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Intervention de Gérard Le Cam

Réunion du 2 février 2006 à 9h30
Obtentions végétales — Adoption d'un projet de loi

Photo de Gérard Le CamGérard Le Cam :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au regard des débats quasi consensuels intervenus en commission des affaires économiques, le groupe CRC n'a pas souhaité, par conviction, s'associer à un consensus qu'il ne peut partager, compte tenu des positionnements éthiques et des dangers de ce texte.

Il m'appartient de mettre en lumière et en perspective le paysage inquiétant que prépare le COV en matière de propriété intellectuelle dans le domaine végétal.

Le certificat d'obtention végétale est présenté dans ce texte comme une version soft et acceptable en comparaison du brevet, qui irrémédiablement fait appel à la notion très controversée en France de la brevetabilité du vivant.

Le certificat d'obtention végétale se distingue du brevet, d'une part, par la procédure de reconnaissance d'une variété nouvelle expérimentée en plein champ, et, d'autre part, par les possibilités d'utilisation par des tiers de la variété pour en créer de nouvelles.

Nous ne sommes pas contre le principe même du certificat d'obtention végétale et d'une rémunération par les agriculteurs du coût de la recherche, mais les modalités vont à l'encontre de notre vision des choses.

Le texte renforce le certificat d'obtention végétale en prolongeant sa durée, donnant droit à la contribution volontaire obligatoire. Vingt-cinq ou trente ans, c'est énorme quand on sait que, en cinq ans, il est créé presque autant de nouvelles variétés que celles qui sont mises à la disposition des agriculteurs : 600 nouvelles variétés sont créées chaque année, 5 000 sont à leur disposition.

Il serait préférable de réduire la durée des certificats d'obtention végétale à cinq ans, par exemple, ou de faire payer une seule fois l'agriculteur qui acquiert les semences ou les plants.

La rente des obtenteurs sur une période aussi longue ne garantit en rien le réinvestissement dans la recherche. Il aurait d'ailleurs été intéressant de disposer de chiffres permettant de mesurer le retour en investissements de la recherche dans le secteur privé.

Par ailleurs, considérer le recours aux semences de ferme comme une tolérance est intellectuellement choquant au regard des pratiques qui remontent à l'origine même de l'agriculture. Le vivant est par nature reproductible et la liberté de chacun doit être respectée.

L'amélioration des rendements exigés par les politiques agricoles successives a conduit à l'appropriation progressive de variétés nouvelles par une minorité, soucieuse de renforcer son monopole à travers ce texte, qui favorise essentiellement les obtenteurs.

De surcroît, le jeu conjugué des obtenteurs et de la grande distribution a le plus souvent conduit à un appauvrissement du nombre de variétés et des qualités gustatives des produits pour répondre à des normes commerciales.

Par ailleurs, nous demandons que, à l'instar des négociations qui ont abouti à l'accord de 2001, le nombre d'espèces concernées, aujourd'hui limité par décret à vingt-sept, soit élargi à toutes les espèces végétales cultivées en France. Il semble donc urgent de rassembler tous les syndicats agricoles, sans exception, et la Coordination nationale pour la défense des semences fermières, la CNDSF, autour d'une table pour négocier de façon équitable les intérêts de chacun.

Le texte établit à l'échelon national une situation de dépendance des agriculteurs qui produisent plus de quatre-vingt-douze tonnes de céréales par an. Nous ne possédons pas de chiffre plancher pour les autres productions végétales. Que pèseront demain ces obtenteurs, face aux géants mondiaux que sont les DuPont-Pioneer et les Monsanto, qui pourront aisément racheter ces COV pour les convertir en brevets ou simplement imposer le style Terminator, traduction même de la dépendance totale ?

Cheval de Troie du brevet, le certificat d'obtention végétale cache la marchandisation du vivant et privilégie la suprématie de grands groupes dans la guerre alimentaire qui se prépare au niveau mondial. Demain, il faudra nourrir près de dix milliards d'humains : les enjeux sont phénoménaux et particulièrement excitants pour ceux qui font de l'argent leur raison de vivre.

Les enjeux médicaux et énergétiques liés aux productions végétales sont également gigantesques. Il n'y a qu'un pas pour que les organismes génétiquement modifiés et leurs brevets « en béton » deviennent la règle sur la planète. Certes, les organismes génétiquement modifiés sont bannis de ce texte pour ne pas effrayer, mais nous savons tous qu'ils sont présents dans tous les esprits et que leurs promoteurs ne sont pas des philanthropes, soucieux de nourrir le monde, de le soigner, de lui fournir son énergie de demain.

