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Intervention de Jean Bizet

Réunion du 2 février 2006 à 9h30
Obtentions végétales — Adoption d'un projet de loi

Photo de Jean BizetJean Bizet, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis ce matin est un texte ancien, qui traite d'une question importante.

Il est ancien, car le texte a été déposé sur le bureau du Sénat le 11 décembre 1996.

La question est importante, puisqu'il s'agit des obtentions végétales, qui, derrière certains aspects techniques, constituent en fait un enjeu essentiel pour notre agriculture, ainsi que M. le ministre vient de le rappeler.

Si les rendements de blé français sont quasiment le double des rendements américains, c'est précisément parce que notre pays a développé depuis longtemps un système performant, compétitif et équilibré en matière d'obtentions végétales.

De quoi s'agit-il exactement ?

En fait, les certificats d'obtention végétale constituent un véritable titre de propriété intellectuelle, c'est-à-dire qu'ils reconnaissent le droit à l'inventeur d'une variété végétale d'obtenir des royalties de la part des utilisateurs de celle-ci. Ce système permet de rémunérer les recherches des obtenteurs, qui sont, pour l'essentiel, des coopératives ou des entreprises familiales, mais aussi l'INRA. Il faut aussi savoir que le développement d'une nouvelle espèce représente, en moyenne, dix ans de travail et 100 millions d'euros.

Afin d'éviter toute confusion avec un autre sujet dont nous serons saisis dans quelques semaines, je rappelle que le sélectionneur procède traditionnellement par croisements, ce qui est tout à fait distinct d'un travail génétique par l'introduction d'un gène d'une autre espèce. Ce n'est pas ce que font nos obtenteurs. Leur travail consiste simplement à croiser des semences d'une même espèce, comme on le fait depuis que l'agriculture existe, c'est-à-dire depuis dix mille ans. C'est ce qui explique que la mise au point d'une nouvelle variété demande en pratique une dizaine d'années.

Ces travaux permettent d'accomplir des progrès dans le domaine de la qualité nutritionnelle ou sanitaire des végétaux, et du respect de l'environnement, puisque des études publiques attestent clairement que, pour les nouvelles variétés, il y a une moins grande consommation de produits phytosanitaires. Nous devons tous avoir cette nouvelle donne à l'esprit.

Présenté ainsi, le COV pourrait sembler très proche d'un brevet. En fait, sa raison est d'être différent du brevet.

Si les variétés végétales faisaient l'objet de brevets, comme c'est le cas aux États-Unis, leurs inventeurs pourraient s'en accaparer la propriété, restreignant ainsi l'accès de chacun au patrimoine naturel et à la biodiversité. Dans le système des brevets, l'inventeur a des droits sur tous les produits développés à partir de son invention, même s'ils sont différents. C'est donc pour éviter cette privatisation des ressources naturelles qu'a été mis au point le système du COV. Son titulaire ne peut interdire l'accès à sa variété à ceux qui voudraient s'en servir comme base pour développer de nouvelles variétés. C'est l'élément fondamental qui le distingue du brevet et que l'on appelle l'exception du sélectionneur. Il s'agit là d'une particularité française et, aujourd'hui, européenne.

C'est ce modèle que la France a toujours promu. Ainsi, c'est sur son initiative que le système du COV s'est développé à l'échelon international depuis la Convention de Paris de 1961, qui a mis en place l'Union internationale de protection des obtentions végétales. Ce système traduit notre conception de l'équilibre entre progrès végétal, d'une part, et droit d'accès à la biodiversité, d'autre part. Mais le système du COV n'est pas unanimement adopté. Vous ne serez pas surpris d'apprendre, car je vous l'ai déjà dit, que nos amis américains pratiquent le brevet en matière de variété végétale.

Compte tenu des valeurs qui sont les nôtres, ce projet de loi est un bon texte, car il améliore l'équilibre entre les droits des obtenteurs et ceux des utilisateurs, c'est-à-dire les agriculteurs.

