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Intervention de René Troccaz

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 17 juin 2020 à 9h00
Audition de M. René Troccaz consul général à jérusalem

René Troccaz, consul général à Jérusalem :

Merci, je tâcherai de répondre à ces questions par thématiques.

Un premier groupe d'interrogations porte sur Jérusalem, son statut et la réalité sur le terrain depuis la décision de l'administration Trump de transférer l'ambassade américaine. Je précise que le Brésil en a acté le principe, mais cette décision n'est toujours pas effective.

Je ferai deux constats à ce stade : la décision de l'administration américaine est, pour l'heure, plutôt une exception que l'initiation d'un grand mouvement. Un certain nombre de pays ont fait part de velléités et suivront peut-être ce mouvement, mais à ce jour, les Américains sont les seuls à avoir transféré leur ambassade à Jérusalem. Il n'y a donc pas - pour l'heure - de mouvement collectif pour rejoindre la démarche américaine.

Les Démocrates américains ont annoncé qu'ils ne changeraient pas cet état de fait, mais qu'ils envisageaient de rouvrir un Consulat Général à Jérusalem, en charge des affaires palestiniennes en cas d'élection de M. Biden. La démarche américaine demeure donc pour l'instant assez isolée mais elle constitue une brèche dans le dispositif.

M. Cazabonne m'a interrogé sur le sentiment des Français de Jérusalem. Il s'agit majoritairement ici d'une communauté franco-israélienne d'une grande variété, qui montre un légitime attachement à Israël comme à la France. Nous parlons de près de 45 000 ressortissants. Ces compatriotes comprennent la position des autorités françaises, certains peuvent parfois la contester, comme tous les citoyens peuvent le faire.

Plusieurs questions ont été posées sur le plan Trump, notamment sur la viabilité d'un État palestinien tel qu'il serait dessiné (pas encore précisément) par ce plan. Nous voyons mal comment un État, qui en réalité serait un chapelet d'agglomérations enclavées, pourrait avoir une véritable viabilité. Nous nous retrouverions avec des poches de territoire, aux densités démographiques particulièrement élevées, potentiellement sans accès à la terre agricole et pour lesquelles se poserait notamment le problème de l'eau, déjà évoqué. Une grande partie des réserves d'eau de Cisjordanie se trouve dans la vallée du Jourdain. Encore une fois, nous ne pouvons pas être catégoriques. A ce stade, tout reste hypothétique. Mais la viabilité d'un État palestinien, tel que conçu par le Plan Trump, paraît très incertaine.

Sur la diplomatie française, vous comprendrez que je n'en dise pas plus que mon ministre. En revanche, je ne pense pas que nous puissions affirmer que la diplomatie française est inactive, bien au contraire. J'en veux pour indice que nous sommes parfois critiqués par certains qui contestent à la France son rôle et son action : action à Paris bien sûr, aux Nations-Unies, au sein de l'Union européenne, et sur le terrain.

Un certain nombre de positions extrêmement claires ont été prises par nos autorités. Nous menons une action diplomatique classique, et non publique, auprès de nos différents partenaires : j'ai évoqué la Jordanie, l'Égypte, les pays arabes du Golfe et Israël bien sûr. Au sein de l'Union européenne, nous sommes parmi les pays les plus sensibles à cette question. Nous affirmons avec fermeté et clarté ces positions. Nous le faisons dans un esprit d'estime vis-à-vis d'Israël qui est un pays ami de la France.

Dans ce cadre-là, plusieurs d'entre vous ont évoqué la récente prise de position de l'ambassadeur des Emirats Arabes Unis à Washington et son impact potentiel. Je pense effectivement qu'elle a eu un impact fort. La préoccupation israélienne, ainsi que je la comprends, concerne la sécurité, à la fois sur la proximité immédiate (Palestine-Israël), mais aussi au niveau régional avec les menaces que vous connaissez bien.

Je ne veux pas parler à la place de mon collègue Eric Danon à Tel Aviv, mais je comprends que le rapprochement avec un certain nombre de pays arabes du Golfe constitue une priorité stratégique pour Israël. Plusieurs pays, comme les Emirats Arabes Unis, ont clairement posé l'annexion comme ligne rouge à ne pas franchir. Ces avertissements sont manifestement pris en considération par les dirigeants israéliens.

La coalition actuellement au pouvoir en Israël, constituée du Likoud et du parti « Bleu-Blanc » de M. Gantz, montre tout de même des nuances et des différences internes. Le parti de M. Gantz considère que l'annexion devrait se faire dans une logique de coordination régionale, sans remettre en cause les intérêts stratégiques d'Israël. Or nous voyons bien (sans que le Consulat Général soit directement impliqué dans le suivi de ces questions) qu'il y a peut-être une hésitation de ce côté-là. La France est active au niveau diplomatique et a plutôt un rôle moteur au sein de l'Union européenne qu'un rôle suiviste.