Dans son rapport n° 235 datant de 2004, déposé au titre de l'office parlementaire des choix scientifiques et technologiques et relatif aux conséquences des modes d'appropriation du vivant sur les plans économique, juridique et éthique, le député Alain Claeys précise, je le cite :

« Le développement de l'appropriation du vivant entraîne pour l'agriculture une transformation du fonctionnement de son régime d'innovation susceptible d'affecter le métier d'agriculteur.

« Jusqu'au milieu des années 1970, les acteurs de l'innovation en agriculture étaient essentiellement les instituts publics ou parapublics de recherche et des acteurs privés très proches de la production agricole. Les relations entre ces intervenants ne faisaient intervenir que fort peu les questions de rentabilité financière. L'augmentation de la production était alors prioritaire pour le pays.

« L'INRA, principale source de l'innovation dans ce domaine, transférait le plus rapidement possible ses découvertes. C'est ainsi, comme me l'a rappelé M. Guy Paillotin, que l'INRA avait purement et simplement donné les hybrides de maïs à Limagrain et qu'il avait beaucoup travaillé avec la firme Vilmorin sur le blé.

« Cette époque était aussi celle où existait un réel souci de circulation des ressources génétiques dans l'optique de favoriser la mise au point de variétés à rendements élevés. Cette volonté de favoriser l'innovation avait abouti à élaborer le système du certificat d'obtention végétale.

« La situation a considérablement évolué avec l'entrée des firmes pharmaceutiques sur le marché des semences. Celles-ci maîtrisaient un certain nombre de techniques et notamment celles du génie génétique mais étaient dépourvues de collections variétales. Ces collections, indispensables pour créer de nouvelles variétés, étaient le patrimoine des entreprises semencières, la plupart du temps des sociétés petites ou moyennes.

« Ces dernières ont donc été progressivement rachetées, avec leurs collections, par ces grandes entreprises de la chimie et de la pharmacie. Certaines de celles-ci se sont alors de cette façon transformées au début des années 1990 en « groupes de science de la vie ». Cette appellation était destinée à englober leurs activités pharmaceutiques qu'elles conservaient et leurs nouvelles activités semencières.

« Mais, ce faisant, ces grandes entreprises introduisirent dans ce secteur semencier le brevet qu'elles avaient l'habitude d'employer dans leurs activités pharmaceutiques.

« L'application des techniques du génie génétique en agriculture a entraîné l'utilisation du brevet comme mode de protection de l'innovation dans ce domaine. Ces transformations du régime de propriété des ressources végétales induiront certainement un changement du métier d'agriculteur.

« Ces évolutions sont essentiellement dues aux plantes génétiquement transformées dont la culture s'étend actuellement sur 67 millions d'hectares dans le monde, dont 47 millions aux États-Unis. Les semences de ces plantes sont toutes brevetées. Les agriculteurs deviennent donc des licenciés des entreprises détentrices des brevets des plantes génétiquement transformées. »

Ce passage est assez évocateur.

Ce débat met également en évidence les faiblesses de la recherche publique qui devrait être le pivot de la mise au point des variétés végétales dont notre société a besoin, comme cela était le cas il y a quelques dizaines d'années.

L'actualisation des règles juridiques applicables dans notre pays et la ratification de la convention UPOV visent avant tout à prolonger les privilèges des obtenteurs. La proposition de loi inscrite à l'ordre du jour du mercredi 8 février 2006 tendant à prolonger la durée de certains certificats d'obtentions végétales en témoigne de façon éloquente.

Le recours aux semences de ferme et le triage à façon n'offrent pas de garanties suffisantes à nos yeux pour les exploitants. La recherche publique n'est pas dotée de moyens suffisants. Tout cela nous amène à rejeter ce texte, qui, s'il est adopté, relancera une bataille dans nos campagnes. Le rapport de forces qui s'établira nous dira l'avenir. Il aurait été préférable de régler ces différends en amont.

Ni de mauvaise foi, ni purement idéologique, notre vue à moyen et long terme des dangers de toute forme d'appropriation du vivant et de marchandisation systématique nous conforte dans notre position à l'égard à ce texte.

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