S'agissant des droits des obtenteurs, il les conforte sur plusieurs points. Par exemple, il précise leur portée, conformément à la Convention de 1991, qui est venue modifier celle de 1961, et qui est en passe d'être ratifiée par la France. De même, il prolonge les durées de validité des COV, comme nous le préciserons tout à l'heure.

Mais surtout, s'agissant des droits des utilisateurs, ce texte reconnaît, pour la première fois dans notre législation, le droit des agriculteurs à ressemer des graines protégées par un COV sans avoir à payer les royalties complètes qui seraient normalement dues à l'obtenteur. C'est la fameuse question des semences de ferme. Si ce texte est adopté aujourd'hui, ces semences seront sécurisées.

Pour les petits agriculteurs, au sens de la politique agricole commune, c'est-à-dire produisant l'équivalent de moins de quatre-vingt-douze tonnes de céréales par an, ce droit aux semences de ferme sera, il faut le rappeler, mes chers collègues, totalement gratuit. C'est un élément d'équité et de modération très important, qui ne semble pas avoir été noté par tout le monde, si l'on en juge par certains commentaires laissant entendre que ce texte pénalise en particulier nos petites exploitations. Je vous rassure, il n'en est rien !

Pour les autres agriculteurs, comme cela se fait pour le blé tendre depuis 2001, ce texte prévoit qu'un accord sur le juste niveau de rémunération sera trouvé entre, d'une part, les obtenteurs, qui sont, pour l'essentiel, des coopératives agricoles, donc propriétés des agriculteurs, et, d'autre part, les agriculteurs eux-mêmes.

La question des semences de ferme a souvent fait l'objet de débats passionnés et idéologiques, au cours desquels, reconnaissons-le, la mauvaise foi a eu plus que sa part. Mais il apparaît aux acteurs les plus représentatifs que l'équilibre proposé par ce texte constitue une véritable avancée notamment parce que, aujourd'hui, la pratique des semences de ferme sur des variétés protégées est purement et simplement interdite en droit français et qu'elle a déjà entraîné des condamnations d'agriculteurs. Je vous renvoie à la loi du 11 juin 1970 relative à la protection des obtentions végétales et à l'arrêt de la cour d'appel de Nancy du 13 septembre 1988.

Je précise, et c'est important, que tous les agriculteurs conservent, bien sûr, comme aujourd'hui, le droit d'exploiter les variétés végétales tombées dans le domaine public de façon entièrement libre et gratuite. Par ailleurs, les petits agriculteurs ne seront pas concernés. Là encore, il est tout simplement faux de prétendre que ce texte aménage un pré carré au profit des obtenteurs ou des semenciers.

Le modèle d'une rémunération sur le fondement d'un accord entre toutes les parties fait d'ailleurs aujourd'hui l'objet d'un consensus dans tous les pays qui, comme nous, refusent le système du brevet. La Convention de 1991 et le droit communautaire nous invitent, sans nous y obliger réellement, à le mettre en place. Il est donc heureux que nous puissions enfin examiner ce texte.

J'en viens maintenant à la présentation du contenu du projet de loi et des amendements que je souhaite vous proposer au nom de la commission des affaires économiques.

Les articles 1 à 3 précisent le champ d'application du texte. Ils étendent l'exclusion du système du brevet à l'ensemble des obtentions végétales, lesquelles ne pourront donc plus faire l'objet que d'un COV. S'il est important dans son principe, le contenu de l'article 1er a déjà été introduit dans notre droit par la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique. Je vous proposerai donc de le supprimer.

Par ailleurs, ces articles définissent les notions de variété et d'obtention végétale, en prévoyant bien pour cette dernière qu'elle doit être à la fois nouvelle, originale, homogène et stable pour pouvoir être protégée par un COV. Ce sont les fameux critères de distinction, d'homogénéité et de stabilité, dits « DHS ».

