Commission d'enquête coût économique et financier de la pollution de l'air

Réunion du 16 avril 2015 à 14h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Charles Revet

Pour notre dernière audition de la journée nous recevons de Mme Andrée Buchmann, présidente du conseil de surveillance de l'Observatoire de la qualité de l'air intérieur (OQAI), M. Francis Allard, président du conseil scientifique de l'OQAI, et Mme Séverine Kirchner, directrice scientifique de l'OQAI, directrice adjointe «santé, confort» du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). Le CSTB est un établissement public qui a pour mission de rassembler et partager les connaissances pour améliorer la qualité des bâtiments. L'Observatoire de la qualité de l'air intérieur (OQAI) étudie la pollution de l'air.

Cette audition est publique et ouverte à la presse.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Mme Andrée Buchmann, M. Francis Allard et Mme Séverine Kirchner, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. ».

Les trois intervenants prêtent serment.

Debut de section - Permalien
Andrée Buchmann, présidente du conseil de surveillance de l'Observatoire de la qualité de l'air intérieur (OQAI)

Nous sommes très honorés d'être auditionnés. La qualité de l'air intérieur est un sujet important, tant sur le plan sanitaire qu'économique. Il est normal que la représentation nationale s'en saisisse. L'OQAI a été créé en 2001 à l'initiative des ministres de l'environnement et de la santé qui souhaitaient disposer d'une expertise indépendante, au moment où l'amiante suscitait beaucoup de polémiques et de scandales. Les recherches sur ce thème, qui avaient été financées par les industriels de l'amiante, étaient d'une objectivité douteuse...

Un conseil de surveillance réunit les ministères de l'écologie, du logement et de la santé, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Adème), l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), le CSTB, l'Agence nationale de l'habitat, et le Conseil de l'air (CNA). Il est assisté d'un conseil scientifique présidé par M. Allard, qui réunit des scientifiques français et étrangers. Ceux-ci siègent à titre gracieux : pas de jetons de présence, pas de pressions ! L'observatoire est géré sur le plan opérationnel par le CSTB, en coordination avec Mme Kirchner. Il fonctionne de manière autonome, avec un budget propre, alimenté par des fonds publics. Les axes de recherche et l'orientation stratégique sont définis par le conseil de surveillance. Des conventions pluriannuelles de trois ans règlent son fonctionnement.

L'OQAI a eu pour mission de réaliser une campagne d'étude pour analyser l'air des logements. Depuis il mène une série d'études complémentaires sur les écoles, sur les bureaux, ou sur les bâtiments performants en énergie, afin d'orienter la législation. L'Observatoire a été créé aussi à la demande des professionnels de la santé et du bâtiment car nous ne connaissions pas les conséquences sanitaires des nouveaux matériaux. Les médecins constataient une hausse des cas d'asthme, de cancers, et notaient un lien entre l'air respiré et le développement de certaines pathologies. La France est le seul pays à s'être doté d'une telle instance d'étude. L'observatoire a permis une évolution des méthodes de construction, de la réglementation, des connaissances et des pratiques. Notre conseil de surveillance travaille en lien avec un comité consultatif composés d'organismes et d'associations concernées par notre réflexion. Il ne s'agit pas d'une usine à gaz émettant des ukases depuis Paris : nous travaillons en réseau avec différentes structures, tant françaises qu'étrangères, afin d'avoir une vision de toute la société et de tout le territoire. Nous organisons régulièrement des ateliers thématiques où des scientifiques présentent au public les résultats de leur recherche.

Nous avons étudié les coûts sociaux et économiques de la pollution intérieure. Comme vous avez déjà auditionné l'Anses, je me contenterai de rappeler nos conclusions rapidement. Nous avons réalisé une étude socio-économique sur six polluants qui ont des conséquence sur la santé : le benzène, source de leucémies ; le trichloroéthylène, qui provoque des cancers ; le radon, susceptible de provoquer des cancers du poumon ; le monoxyde de carbone, cause d'asphyxie ; les particules fines, sources de cancers, de maladies cardiovasculaires, de bronchopneumopathies chroniques obstructives ; le tabac, cause d'infarctus, de cancers de poumon, d'accidents cardiovasculaires, de bronchites. On estime à 28 000 le nombre de nouveaux cas chaque année et à 20 000 le nombre de décès annuels liés à la pollution de l'air. Le coût de cette dernière est estimé à 19 milliards par an. Notre budget est assez modeste, et n'est pas en relation avec l'importance des enjeux. Malgré cela, nous nous appliquons à développer une recherche efficace.