J'aimerais également faire un point sur la présence française dans la circonscription du consulat général à Jérusalem, quant à notre réseau culturel, notre action éducative et nos missions de coopération. Il existe un lycée français à Ramallah. Ce lycée est un projet présidentiel lancé par le Président Hollande, poursuivi par l'actuel Président de la République et le Président Abbas. Il s'agit d'une belle initiative de coopération, bien qu'encore fragile. Nos centres culturels à Jérusalem, à Ramallah et dans la bande de Gaza nous donnent un crédit tout à fait exceptionnel, en plus d'être des points d'observation privilégiés.

Le Président de la République a annoncé lors de sa visite à Jérusalem la constitution d'un fonds de crédits publics destiné à aider et soutenir les écoles confessionnelles chrétiennes au Moyen Orient. Ces écoles sont au plus près des populations, accueillant une majorité d'élèves musulmans, car elles sont certes confessionnelles, mais ouvertes à tous. Ces écoles enseignent les valeurs de la France, de la République, de tolérance : elles constituent en ce sens un vecteur tout à fait essentiel. Historiquement, depuis plus de deux siècles, elles sont le vecteur du français au Moyen-Orient. Sur l'ensemble de cette région, elles accueillent plus de 400 000 élèves : Egypte, Liban, Syrie, etc. Ce réseau historique est un atout précieux.

Quant à la position française, je pense sincèrement que nous ne pouvons pas utiliser le qualificatif de « timide » pour la définir. Lorsque j'analyse les critiques dont nous sommes l'objet ici, j'ai plutôt le sentiment inverse.

Madame la Sénatrice Prunaud a affirmé qu'elle ne croyait plus à une solution à un État. Je ne fais pas de pronostics à cet égard. Mais la question de la viabilité d'un État palestinien tel que découpé par le Plan Trump, à laquelle j'ai répondu, se trouverait posée. C'est aux Palestiniens et aux Israéliens de voir s'il est possible et souhaitable de parvenir à une solution à un État. Pour l'instant, ce n'est pas la position de la France. Le point sur lequel j'aimerais insister est que les Palestiniens, soit quasiment la moitié de la population de cet ensemble humain, n'accepteront pas d'être marginalisés : ce sont bien souvent des gens formés, ambitieux et qui ont le souhait de vivre comme des citoyens d'un État moderne.

J'ai par exemple rencontré des hommes d'affaires dans les territoires palestiniens. Il s'agit de jeunes importateurs qui m'ont dit qu'ils se détournaient de la question politique et qu'ils étaient prêts à envisager un autre scénario, sans d'ailleurs préciser lequel, tout en insistant sur leur volonté de disposer des mêmes chances et des mêmes droits que leurs partenaires commerciaux israéliens avec lesquels ils sont en rapport d'affaires. Autre illustration : la crise du coronavirus a révélé que le système de santé israélien repose pour beaucoup sur les soignants arabes israéliens ou palestiniens qui viennent des territoires palestiniens ; ce sont les experts israéliens qui l'affirment. Voilà une réalité de coopération effective qui se déroule bien et qui est encourageante.

Si nous sortions de la solution à deux États (ce qui n'est pas la position de la France encore une fois), nous voyons mal comment les Palestiniens accepteraient un statut autre que l'égalité de droit.

Ceci amène à évoquer l'épineuse question de la nationalité des personnes se trouvant dans la Vallée du Jourdain. En cas d'annexion, seront-elles des citoyens israéliens ? Je n'en suis pas certain. Resteront-elles sur place ? Je ne sais pas, mais il semble difficile de leur imposer de partir. Auront-elles un statut analogue à celui des résidents de Jérusalem-Est (soit avoir certains attributs de la citoyenneté, mais pas le droit de vote pour les élections nationales, seulement le droit de vote pour les élections municipales) ? Honnêtement, nous n'avons pas la réponse. Je ne sais pas si à ce stade quelqu'un l'a. Pour l'instant, rien n'a filtré dans les informations dont nous disposons.

S'agissant de la CPI, il est certain que l'État d'Israël est préoccupé diplomatiquement. Sur ce point, mon collègue Eric Danon saurait mieux vous répondre. Cependant, il s'agit bien d'un sujet majeur, j'en veux pour preuve la mobilisation diplomatique d'Israël contre la démarche en cours à la CPI.

J'ai probablement oublié quelques points sur lesquels je suis prêt à revenir, mais voici une première ébauche de mes réponses à vos différentes questions, Mesdames et Messieurs les Sénateurs.

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