Séance en hémicycle du 27 octobre 2015 à 14h45

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • charte
  • diversité
  • interprétative
  • linguistique
  • minoritaire
  • ratification
  • ratification de la charte

La séance

Source

La séance, suspendue à douze heures vingt-cinq, est reprise à quatorze heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Thierry Foucaud.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, c’est avec beaucoup d’émotion que nous avons appris le terrible accident qui a eu lieu vendredi matin dans le département de la Gironde.

Mmes et MM. les sénateurs ainsi que Mme la garde des sceaux se lèvent.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

Nous avons tous été bouleversés par cette catastrophe, la plus meurtrière depuis celle de Beaune, survenue en 1982.

M. le Président du Sénat, qui est aujourd’hui en déplacement à Strasbourg, a eu l’occasion de saluer par un communiqué de presse, en notre nom à tous, le courage de ceux qui sont intervenus sur place pour éviter un bilan humain encore plus lourd.

Le Sénat tout entier, au premier chef nos collègues sénateurs de la Gironde, Alain Anziani, Françoise Cartron, Gérard César, Marie-Hélène Des Esgaulx, Philippe Madrelle et Xavier Pintat, adresse ses plus sincères condoléances aux familles et aux proches des victimes.

Je vous demande d’observer un moment de recueillement en hommage aux victimes.

Mmes et MM. les sénateurs ainsi que Mme la garde des sceaux observent une minute de silence.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (projet n° 662 [2014-2015], rapport n° 52).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la garde des sceaux.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, il me revient de vous présenter ce projet de loi constitutionnelle visant à autoriser la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, et c’est pour moi un honneur en même temps qu’un plaisir.

Cette charte, adoptée à Strasbourg le 5 novembre 1992, est entrée en application le 1er mars 1998. La France l’a signée à Budapest le 7 mai 1999, assortissant sa signature d’une déclaration interprétative. Je rappelle que vingt-cinq pays du Conseil de l’Europe l’ont déjà ratifiée, parmi lesquels l’Allemagne, l’Espagne et le Royaume-Uni. En Italie, le projet de loi de ratification est prêt à être présenté devant le parlement.

Le présent projet de loi constitutionnelle tend à créer un article 53-3 au sein de la Constitution, avec une référence explicite à la déclaration interprétative.

Cette rédaction a été retenue pour tirer enseignement de la décision du Conseil constitutionnel en date du 15 juin 1999, selon laquelle la ratification de cette charte européenne impose une révision de la Constitution.

Plutôt que de solliciter le Parlement à deux reprises – une première fois pour modifier la Constitution et une seconde fois pour ratifier la Charte –, le présent projet de loi constitutionnelle tend à autoriser directement la ratification, en dérogeant autant que de besoin à la procédure prévue aux articles 53 et 54 de la Constitution.

Il avait déjà été procédé ainsi, là encore en vertu d’une décision du Conseil constitutionnel, en vue de la ratification du traité instaurant la Cour pénale internationale, traité qui avait été signé par la France le 18 juillet 1998. Dans ce cadre, un article 53-2 avait été introduit dans la Constitution.

En vous proposant de ratifier cette charte, mesdames, messieurs les sénateurs, nous vous invitons à honorer la signature que la France avait apposée voilà un peu plus de quinze ans.

Le préambule de la Constitution de 1946, qui a été intégré à la Constitution de la Ve République, énonce que « la République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international ». La France est, en effet, liée par ses obligations internationales au nom du principe pacta sunt servanda, qui sert de fondement à cet alinéa du préambule de la Constitution de 1946, mais également à notre droit des obligations.

Le Gouvernement vous présente donc un texte de loi juridiquement solide, au regard tant de la Constitution que du droit international.

Sur le plan constitutionnel, la France est une République indivisible et sa langue est le français. Ces deux principes, posés respectivement à l’article 1er et à l’article 2 de la Constitution, n’interdisent pas de faire une place aux langues régionales, à telle enseigne que la révision constitutionnelle de 2008 y a introduit un article 75-1 qui reconnaît les langues régionales comme appartenant au patrimoine national.

En tout état de cause, il y a lieu de se souvenir que le constituant est souverain et qu’il peut décider de réviser la Constitution pour l’adapter aux nécessités des évolutions auxquelles il consent.

C’est d’ailleurs ce qu’il a fait pour la ratification du traité de Maastricht, et les transferts de décisions à l’Union européenne n’ont pas entamé le principe de souveraineté nationale en vertu duquel la France prend seule ses décisions régaliennes.