Debut de section - Permalien
Séverine Kirchner, directrice adjointe « santé, confort» du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB)

directrice scientifique de l'OQAI, directrice adjointe « santé, confort» du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). - L'Observatoire est une institution unique qui a vocation à fournir des informations sur la qualité de l'air que nous respirons et sur ses conséquences en termes de santé publique. Nous collectons des données dans les bâtiments occupés pour identifier les polluants, et mesurer leur concentration en fonction de différents déterminants : la nature du bâtiment, l'air extérieur, le comportement des occupants, l'utilisation de produits d'entretien, etc. Pour cela, nous avons établi des parcs statistiques représentatifs. Grâce à la campagne de 2003-2005, qui visait les résidences principales, nous avons pu, pour la première fois, dresser une photographie de la pollution de l'air respiré par les ménages. Les données ont été utilisées par l'Institut de veille sanitaire ou l'Anses pour identifier les substances dont l'effet est le plus nocif pour la santé publique. Elles ont aussi été utilisées pour établir des valeurs-guide, instruments de gestion, afin d'identifier des zones à cibler ou déterminer le coût d'une action pour diminuer la pollution. Cette étude, la seule disponible en France, a également permis d'évaluer le coût social de la pollution de l'air. Nous avons identifié une vingtaine de substances polluantes. La plupart sont présentes dans l'ensemble des logements (10 % sont multi-pollués), et elles sont plus concentrées à l'intérieur qu'à l'extérieur. Un faisceau de causes intervient : le type de bâtiment, la présence ou non d'un garage, l'usage de matériaux neufs ; le comportement des occupants -l'usage d'encens, de pressings, le taux d'occupation- ; la gestion de l'air -plus que le type de système de ventilation, c'est l'état des systèmes qui est déterminant- et l'environnement extérieur. Aujourd'hui nous reprenons ces échantillons pour analyser la présence des composés organiques semi-volatils, comme les phtalates, les pesticides, les retardateurs de flamme bromés, etc. Nous présenterons nos résultats lors d'un atelier public le 11 juin.

Nous menons aussi une campagne sur 300 écoles et 600 salles de classe, ainsi qu'un programme sur l'air des bureaux, sujet sur lequel nous manquons de données. Nous étudions aussi les bâtiments performants en énergie. Nous avons mis au point des protocoles pour mesurer la qualité de l'air ou le confort ; les opérateurs intéressés les utilisent et nous renvoient les données. Nous présenterons nos résultats le 2 juin lors de la conférence Les Défis bâtiment et santé. Cette base de données sera complétée au fil de l'eau puisque nous suivons les bâtiments pendant un an après leur construction.

Nous réfléchissons également à de nouvelles campagnes sur les maisons de retraite ou les établissements de santé. Nous avons conçu, en outre, un programme sur les outils d'aide à la décision. Une de nos études les plus utilisées a été la hiérarchisation des substances : nous avons développé une méthodologie pour classer les substances présentes dans l'air en fonction de leur fréquence d'apparition, ou de valeurs toxicologiques de référence associées à des taux d'exposition. Certaines substances sont apparues comme prioritaires. L'Anses a utilisé cette hiérarchisation des données pour établir ses valeurs guides sur l'air intérieur en France et pour mettre au point un étiquetage des produits de construction. De même, ce programme a permis de fournir une estimation du coût social d'une exposition à des polluants de l'air intérieur.

Nous avons aussi développé un module pour mesurer le confinement de l'air, sur la base du taux de concentration du monoxyde de carbone. Associé à des indicateurs lumineux (vert-orange-rouge), ce système indique, dans les écoles non équipées de systèmes mécaniques, s'il faut ou non ouvrir les fenêtres pour aérer.