Les articles 4 à 6 précisent la portée des droits des titulaires de COV. Ils introduisent notamment l'important concept de variété essentiellement dérivée, qui étend le droit de l'obtenteur aux variétés très proches de celles qu'il a mises au point. Il s'agit d'éviter que ne se les approprient des sélectionneurs qui n'auraient fait que modifier à la marge une variété déjà existante.

Par ailleurs, ces articles limitent les droits du titulaire, qui ne s'étendent ni aux actes domestiques et expérimentaux réalisés sur une variété protégée, ni aux actes portant sur une variété dont il a autorisé l'exploitation depuis un certain temps, ni, enfin, aux actes destinés à créer à partir d'une variété existante une variété nouvelle : il s'agit là du concept fondamental d'exception du sélectionneur, qui a déjà été évoqué.

Les articles 7 et 8 précisent les modalités de dépôt et d'instruction des demandes de COV.

Quant à l'important article 9, il aligne notre droit sur la réglementation communautaire afin de rallonger de cinq années la durée de protection dont bénéficient les COV nationaux. Il fait l'objet d'une proposition de loi que j'ai déposée avec Mme Brigitte Bout et que nous examinerons la semaine prochaine.

L'article 10 soumet à publication l'ensemble des actes relatifs aux COV.

L'article 11 procède à une coordination rédactionnelle.

L'article 12 introduit un troisième cas de licence obligatoire, c'est-à-dire de droit d'exploitation attribué par voie judiciaire, sans l'accord du titulaire, pour des motifs d'intérêt public. Je vous proposerai un amendement rédactionnel sur cet article.

L'article 13 simplifie la rédaction de la disposition prévoyant les cas de déchéance du titulaire de son droit.

Je vous proposerai ensuite d'adopter un article additionnel visant à combler une lacune du projet de loi par rapport à la convention de 1991. Il s'agit des dispositions relatives à la nullité des certificats.

L'article 14 transpose aux salariés ayant mis au point une obtention végétale le régime protecteur prévu dans le système des brevets.

L'article 15 précise la notion de contrefaçon et ouvre plus largement les voies d'action dans ce cas. Il vous sera proposé un amendement de cohérence sur cet article.

L'article 16, qui est fondamental, autorise explicitement la pratique des semences de ferme par les agriculteurs et prévoit les modalités d'indemnisation des titulaires des COV. Couvrant à la fois les COV nationaux et communautaires, le système prévu s'inspire directement de celui qui existe aujourd'hui dans le secteur du blé tendre, en renvoyant la fixation du montant de l'indemnité, à défaut de contrat individuel, à un accord interprofessionnel entre les représentants des agriculteurs et les obtenteurs. Il s'agit d'un dispositif équilibré, respectueux des diverses parties en présence et parfaitement compatible avec nos engagements internationaux et communautaires. La commission a d'ailleurs émis un avis favorable sur plusieurs amendements visant à rapprocher un peu plus encore notre droit de la réglementation communautaire en la matière.

Les articles 17 et 18 précisent le champ d'application du projet de loi dans le temps et dans l'espace. Je vous soumettrai deux amendements rédactionnels sur l'article 18.

Enfin, l'article 19 insère dans le code rural un nouveau titre regroupant et homogénéisant une série de dispositions relatives au contrôle des activités de production, de commercialisation et d'importation des matériels de multiplication des plants et des plantes destinés à être replantées. Je vous soumettrai un amendement visant à réécrire entièrement cet article afin qu'il puisse être correctement codifié.

Voilà brièvement résumé, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'objet de ce projet de loi et des amendements. Avant que nous ne commencions la discussion des articles, je rappellerai que ce texte, qui était très attendu depuis la dizaine d'années qu'il a été déposé, a fait l'objet d'une approbation relativement consensuelle en commission. J'ai bon espoir qu'il en soit de même aujourd'hui.

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