci, de porter de grands équipements. Quand la manifestation est très bien installée et que l'équipement existe depuis longtemps et est amorti (exemple : la fédération de tennis qui est propriétaire du stade de Roland Garros), il y a peu de difficultés. Mais quand les fédérations ne sont pas propriétaires de tels lieux et qu'elles veulent en créer, elles en ont rarement les moyens. C'est ce qu'il s'est passé pour la fédération française de rugby : l'investissement nécessaire pour créer un grand stade s'élevait à 600 millions d'euros tandis que la fédération ne pouvait mettre en autofinancement que 50 millions d'euros. Le modèle financier, fondé sur un endettement massif, était intenable.

Je vais faire un détour par deux points très importants.

Lors de l'euro 2016, que la Cour des comptes a contrôlé, il avait été prévu que les clubs de football puissent investir dans les stades pour devenir maîtres de leurs stades. Mais cela n'a été fait que dans un cas. Je citerai un autre exemple : le Stade de France. Il y a de nombreux contentieux entre le concessionnaire du stade et les deux grandes fédérations qui l'occupent - la fédération française de football et la fédération française de rugby - sur le partage du calendrier et des recettes du stade. Il y a eu un récent référé de la Cour des comptes qui a recommandé que l'État se désengage et qu'il y ait deux gestionnaires principaux, en l'occurrence les fédérations françaises de football et de rugby.

Je voudrais finir les aspects financiers sur l'État et les collectivités territoriales.

Le budget des fédérations s'élève à 1,5 milliard d'euros. En 2019, les subventions de l'État versées aux fédérations s'élèvent à 82 millions d'euros dont 16 millions d'euros pour le sport pour tous et 55 millions d'euros pour le haut niveau, les 11 M€ restants allant à des actions de lutte contre les incivilités, de soutien à l'emploi et à la formation. L'État n'est donc qu'un financeur très minoritaire. La part de ces subventions dans le budget de certaines fédérations est très faible : elles représentent 0,4 % des recettes de la fédération de tennis, 0,5 % de celles de la fédération de football et 1 % de celles de la fédération de rugby. Peut-on encore penser qu'il y a un effet levier de l'action de l'État ? Ce constat nous a conduits à regarder du côté des collectivités territoriales qui participent beaucoup plus largement au financement et à dire qu'en fin de compte le « sport pour tous » devrait relever des collectivités territoriales tandis que l'État ne devrait s'intéresser qu'au haut niveau. Il n'est peut-être plus nécessaire d'avoir des conventions d'objectifs et de performance.

Ce sujet m'amène au thème de la gouvernance.

La gouvernance associative est lourde. Il y a souvent une comitologie très importante dans ces fédérations. Or être membre de ces comités donne un statut de cadre dirigeant fédéral. Par ailleurs, il y a une animation de la vie associative qui est parfois critiquable. Les petits clubs, par rapport aux grands, sont-ils bien représentés ? Est-ce que les règles qui s'appliquent au conseil d'administration sont bien respectées ? En général, la Cour des comptes a toujours des remarques à faire sur ces sujets.

Il y a, enfin, le sujet très sensible de la durée des mandats. On trouve en réalité des situations très diverses : les successions, parfois nombreuses, du même mandat ; la succession, par la même personne, dans des mandats différents ; la succession de fonctions de fonctionnaire et d'élu (trésorier, directeur général, président). Il y a également des situations qui ne sont pas saines parce que, pendant plus de vingt ans, les fonctions financières sont exercées par un groupe de mêmes personnes (trésorier, directeur financier, commissaire aux comptes).

La Cour des comptes a fait un certain nombre de recommandations à ce sujet mais elle se heurte à la liberté associative. Une fois que la loi a fixé de grands cadres, il est très difficile d'être prescriptif. Il faut, dans la tension entre l'organisation de la gouvernance et la liberté associative, trouver un équilibre. Notre sentiment est toutefois que la loi pourrait prévoir plus de choses : elle pourrait prévoir une durée de mandats successifs limitée ou encore un nombre de mandats successifs limité. N'oublions pas que certaines fédérations ont eu un président pendant 5 ou 6 mandats successifs.