Nous travaillons aussi à mettre au point des indicateurs simples permettant d'apprécier rapidement la qualité de l'air intérieur. Nous avons aussi un module de communication, essentiel car le comportement des occupants d'un bâtiment influe sur la qualité de l'air. Les professionnels du bâtiment sont intéressés. Nous cherchons à favoriser l'émergence d'un réflexe santé lors de la construction d'un bâtiment, au même titre que la prise en compte de l'énergie, ou de l'environnement.

Debut de section - Permalien
Francis Allard, président du conseil scientifique de l'OQAI

La recherche sur la qualité de l'air intérieur est assez récente : pendant longtemps, les outils de modélisation nécessaires n'étaient pas disponibles. Depuis une vingtaine d'années de grands progrès ont été faits. La recherche a porté à la fois sur la physico-chimie des polluants ou les modes de transport des particules de l'extérieur vers l'intérieur, et sur l'impact sanitaire de l'air respiré, que les épidémiologistes et les toxicologues ont du mal à apprécier, car nous sommes tous exposés à des milliers de composants chimiques durant notre vie. Ces observations sont indispensables pour orienter les politiques publiques.

Nous passons 85 à 90 % de notre vie dans des milieux confinés, ce qui explique l'impact indéniable de l'air intérieur sur notre santé ; mais la prise de conscience de ce phénomène est relativement récente.

Nous avons mis en place un dispositif innovant, envié par beaucoup de pays, à partir de protocoles de représentativité statistique, de manière à représenter l'ensemble des logements français. C'est un programme de longue haleine qui mobilise des moyens importants. Nous espérons voir à partir de bases similaires si nous constatons une évolution positive ou non.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Avez-vous produit des études sur la pollution engendrée par les bâtiments eux-mêmes, ou sur le coût économique de la pollution atmosphérique sur les bâtiments, à cause de la corrosion ? Globalement, les pouvoir publics ont-ils selon vous la bonne attitude sur le sujet général de la pollution de l'air ?

Debut de section - Permalien
Séverine Kirchner, directrice adjointe « santé, confort» du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB)

L'impact du bâtiment sur l'air extérieur est en premier lieu celui du chauffage par combustion. Le CSTB a traité ce sujet dans son programme « usages-santé-confort », prônant l'amélioration intrinsèque des chaudières - avant même de placer des filtres à particules - constatant une relation directe entre température des fumées et pollution ou la nocivité relative d'une utilisation réduite des chaudières. La métrologie n'est pas toujours facile, à cause de la vapeur d'eau. Mais des solutions innovatrices sont possibles.

Une étude a été menée il y a dix ans sur l'impact de la pollution sur les bâtiments et les différents enduits, davantage pour comprendre le mécanisme que pour les mesurer ; mais elle n'a pas eu de suites. De nombreux matériaux autonettoyants sont aujourd'hui proposés. Nous travaillons sur la question de leur innocuité sur l'air intérieur. Un projet dans le cadre de Primequal, financé par l'Ademe et le Ministère de l'écologie, vise à observer leur comportement ; c'est important : ces matériaux pourraient se déployer de plus en plus.

Debut de section - Permalien
Andrée Buchmann, présidente du conseil de surveillance de l'Observatoire de la qualité de l'air intérieur (OQAI)

Des polluants secondaires pourraient surgir.

Debut de section - Permalien
Séverine Kirchner, directrice adjointe « santé, confort» du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB)

Par comparaison, la pollution de l'air intérieur était inconnue avant les années 1990 : nous travaillions plutôt avec notre réseau étranger, en particulier les pays nordiques, les Etats-Unis et le Canada. Aujourd'hui, nous accueillons dix chercheurs étrangers qui veulent consulter nos données, qui sont rares dans le monde : la mise en place d'un dispositif permanent d'observation de la vie de la population a constitué un bond en avant remarquable. Seul bémol : les fonds diminuent, réduisant drastiquement notre programmation.

Les plans nationaux santé-environnement ont entraîné des politiques publiques assez importantes, comme l'étiquetage obligatoire des matériaux, la surveillance des écoles et des crèches, les valeurs guides. La prise de conscience a été tardive, mais nous avons rattrapé notre retard. Les enjeux sont importants : l'exposition continuelle de populations parfois vulnérables entraîne des maladies comme les cancers ou l'asthme. Nous ne pouvons que souhaiter que cela aille plus loin. Il me semble que l'on entend de plus en plus parler d'air intérieur.