Le constituant l’a fait aussi pour inscrire la citoyenneté calédonienne dans la Constitution, en conformité avec l’accord de Nouméa, et cette inscription n’a en rien remis en cause l’indivisibilité de la République.

Le constituant l’a fait encore pour inscrire la parité dans la Constitution, ce qui n’a en aucune façon altéré le principe de l’égalité des citoyens devant la loi.

D’ailleurs, s’agissant de ces deux dispositions, le Conseil constitutionnel avait également pris une décision de non-conformité. Le constituant a alors choisi de créer les conditions de conformité. Il a procédé de même, en 2008, en introduisant l’article 75-1 dans la Constitution.

S’agissant de notre loyauté au regard du droit international, le texte que vous présente le Gouvernement procède par la méthode du renvoi. Cette méthode conditionne la constitutionnalité de la norme visée. D’où la référence à la déclaration interprétative, qui ne peut pas être détachée de la Charte.

C’est cette même méthode du renvoi qui a été utilisée dans un des cas que je viens de mentionner, à savoir lorsque le constituant a souhaité ratifier le traité reconnaissant la juridiction de la Cour pénale internationale.

Je précise ici que l’interprétation selon laquelle les locuteurs pourraient imposer l’usage des langues régionales dans leurs relations avec les autorités administratives, repose sur l’article 10 de la Charte, alors que cet article ne figure pas parmi les trente-neuf mesures que le gouvernement français, en 1999, a choisi de retenir.

Une deuxième interprétation, qui me paraît sujette à caution, et même erronée, consiste à affirmer que la Charte conférerait des droits spécifiques aux locuteurs des langues régionales. Elle est d’ailleurs contredite par le rapport explicatif même de la Charte, qui, en son point 11, indique très clairement que celle-ci ne crée pas « de droits individuels et collectifs pour les locuteurs de langues régionales ou minoritaires ».

Le regretté Guy Carcassonne, dans une étude qu’il avait effectuée en 1998 sur la compatibilité entre la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et la Constitution, indiquait déjà que la Charte « n’attache aucune conséquence juridique à l’existence et à l’action des groupes qu’elle mentionne ».

Dans son étude comparative entre la France, l’Espagne et l’Italie, publiée en 2008, l’universitaire Véronique Bertile observe que l’on a vu dans la Charte des droits collectifs qui n’existent pas, faisant fi des intentions de ses auteurs. Le professeur Ferdinand Mélin-Soucramanien, constitutionnaliste reconnu, fait la même analyse.

Il y a donc lieu de considérer que la déclaration interprétative annexée par la France à sa signature relève d’un souci et d’une démarche de clarification, permettant à notre pays de préciser la portée qu’il accorde aux mesures retenues par lui dans le cadre de la signature de cette charte.

Cette possibilité de clarifier la portée que l’on donne à des mesures est reconnue à tous les États : ceux-ci ont le droit de préciser dans quelles limites ils vont exécuter la mise en œuvre d’un instrument international.

Par conséquent, l’argument selon lequel la ratification de la Charte mettrait la France en situation de déloyauté au regard du droit international n’est ni démontré ni pertinent.

Ayant examiné les arguments juridiques et constitutionnels, je vous propose à présent d’étudier les arguments politiques, car c’est bien sur ce plan que se situe en réalité le cœur des divergences, et d’abord en posant quelques questions.

Qu’aurions-nous à craindre de la reconnaissance et de la vitalité de langues régionales qui contribuent à la consistance, à la pétulance du dynamisme culturel national ? Ou plutôt : que craignent ceux qui s’y opposent ? Qu’y voient-ils ? Une menace contre la langue française ? Une dérive communautariste ?

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Un risque de balkanisation linguistique qui préfigurerait une balkanisation politique ? Une remise en cause de la notion même de peuple français ? Une interrogation sur l’unité du peuple français qui, depuis la Révolution, est le creuset de la citoyenneté ?

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Le modèle républicain serait-il en péril parce que nous ferions respirer le patrimoine linguistique national ?

Procédons à un rapide état des lieux et voyons quelle est la mesure de ce terrible danger.

