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Intervention de Jack Ralite

Réunion du 5 novembre 2004 à 15h00
Cohésion sociale — Article 37-2

Photo de Jack RaliteJack Ralite :

Ce matin, le journal Les Echos a publié un article assez consistant dans lequel Michèle Lécluse s'interroge : « Mais que veut au juste le MEDEF ? » Comme nous allons passer encore à une étape supérieure de sa volonté, avec la reprise par certains de nos collègues - pas tous, j'espère - des vingt-deux projets d'amendement apportés par la direction du MEDEF à la commission des affaires sociales, je voudrais dire quelques mots sur la signification qu'à mon sens cela a.

Il est intéressant de suivre le déroulement de la pensée de M. Ernest-Antoine Seillière telle qu'il l'a exprimée aux universités d'été du MEDEF. En 2003, il disait : « Ce sont [les entrepreneurs] qui écrivent l'histoire des transformations » ; « depuis Schumpeter, l'entrepreneur s'est vu attribuer la fonction décisive de l'innovateur » ; « l'entreprise ne peut se tenir à l'écart d'une transformation qui redéfinit les bases de notre vivre-ensemble, aujourd'hui si proche du produire-ensemble » ; enfin, « l'entreprise est au centre de la société », « notre ambition est de livrer une analyse pertinente du présent et du futur ».

En 2004, il a été limpide et net : « L'acquis social doit céder devant la nécessité économique. » C'est ce qu'avec son ami Denis Kessler il appelle « la grande transformation », reprenant le titre du livre d'un philosophe économiste hongrois des années trente, Karl Polanyi. Mais l'économiste hongrois cherchait comment réguler la situation au moment de la Grande Crise, alors que là, il s'agit de trouver comment la déréguler présentement.

Il faut remonter un peu plus loin dans le temps. En 1997, M. Seillière avait déclaré : « Il n'y aura plus de négociations nationales. » Toujours en 1997, il avait souhaité que l'organisation patronale soit un lobby et seulement un lobby. Tout cela, finalement, renvoie au rôle de l'organisation patronale dans la société française : c'est ce qu'évoque le journal Les Echos ce matin en soulignant que tout le patronat ne suit pas M. Seillière et que, peut-être, il y aurait une réflexion à mener.

En vérité, sous l'impulsion de M. Seillière, le MEDEF devient un parti politique qui veut porter un coup non seulement aux droits dans l'entreprise, mais aussi au système représentatif. Je crois que les institutions, les partis politiques, la société civile, dans une mêlée de plus en plus complexe mais ouverte, font la loi, c'est-à-dire l'en-commun, c'est-à-dire l'intérêt général. Eh bien, lui, il veut s'y substituer et directement diriger.

La liasse de vingt-deux amendements, avec le nom des signataires laissé en blanc pour quelque sénateur égaré, en témoigne avec précision, cynisme, grossièreté et arrogance, sonnant une sorte de knock-out social. C'est un document de croisés ; et moi, je n'aime pas l'odeur des croisades.

Si le Sénat acceptait ces amendements repris par quelques-uns, c'est à une véritable automutilation de ses responsabilités, de ses droits et de ses devoirs qu'il se livrerait. Ce serait, et je pèse mes mots, une sorte de changement constitutionnel dans les actes allant dans le sens de la restriction des libertés législatives, en même temps qu'un mauvais et terrible coup contre les salariés et le code du travail dans le sens de la restriction des libertés des salariés, s'accompagnant, dans la suite, du démembrement de leur vie.

Je l'ai dit, tout le patronat ne suit pas : je n'ai pas vu de grande entreprise courir après le MEDEF sur les 35 heures, pas plus que sur les amendements d'aujourd'hui ; les PME ne veulent pas de négociations limitées à l'entreprise, parce qu'elles veulent une négociation groupée, avec une représentation syndicale et une représentation des PME adéquates.

Je crois qu'est en train de se dessiner un possible axe politique Seillière-Sarkozy dont nous ne voulons pas, et ceux-là s'appuient sur une certaine conception du travail. Pour M. Seillière, « le travail est aujourd'hui un élément essentiel d'une citoyenneté en quête de nouveaux fondements ». Mais de nombreux syndicalistes, de nombreux chercheurs qui se penchent sur cette question - je pense en particulier à un psychologue du travail au CNAM - montrent que cette définition donnée par le MEDEF revient à décrire le travail « comme acte subordonné, exécuté par un opérateur amputé du pouvoir d'agir et de penser sur ses usages sociaux et ses fins humaines », alors que, dans une définition démocratique, « le travail doit être un milieu de vie ouvert à l'inattendu des échanges autour d'épreuves sociales partagées et non une activité subie qui déleste le sujet ».

