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Intervention de Catherine Tasca

Réunion du 5 novembre 2004 à 15h00
Cohésion sociale — Article 37-2

Photo de Catherine TascaCatherine Tasca :

Cet article 37-2 est en fait un article à double face : d'une part, il instaure une obligation de négociation, ce qui, dans le principe, est tout à fait positif, mais, d'autre part, il enserre cette négociation dans des limites et des possibilités de dérogation qui annihilent en fait la portée de la négociation.

En effet, l'article 37-2 instaure une obligation de négociation dans les entreprises occupant au moins 300 salariés, ce qui réduit immédiatement d'autant le champ d'application de cette proposition. Il prévoit que la négociation porte sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et sur les mesures d'accompagnement, en particulier la formation, la validation des acquis de l'expérience, le bilan de compétence et l'accompagnement à la mobilité professionnelle.

Il s'agit en réalité pour les employeurs de mettre en oeuvre dans un maximum de sérénité le plan de gestion des effectifs qui est toujours programmé plusieurs années à l'avance dans les grands groupes. Ce texte prévoit en fait une gestion anticipée et en douceur de la réduction des effectifs, en prenant en compte non seulement les départs naturels, mais aussi les actions permettant de diriger des salariés vers l'extérieur, ou en organisant des opérations de mobilité interne.

Au passage, j'observe que votre texte fait référence à un « accompagnement de la mobilité professionnelle et géographique ». En ce qui concerne la mobilité géographique, il évite soigneusement le terme « aide » sur lequel pourraient s'appuyer les représentants du personnel pour obtenir une aide financière. Cela n'est évidemment pas innocent.

Logiquement, la deuxième étape du processus ainsi engagé par les employeurs est celle des licenciements, en d'autres termes, du reliquat de personnel que l'on ne parvient pas à reclasser dans un autre établissement, une filiale, ou dont on n'a pas réussi à obtenir le départ volontaire. Donc, si l'on se résigne à licencier, en ne pouvant le faire par paquets de neuf salariés selon la technique bien connue, la question est de trouver un moyen légal de le faire à moindre coût et en évitant des mouvements sociaux toujours gênants.

Tel est l'objet du texte proposé pour l'article L. 320-3 du code du travail par lequel vous nous demandez de pérenniser et de généraliser les accords de méthode.

Nous avons toujours été réservés sur les accords de méthode, même s'ils comportent parfois des dispositions dont les représentants du personnel peuvent se saisir utilement lorsque la machine est enclenchée. Cela doit être dit, mais cela n'enlève rien à leur caractère intrinsèquement dangereux. Nous devons constater que la plupart des accords de méthode sont conclus « à chaud », et juste pour la durée de la procédure. Je fais ici référence aux données recueillies par la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle. Sur 161 accords conclus, on observe que seulement 67, signés après l'annonce d'un plan de restructuration, laissent aux partenaires sociaux le temps nécessaire à la recherche de solutions alternatives.

Il en résulte donc que 94 accords sont signés dans la précipitation et n'ont que peu à voir avec la notion de méthode, si ce n'est celle de l'employeur pour mettre des salariés devant le fait accompli.

On voit bien pourquoi. Le temps de l'information et de la consultation est celui qui doit en principe permettre au comité d'entreprise d'exiger un débat sur l'état économique de l'entreprise et le motif des licenciements. C'est dans ce délai que peut intervenir une contestation des suppressions d'emplois à la lumière de la bonne santé financière de l'entreprise. On comprend bien que l'employeur, dans sa hâte à fermer un site ou à délocaliser dans un pays émergent, a tout intérêt à ne pas accepter une discussion sur ces thèmes.

A partir du moment où, dès le départ, le volume des suppressions d'emplois et la date de la fin des procédures sont fixés, toute concertation sur le motif réel de la restructuration devient inutile et toute recherche de solution alternative, et donc d'un arrêt éventuel de la procédure, tout avis du comité d'entreprise sont purement formels.

Un accord qui fixe le calendrier des consultations sera forcément moins favorable que la loi, puisqu'il ne prend pas en considération la nécessité pour le comité d'entreprise de disposer de toutes les informations relatives à la situation de l'entreprise. Il y a donc bien là négation de l'esprit prétendu de négociation.

Les moyens supplémentaires que les directions acceptent alors à l'occasion des négociations ne sont que péripéties, d'autant plus qu'ils ont déjà été budgétés depuis longtemps. Nous sommes donc dans le règne absolu du faux semblant.

Ce point devrait d'ailleurs susciter la réflexion des juristes puisque, dans nombre de ces accords, il y a en fait un véritable déni de droit. En effet, 22 des 161 accords recensés actent la renonciation des parties à toute action judiciaire. Les juristes auront donc intérêt à se pencher sur cet aspect puisque nous persistons à estimer que seule la signature personnelle de chaque salarié, apposée librement, peut éventuellement valider, et pour lui seul, un engagement aussi lourd de conséquences : la renonciation à toute action judiciaire.

Dans la même perspective, on comprend d'ailleurs pourquoi le texte autorise les accords à déroger aux dispositions figurant à la fin de l'article L. 321-4 du code du travail, qui prévoient les modalités de suivi effectif des mesures de reclassement et la consultation à cet effet du comité d'entreprise. Il est évident que la direction, ayant obtenu son accord de méthode et ayant versé les indemnités prévues, s'estime quitte à l'égard des salariés dont elle s'est séparée.

Pour d'évidentes raisons, ce ne sont pas les salariés, monsieur le ministre, qui sont demandeurs d'accords de méthode, puisqu'ils ne sont pas demandeurs des restructurations. Ce sont les directions qui font pression pour que de tels accords soient signés. Elles y trouvent un avantage : le principe des suppressions d'emplois est par avance accepté, et l'accord bloque les procédures juridiques ultérieures.

L'objectif fondamental poursuivi par ces accords initiés par les employeurs est de pouvoir déroger à la loi en toute discrétion. L'accord de méthode, s'il n'était pas dévoyé par ces pratiques, n'est pas en soi une procédure néfaste. Mais il le devient un peu plus chaque fois, et il finit par perdre ainsi toute crédibilité. C'est pourquoi nous demandons la suppression de l'article 37-2.

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