En 1910, il existait plus d’un million de locuteurs bretons ; aujourd’hui, ils seraient 250 000. Au début du XXe siècle, tous les Alsaciens étaient réputés maîtriser l’alsacien, comme les Corses avaient tous la maîtrise de la langue corse ; aujourd’hui, sont identifiés 900 000 locuteurs alsaciens, sur une population totale de 1, 7 million de personnes, et 170 000 locuteurs corses pour 250 000 insulaires. En ce qui concerne la langue basque, à peine un quart de la population du Pays basque aurait encore aujourd’hui une compétence dans cette langue. Les locuteurs occitans seraient passés de 10 millions en 1920 à 2 millions aujourd’hui. On compterait 110 000 locuteurs catalans et 80 000 locuteurs flamands, ainsi que 2 millions de créolophones.

Voilà la mesure du terrible danger qui mettrait en péril la langue française !

Cela étant, nous ne voulons pas évacuer tous les arguments politiques, ni nier la légitimité de certains d’entre eux, ni ignorer la portée symbolique de certaines inquiétudes.

Allons au fond des choses. La question principale est probablement celle de notre conception de la nation, notamment de cette nation civique capable de construire de l’harmonie sans étrangler ses diversités originelles, qui sont réelles.

Nous devons donc nous interroger sur notre conception de l’État moderne.

Peut-être faut-il commencer par rappeler que la conception d’un pouvoir central détenteur de la souveraineté exclusive ne remonte pas à la Révolution. Elle remonte à l’Ancien Régime, ainsi qu’en témoignent les travaux de Jean Bodin, en 1576, sur la nouvelle théorie de la souveraineté et l’octroi au prince du monopole de la loi positive, qu’il exerçait sans aucun contrôle.

La Révolution a transféré les prérogatives du prince à la nation. L’unité, qui est une maxime fondamentale, entraîne une homothétie entre l’égalité et l’uniformité. Les citoyens sont considérés comme identiques pour être assujettis aux mêmes lois. L’intention n’est pas contestable, mais le fait est que l’écrêtement de la diversité culturelle et identitaire aboutit à une uniformisation, donnant lieu elle-même à de l’exclusion.

Autrement dit, sans que ce soit un projet, subrepticement, l’égalité cesse d’être une ambition pour faire pièce aux inégalités et devient le moteur de la transformation du tout-en-un. La diversité et les différences sont niées, la richesse qui en résulte est amoindrie. « Le divers rétrécit, telle est la menace. » C’est ce qu’écrivait déjà Victor Segalen au début du XXe siècle.

Nous devons donc nous interroger sur la façon dont le centralisme politique s’est traduit en un centralisme linguistique. Bien sûr, il ne s’agit pas de réactiver les querelles inutiles, de ressusciter un affrontement entre jacobins et girondins, ne serait-ce que parce qu’aucun de nous ne risque plus ce qui était en jeu à l’époque. Il convient néanmoins de voir comment s’est construit ce centralisme linguistique.

C’est l’ordonnance de Villers-Cotterêts qui, signée par François Ier en 1539, impose le français, au détriment du latin, dans la rédaction des actes juridiques et administratifs. À cette aune, notre langue aurait donc à peu près 500 ans d’âge. Mais certains linguistes renvoient aux serments de Strasbourg de 842, ce qui porterait l’âge de la langue française à plus d’un millier d’années, quand d’autres linguistes préfèrent se référer à la langue qui a été stabilisée au début du XVIIIe siècle.

En tout cas, c’est également au XVIe siècle, en 1536, que l’Acte d’Union liant l’Angleterre et le Pays de Galles indique explicitement que l’anglais sera la seule langue officielle.

Pour ce qui est de l’Espagne, c’est en 1707 que Philippe V proclame que le castillan sera la seule langue officielle du royaume, y compris en Catalogne et au Pays basque.

Ce n’est donc pas seulement en France que se conçoit et s’élabore un modèle de langue unitaire, à l’exclusion des autres langues.

En 1793, l’Abbé Grégoire, qui a par ailleurs laissé une belle œuvre sur le respect de la dignité humaine, explique devant le Comité d’instruction publique qu’il faut interdire les « jargons locaux et les patois de 6 millions de Français qui ne parlent pas la langue nationale », affirmant la nécessité « d’extirper la diversité de ces idiomes grossiers ».

L’année suivante, en 1794, Barère fait sa fameuse déclaration devant la Convention : « Nous avons révolutionné le gouvernement, les lois, les usages, les mœurs, les costumes, le commerce et la pensée même; révolutionnons donc aussi la langue, qui est leur instrument journalier. […] Le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton ; l'émigration et la haine de la République parlent allemand ; la contre-révolution parle l'italien ; et le fanatisme parle le basque. » Et d’ajouter : « Cassons ces instruments de dommage et d'erreur ! »

À cette époque, d’ailleurs, ceux qui usent des langues régionales risquent six mois de prison et la destitution lorsqu’ils sont fonctionnaires.