Ces observations conduisent à faire beaucoup de remarques sur la gouvernance financière. Quand les fédérations se trouvent dans cette situation-là, il y a plus de risques et il y a moins de repères. Dans la plupart de nos contrôles, nous notons l'absence de règlement financier ; les règles de gouvernance financière ne sont pas écrites. Il n'y a souvent pas non plus de règles sur les marchés. La Cour des comptes préconise donc de formaliser - de manière proportionnée - un règlement financier et de se rapprocher le plus possible du code des marchés.

Les fédérations ont refusé dans un premier temps, en remarquant que l'État leur apportait une part faible de leurs ressources et que cela ne justifiait pas d'appliquer le code des marchés. Une question similaire concernant la légitimité des contrôles de la Cour des comptes aurait pu également être soulevée, c'est pour cela que la Cour a pris soin de faire des avis de compétences qui ont rappelé que les fédérations étaient soumises à un contrôle direct de l'État, du fait de la délégation qu'elles recevaient de l'État. On peut rappeler également que les fédérations sont soumises au contrôle des inspections de l'État. De ce contrôle direct, ressort le principe selon lequel les fédérations peuvent être considérées comme des pouvoirs adjudicataires.

Un autre sujet concerne la gouvernance territoriale. Beaucoup de fédérations ne savent toujours pas ce qui se passe dans leur réseau. Les modalités de désignation des présidents de fédérations par des grands électeurs et non par des adhérents ne facilitent pas non plus le contrôle des structures pilotées par ces mêmes grands électeurs. Certaines fédérations versent des sommes à leur réseau qui ne font pas l'objet de retour quant à leur utilisation. A contrario, certaines structures ne font pas remonter la part fédérale sur leurs ressources.

Certaines fédérations ont instauré au contraire des modèles plus intégrés : la fédération française de football (FFF) a créé une obligation statutaire de remontée des comptes des ligues, des districts et des clubs. Notons cependant qu'il n'est pas possible d'établir des comptes consolidés car les structures locales ont statut associatif qui leur assure une indépendance. Il est toutefois possible de recourir à des comptes annexes pour rendre compte de l'utilisation des fonds. Les fédérations ont besoin d'avoir une vue d'ensemble du fonctionnement financier de leur réseau.

Quant aux COP signés avec l'État, ces conventions s'apparentent davantage à des catalogues d'intention qu'à des instruments de pilotage conjoint.

Aussi il devrait être possible de s'appuyer sur la délégation accordée par l'État pour exiger l'élaboration de règles déontologiques et éthiques ainsi que des évolutions concernant la gouvernance et l'organisation financière. Quand l'État accorde une délégation aux fédérations de football et de rugby pour organiser les championnats, et que celles-ci subdélèguent leurs compétences à des ligues, on peut estimer que les recettes de ces compétitions qui se chiffrent à plusieurs centaines de millions d'euros découlent de la délégation accordée par l'État.

Enfin, dans l'attente d'une éventuelle réforme, les conseillers techniques sportifs (CTS) continuent d'être gérés par l'État : ils sont éparpillés, alloués aux fédérations sur des bases historiques. Les fédérations les plus riches continuent d'être dotées de CTS, alors qu'elles auraient les moyens de se payer des cadres techniques. C'est une catégorie que l'on contrôle assez mal par ailleurs puisqu'elle est placée sous une double autorité, fonctionnelle de la fédération et hiérarchique de l'État à travers le directeur régional des sports. La Cour des comptes estime que les CTS devraient être ciblés sur le sport de haut niveau et alloués aux petites fédérations sportives qui ont peu de moyens.

Je vous remercie, monsieur le conseiller, pour cette présentation très complète.

Je voudrais vous interroger sur les recettes des fédérations et plus particulièrement sur le recouvrement de la taxe dite « Buffet » basée sur les droits de retransmission télévisuelle et qui concerne surtout le football. Cette taxe n'est pas perçue dans le cadre de la retransmission de certains événements sportifs internationaux, comme ceux de la FIFA ou de l'UEFA, y compris lorsqu'ils sont organisés en France. Un calcul a établi la perte enregistrée à 20 millions d'euros. Quelle est votre appréciation sur cette situation ?

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