Debut de section - Permalien
Francis Allard, président du conseil scientifique de l'OQAI

La prise de conscience au niveau international de l'impact sanitaire de l'air intérieur a eu lieu il y a une vingtaine d'années. L'air extérieur contient certes des polluants, mais c'est sans comparaison ! La prise de conscience date de vingt ans pour les scientifiques... mais je ne suis pas sûr qu'elle soit achevée pour les décideurs.

Debut de section - Permalien
Andrée Buchmann, présidente du conseil de surveillance de l'Observatoire de la qualité de l'air intérieur (OQAI)

Le programme date de 2001, Louis Besson étant secrétaire d'Etat au logement. Les ministres de l'environnement ont été souvent des jeunes femmes que la question de l'air intérieur intéressait à cause de leurs jeunes enfants, elles ont oeuvré pour préserver nos crédits. C'est un outil fantastique, permettant des observations dans la vie réelle, et non en laboratoire, pour un budget modeste.

La recherche publique doit être complétée par la recherche privée, insuffisante en France. Mais l'Etat doit sanctuariser la recherche publique pour préserver sa position de référence : si l'industrie du tabac ou de l'amiante finance la recherche dans ces domaines, cela remet en question les résultats. C'est pourquoi nous tenons à notre financement public, qui empêche toute contestation de nos travaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Revet

L'incidence du type de construction sur la qualité de l'air peut varier, et des produits autonettoyants peuvent s'avérer nocifs. Quant à l'incidence sur les bâtiments de l'air extérieur, on peut la constater en regardant l'état de l'Assemblée nationale, qui a pourtant été totalement ravalée il y a quelques années ! Les différents types de chauffage, comme l'air pulsé, qui coûte moins cher, ont-ils une incidence différente sur l'air intérieur ?

Debut de section - Permalien
Francis Allard, président du conseil scientifique de l'OQAI

Nous ne pouvons pas vous répondre en détail sur l'effet de l'air extérieur sur les bâtiments : les espèces chimiques qu'il faudrait observer sont les agents agressifs, à commencer par le gaz carbonique, donc très différentes que celles qui nous intéressent dans le domaine sanitaire. Les deux aspects peuvent agir de concert, mais ils obéissent à des phénomènes physiques ou chimiques différents.

A part la combustion interne, le type de chauffage n'a pas d'incidence prouvée. Le chauffage à air pulsé, peu développé en France mais très courant aux Etats-Unis, n'a pas d'incidence directe, car l'air est filtré en amont. Ce qui compte, c'est la maintenance des différents systèmes ; tel avait été le résultat d'une enquête sur le logement.

L'air des espaces confinés en voiture, dans les bureaux ou les logements est toujours de plus mauvaise qualité que l'air extérieur, que les professionnels appellent « l'air neuf ». Sauf les éléments très réactifs, comme l'ozone, dont la concentration est bien moindre à l'intérieur, toutes les espèces gazeuses de l'air extérieur se retrouvent à l'intérieur, en plus de la pollution que nos bâtiments, notre occupation, nos activités génèrent. L'air extérieur occupe le devant de la scène depuis le smog de Londres des années 1950, qui aurait fait des milliers de morts.

Toutes les données sont transparentes et nos publications accessibles sur notre site.

Audition commune de Mme Andrée Buchmann, présidente du conseil de surveillance, et du Pr Francis Allard, président du conseil scientifique, de l'Observatoire de la qualité de l'air intérieur (OBQI) et de Mme Séverine Kirchner, directrice scientifique de l'OBQI, directrice adjointe « santé, confort » du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB)

La réunion est ouverte à 14 heures

Audition commune de Mme Andrée Buchmann, présidente du conseil de surveillance, et du Pr Francis Allard, président du conseil scientifique, de l'Observatoire de la qualité de l'air intérieur (OBQI) et de Mme Séverine Kirchner, directrice scientifique de l'OBQI, directrice adjointe « santé, confort » du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB)

La réunion est ouverte à 14 heures