Pourtant, en 1714, Fénelon, s’interrogeant sur les occupations de l’Académie, écrivait à propos de la langue française : « Il me semble même qu’on l’a gênée et appauvrie, depuis environ cent ans, en voulant la purifier. »

Lorsque nous regardons aujourd’hui la beauté et la richesse de la langue française, nous pourrions y voir le signe de la victoire de ceux que j’ai cités précédemment. Toutefois, à interroger l’histoire, on se rend compte aussi que cette beauté et cette richesse doivent bien évidemment aux écrivains et aux poètes, mais aussi à l’extraordinaire développement des sciences, des arts, des techniques, des mathématiques, des sciences sociales, ainsi qu’à la traduction de nombreux ouvrages écrits en langues étrangères.

Il arrive un moment où l’apport de mots nouveaux est tel que l’Académie elle-même accepte de les accueillir. Elle distingue même entre la néologie, qu’elle considère comme bienvenue, et le néologisme qu’elle qualifie d’« affectation vicieuse ».

Cette beauté et cette richesse doivent également beaucoup aux langues régionales.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le français doit, par exemple, l’« amour » aux troubadours provençaux, le « bijou » au breton – la « cohue », aussi !

Sourires.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

… le « guignol » au lyonnais, le « maquis » au corse, l’« abeille » au provençal !

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous savons combien la gastronomie est prodigue autant en mots qu’en saveurs ! La Vendée le sait bien

M. Bruno Retailleau s’exclame.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

, qui fait rivaliser la gâche, la fouace et l’alise.

Sourires.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Frédéric Mistral a sans doute fait « chavirer » – terme provençal – tous les cœurs, en 1904, lorsqu’il a reçu le prix Nobel de littérature pour une œuvre en langue régionale.

Les auteurs sont nombreux à faire vivre les langues régionales. Je pense à Anjela Duval pour la Bretagne – je vais vous faire voyager ! –, à André Weckmann pour l’Alsace, à Jean Aritxelha pour le Pays basque, à Alfred Parépou et Élie Stephenson pour la Guyane, à Monchoachi et Jean Bernabé pour la Martinique, à Hector Poullet et Sylviane Telchid pour la Martinique, à Axel Gauvin et Davy Sicard pour la Réunion, à Nassur Attoumani pour Mayotte, parmi beaucoup d’autres…

Il nous revient donc de nous interroger sur l’inégalité des citoyens face à la langue et face aux langues.

Suffisamment de générations de linguistes se sont succédé pour nous éclairer, et nous savons grâce à eux que ce n’est pas la coexistence entre le français et une langue régionale qui crée des problèmes ; c’est au contraire le rapport de domination, lorsqu’il est instauré par la négation, la récusation et, parfois, la situation de diglossie créée par la persécution d’une langue, qui engendre des perturbations, des difficultés d’expression et d’apprentissage, ce que le grand poète Édouard Glissant appelle le tourment de langage, « l’impossible à exprimer ».

Consentir à l’enrichissement réciproque entre les langues, entre le français et les langues régionales, c’est aussi s’ouvrir à l’altérité. Nous savons à quel point la langue peut contribuer à l’épanouissement, grâce à tout ce qu’elle permet d’exprimer, grâce à l’imaginaire dans lequel il est possible de puiser et qui héberge les histoires, les cultures, les savoirs, les mémoires, les arts, les artisanats, les paysages.

Nous savons que la résidence de la langue, ce n’est pas que le sol ; c’est l’être, et l’être transporte la langue dans ses voyages. C’est cet être qui bouge, qui entre en relation, qui recherche la connaissance mutuelle, le partage, c’est cet être qui, par le dialogue et l’offrande, crée la possibilité d’une vie commune.

Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

La France puise de la vigueur dans l’enrichissement de sa langue, et cette langue s’enrichit dans le voisinage et le contact des langues régionales, dans l’échange avec elles.

La France peut ainsi conserver pour elle-même et offrir à l’Europe, aux territoires de la francophonie, au monde tout entier, ce patrimoine culturel et linguistique, à la fois riche et vivant, vivace, vigoureux.

Lorsque nous regardons l’histoire, nous voyons comment notre pays a su absorber nombre de transformations, et nous ne comprenons pas ce qui suscite aujourd’hui les craintes, …

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … quand il ne s’agit que de laisser respirer ce que la Constitution reconnaît déjà comme notre patrimoine national.