Nous sommes envahis de la fièvre « court-termiste », d'une espèce de néo-stakhanovisme, alors que le travail est une activité délibérée de civilisation du réel. Eh bien, cette question est à l'ordre du jour depuis le début, et encore cet après-midi.

Je trouve qu'il faut faire preuve d'indignation morale - je n'hésite pas à employer le mot « morale » -, de rigueur morale, d'option d'autrui, de pensée passerelle, et les choses ne pourront pas se dérouler comme cela ! Pour sa part, le groupe CRC va s'adresser au pays, car il s'agit, je le répète, d'une démarche grave non seulement pour le travail, mais aussi pour les libertés publiques.

La CGT a réuni hier sa commission administrative, et j'ai lu le communiqué qu'elle a publié. Elle a tout à fait raison d'organiser le 16 novembre un forum national de contestation de cette loi. Je m'y rendrai, comme parlementaire, pour raconter la petite histoire et les à-côtés de la petite histoire du débat que nous avons. Et le 23 novembre, juste à la veille de l'examen du projet de loi par l'Assemblée nationale, elle organise une journée de mobilisation des salariés. C'est tout à fait intéressant !

Je voulais dire cela, parce que je pense que cela élargit le socle de notre réflexion et montre en même temps l'extrême danger de certains amendements dont on connaît le libellé depuis que le MEDEF au Sénat a rendu visite autoritaire.

Je terminerai en disant que ceux qui suivraient le MEDEF me feraient penser à René Char, qui tenait le propos suivant : « Quand quelques esprits sectaires proclament leur infaillibilité, l'attèlent à leur destin pour le mener à la perfection, ainsi commencent les grands malheurs ».

Et je ferai référence à Georges Canguilhem pour qualifier la position de la gauche : Nous voulons dégager - et nous n'excluons personne dans l'élaboration de ce dégagement - une place vacante pour un concept mieux avisé, c'est-à-dire humain. Tel est le sens de mon intervention.

Je reviendrai en quelques mots sur la discussion de ce matin. M. le rapporteur a affirmé qu'avec nos mesures nous allions tarir l'emploi.

Monsieur le rapporteur, j'habite en Seine-Saint-Denis, dans la commune d'Aubervilliers, située à côté de la commune de Saint-Denis. Voilà déjà un certain temps, nous avons formé à huit communes une communauté de communes. Depuis trois ans, se sont installées - et nous n'y sommes pas étrangers, même si nous ne sommes pas les seuls à avoir oeuvré en ce sens - 290 entreprises, dont certaines sont des élargissements, ce qui nous ramène au nombre d'emplois de 1970.

Or, sur ces huit communes, il y a une commune de droite, une commune dont le maire est Vert, et six communes d'Union de la gauche dirigées par un maire communiste. Vous voyez donc que nous avons l'aptitude à la construction ! Nous ne céderons pas lorsqu'il s'agit des revendications des travailleurs, mais nous intervenons dans le débat sur l'installation des entreprises. C'est cela qui est très important, et cela infirme ce que vous nous prêtiez à tort.

J'en viens à l'humain, car j'ai senti ce matin que cela vous chatouillait ! Vous avez dit que nous n'avions pas le monopole de l'humain. Nous n'avons jamais prétendu l'avoir, sauf que notre humanité est à hauteur des civilisations et non à mi-côte ! Elle est plus profonde que la vôtre, car elle s'attaque véritablement au mal et ne se limite pas à soigner en mettant du sparadrap sur les blessures !

Telle est la réponse que j'apporte à la réaction qui a été la vôtre quand j'ai parlé de l'irréductible humain.

Je conclurai en évoquant la dimension législative et constitutionnelle que l'atteinte aux droits des travailleurs et du travail comporte potentiellement. Réfléchissez avant de commettre un acte qui entraînerait notre pays dans une spirale dramatique pour les travailleurs, pour vous et pour nous. Ce pays a besoin d'autre chose, il a besoin de perspectives humaines, démocratiques et constructives.

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