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Intervention de Jean-Paul Roland

Mission commune d'information Effets des mesures en matière de confinement — Réunion du 18 mars 2021 : 1ère réunion
Audition de représentants de festivals

Jean-Paul Roland, directeur du festival des Eurockéennes de Belfort :

Les Eurockéennes de Belfort sont une association de type « loi de 1901 ». Nous avons été créés à l'initiative du département en 1989. Nos statuts nous assignent deux objectifs : d'une part, la promotion des musiques actuelles en région Bourgogne - Franche-Comté, d'autre part, l'organisation d'actions en lien avec la jeunesse. En plus de la fête des Eurockéennes en tant que telle, nous avons un label, « Eurocks solidaires », qui soutient des actions de chantiers jeunes ou d'insertion par l'emploi, par le biais notamment de partenariats avec les écoles de la deuxième chance.

Notre budget annuel est de 9,5 millions d'euros, dont 64 % des recettes proviennent des festivaliers, 6 % de subventions locales - une ressource en baisse - et 25 % du mécénat. Notre poste de dépenses le plus important est l'artistique, pour 40 %, tandis que les dépenses techniques représentent environ 25 %. Le festival embauche chaque année plus de 600 saisonniers, en majorité des jeunes de moins de vingt-cinq ans. Nous n'avons pas recours aux bénévoles. Nous avons fait le choix d'offrir des petits boulots d'été permettant aux jeunes de découvrir le secteur.

Dès qu'a été annoncée l'interdiction des grands rassemblements au début du mois de mars 2020, nous nous sommes doutés que nous serions parmi les derniers à pouvoir reprendre notre activité. Nous avons pu nous appuyer sur la décision gouvernementale d'interdiction des grands festivals de l'été pour interrompre les contrats en cours et bénéficier du cas de force majeure. Nous avons quand même accumulé un fort déficit, de l'ordre de 1,4 million d'euros, qui résultait des dépenses que nous avions déjà engagées et de nos frais de structure. Nous avons pu sauver la structure grâce au maintien des subventions locales, qui ont permis de combler 50 % du déficit, au maintien d'une partie des recettes de mécénat, à hauteur de 25 % du niveau de notre déficit, et aux mesures de soutien transversales et sectorielles mises en place par l'État (activité partielle, crédits déconcentrés, fonds géré par le Centre national de la musique).

Dès l'accalmie de septembre, nous nous sommes remis au travail et avons proposé aux artistes qui étaient initialement programmés dans le cadre de l'édition 2020 de se produire à l'occasion de l'édition 2021. Cette démarche nous paraissait relever d'un « gentlemen's agreement » et elle était de nature à réduire le risque contentieux, dans la mesure où nous n'avions pas été en mesure de rémunérer ces artistes. Nous avons annoncé dès le mois de décembre la programmation de l'édition 2021. Notre optimisme n'était alors pas incongru, puisque jamais en trente ans, nous n'avions vendu des billets à un rythme aussi soutenu - 40 000 en très peu de temps. Nous y voyons la preuve du besoin des jeunes festivaliers de se projeter vers des horizons plus radieux.

Lorsque nous avons appris en février le cadre fixé par le Gouvernement pour l'organisation des festivals, nous avons souhaité consulter les festivaliers pour savoir ce qu'ils en pensaient. Notre sondage a reçu 10 000 réponses dans la première journée et 21 000 en sept jours. Ses résultats révèlent que si notre public accepte majoritairement les règles sanitaires (le port du masque, l'obligation d'un test préalable négatif...), il refuse en revanche un festival en mode dégradé (jauge assis, distanciation, absence de buvette et de restauration). Le Gouvernement parle, pour sa part, de modèle résilient. Il s'agit pourtant bien d'une version dégradée tant ce cadre porte atteinte à l'esprit même de notre festival en empêchant toute interaction sociale. Les études sociologiques conduites par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) sur le public de notre festival depuis dix ans ont montré que plus de la moitié des festivaliers viennent entre amis et que le camping constitue le centre de gravité de l'expérience que nous leur offrons. Priver notre public de la possibilité de faire la fête entre amis dénature véritablement l'esprit de notre festival. Les résultats de ce sondage feront partie des éléments dont nous tiendrons compte au moment de rendre notre décision de maintenir ou d'annuler l'édition de cette année.

Lors de sa dernière réunion la semaine dernière, notre conseil d'administration a estimé que toutes les possibilités restaient aujourd'hui sur la table. Néanmoins, il a clairement exprimé le souhait que l'on ne sacrifie pas l'esprit de notre festival sur l'autel de la pandémie. S'il devait y avoir une version dégradée, ce serait en lien avec le territoire, dans une optique d'animation territoriale pour la population locale, sachant que les festivaliers extra-régionaux représentent habituellement 40 % de notre public. Ce serait alors davantage d'un festival à regarder, même si nous avons beaucoup de mal avec l'idée de spectateurs transformés en « playmobils » assis sur leur siège sans pouvoir s'exprimer ni bouger.

Il nous faudrait cependant avoir des garanties pour atteindre l'équilibre financier. Au sein du Syndicat national du spectacle musical et de variété (PRODISS), nous avons essayé de chiffrer les pertes qu'enregistreraient douze festivals de dimension significative, dont plusieurs gros festivals comme le mien accueillant environ 35 000 personnes par jour, en cas de version dégradée. Pour ces douze festivals cumulés, elles pourraient atteindre 7 millions d'euros. Ces chiffres, qui concernent la seule organisation des événements proprement dits, ne prennent pas en compte les pertes liées aux frais de fonctionnement des structures (loyers, salaires, assurances), qui pourraient s'établir à 5 millions d'euros. Louer un gradin de 5 000 places distanciées coûte plus de 100 000 euros, assurer la protection sanitaire du chantier coûte aussi 100 000 euros. Autant dire que la dotation du fonds de soutien aux festivals mis en place par le Gouvernement n'est pas à la hauteur des besoins des 2 600 festivals répertoriés par le Centre national de la musique (CNM) !

Nous sommes donc aujourd'hui dans une impasse. Pour adapter correctement notre édition aux contraintes actuelles, nous aurions besoin d'embaucher des personnes pour nous apporter leur expertise sur l'organisation technique, les protocoles sanitaires... Or, la loi nous interdit, depuis le 10 décembre, d'embaucher toute personne qui pourrait être placée en activité partielle ou dont le contrat pourrait être rompu si le festival venait à être annulé. Cela signifie que nous devons courir le risque de sortir du dispositif de l'activité partielle seulement pour déterminer si nous sommes en mesure de dégager une solution dégradée satisfaisante. Si nous disposions d'un fonds de garantie assurantiel, comme cela a été mis en place en Allemagne, en Autriche ou en Belgique, nous pourrions peut-être garder espoir. Mais, à l'heure actuelle, cet espoir, nous l'avons perdu.

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