Applaudissementssur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Au reste, les lois de décentralisation ont contribué à répartir les compétences et les pouvoirs non régaliens, à rapprocher les centres de décision des citoyens, pour que ces derniers participent à la vie publique à l’échelle des territoires. C’est un signe de vitalité en même temps qu’un facteur d’épanouissement de la démocratie.

Le fait de reconnaître constitutionnellement ces langues et d’organiser leur espace d’expression relève de la même logique et de la même dynamique : faire vivre les territoires, faire participer nos concitoyens à la vie commune.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Mesdames, messieurs les sénateurs, écoutons avec attention ce que Pierre Mendès-France…

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … disait déjà en 1954 : « Connaissons donc notre pays comme il est : immense et divers. C’est la République française, telle qu’elle est proclamée dans nos lois. Sur toute son étendue, s’appliquent les mêmes principes de progrès et de liberté. »

Bravo ! et applaudissements prolongéssur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste. – Mme Hermeline Malherbe et M. François Fortassin applaudissent également.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Madame la garde des sceaux, je vous ai écoutée avec attention et même avec plaisir. Tandis que vous prononciez votre discours, je me disais : quelle érudition, quel talent !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Quelle culture historique, littéraire et linguistique ! Vous avez convoqué tant de bons auteurs pour témoigner de votre engagement sincère en faveur de la langue française et des langues régionales.

Je n’ai rien à retrancher à votre propos. Comme tous mes collègues, quel que soit le groupe auquel ils appartiennent

Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

… j’éprouve le même amour de la langue française, …

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

… que je manie sans doute avec moins de talent que vous, et j’ai le même souci de défendre et de promouvoir cette richesse que représentent les langues régionales.

Pas plus aujourd’hui qu’hier ou demain, il n’y aura de désaccord entre nous quant à la nécessité, non pas, comme vous le dites, de laisser « respirer » ce patrimoine, mais bien de le faire vivre, de le développer, de l’enrichir, et d’éviter qu’il ne dépérisse.

À cet égard, il y aurait beaucoup à dire de l’action menée par votre gouvernement depuis trois ans ! Car je n’ai pas vu de grand plan français pour le développement des langues régionales ou minoritaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

M. Jean-Claude Lenoir. Sauf pour la langue de bois !

Rires sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je n’ai pas non plus constaté une augmentation des crédits dévolus au développement des langues régionales ou minoritaires, au contraire ! En cette année 2015, ces crédits ont même été réduits, et je doute que le projet de loi de finances pour 2016 améliore la situation.

Bref, autant nous pouvons nous rejoindre dans les discours, autant je dois vous dire mon désaccord sur cette pratique où la parole tend de plus en plus à remplacer l’action.

Pour ma part, je suis sincèrement engagé en faveur du développement de ce patrimoine que constituent les langues régionales.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

En la matière, on ne peut pas être plus engagé que Mme la ministre !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

L’enjeu n’est autre que la coexistence de cultures différentes au sein de la République. À ce titre, quelques rappels s’imposent.

C’est en 2003 que nous avons inscrit dans la Constitution que l’organisation de la République était décentralisée.

C’est également en 2003 que nous y avons introduit un droit à l’expérimentation, un droit dont ce gouvernement n’a guère encouragé l’exercice dans les diverses réformes de l’organisation territoriale qu’il nous a soumises.

Et c’est en 2008 qu’a été ajoutée à la Constitution la phrase suivante : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. »

Aussi, madame la garde des sceaux, vous me permettrez de vous dire que personne, ici, n’a la moindre leçon à recevoir quant à la sincérité et la vigueur de son engagement en faveur de toutes les langues de France !

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de plusieurs travées de l'UDI-UC. – M. David Assouline proteste.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

En songeant en particulier à nos compatriotes d’outre-mer, parmi lesquels figurent beaucoup d’enfants dont la langue maternelle n’est pas le français, j’ajoute qu’il est urgent de développer des pédagogies passant par la pratique du créole pour l’apprentissage de l’écriture et de la lecture. Ces méthodes ne sont pas suffisamment développées aujourd’hui.

Ah ! si nous le voulions, comme nous pourrions être efficaces pour soutenir toutes ces familles dans l’accès à la connaissance, en respectant davantage les langues régionales en tant qu’instruments de l’acquisition de nouveaux savoirs par l’enfant, dès le plus jeune âge !

Nous avons d’ailleurs déposé une proposition de loi en vue de consolider le socle juridique des langues régionales.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Cette proposition de loi comporte des mesures concrètes. J’espère que son examen nous permettra de prolonger ce large consensus, que je crois discerner entre nous, en faveur du développement des langues régionales.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

J’en suis sûr, notre accord en faveur des langues régionales se double d’un autre consensus, autour des principes fondamentaux de notre pacte républicain.

Madame la garde des sceaux, vous n’avez pas osé modifier ces principes de manière frontale via cette révision constitutionnelle. C’est donc que vous êtes pour l’égalité devant la loi, quelles que soient l’origine, la race, la croyance ou la religion – je me réfère à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen –, vous êtes pour l’unité et l’indivisibilité de la République, …

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

… qui n’empêchent en rien son organisation décentralisée, vous êtes pour le fait que la langue de la République soit le français, et certainement pour cette adjonction faite à notre Constitution en 2008, adjonction aux termes de laquelle les langues régionales font partie du patrimoine culturel de la France.

À mon sens, contrairement à ce que vous disiez, le désaccord ne porte sur aucun de ces points. Il porte simplement sur la conception que révèle ce projet de révision constitutionnelle quant au respect, exigé par notre pacte fondamental, des principes constitutionnels que je viens d’énoncer et auxquels vous souscrivez certainement.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

De fait, nous vivons dans la même République.

Le désaccord porte également sur la signature de la France, qui n’est pas un enjeu secondaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

En ratifiant un pacte, une convention, nous nous engageons à l’appliquer loyalement, non selon l’interprétation que nous en faisons mais selon celle qu’en font ses signataires.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Ce n’est pas du droit, c’est une simple diversion !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Ce n’est pas exactement la même chose, surtout lorsque cette convention exclut la possibilité d’émettre des réserves quant à son application. Or tel est précisément l’objet de l’article 21 de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Sur ce point, notre désaccord est grave. Il me semble même irréductible.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

M. Philippe Bas, rapporteur. La révision constitutionnelle que vous préconisez ne purge pas l’inconstitutionnalité de cette charte. Cette dernière, en effet, ne se limite pas aux trente-neuf engagements auxquels vous souhaitez souscrire, et qui sont déjà entièrement appliqués par les institutions de la République !

Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Dès lors, ratifier la Charte n’est nullement nécessaire pour appliquer ces engagements !

Mais cette charte, c’est aussi son préambule, qui proclame le droit imprescriptible de pratiquer une langue régionale dans la vie publique ; c’est aussi sa première partie, qui prévoit que les circonscriptions administratives ne doivent pas être contraires aux aires géographiques dans lesquelles se pratiquent des langues régionales

M. Ronan Dantec proteste.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Sur ces points, aucune réserve n’est possible.

Du reste, la déclaration interprétative que vous avez évoquée, et qui est mentionnée dans ce projet de révision constitutionnelle, ne prévoit pas de réserves d’interprétation sur ces différents points. Elle est lacunaire. En effet, la décision du Conseil constitutionnel que vous prétendez vouloir appliquer est postérieure d’un mois à cette déclaration interprétative. Vous n’avez pas pris le temps de la relire pour la corriger !

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Enfin, le fait que cette ratification puisse être accompagnée d’une déclaration interprétative ne purge pas le vice d’inconstitutionnalité de la Charte.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Si la Charte devait être appliquée, elle le serait dans un sens contraire à notre Constitution.

Cette révision constitutionnelle impliquerait l’obligation de ne pas respecter la Charte au moment même où sécherait l’encre de la signature apposée par le Président de la République sur l’acte de ratification.

Les réserves sont interdites. Le système proposé l’indique clairement : c’est aux autorités instituées par la Charte qu’il appartiendra d’interpréter les devoirs des États qui la ratifient. En conséquence, nous serions en tort, non seulement vis-à-vis des vingt-quatre autres signataires de cette charte qui l’ont ratifiée, mais aussi au regard de notre propre Constitution.

J’entends bien que cette charte a une forte portée symbolique. Mais elle est inutile pour promouvoir les langues régionales !

Je tiens à saluer le remarquable travail accompli par la délégation générale à la langue française et aux langues de France. Il est grand temps que le Gouvernement s’inspire de ses recommandations pour mener une politique réellement ambitieuse au service des langues régionales.

Mes chers collègues, cette révision est donc inutile. Pis, son adoption nous conduirait à enfreindre à la fois notre Constitution et la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Voilà pourquoi il ne faut pas voter ce projet de loi constitutionnelle.

Permettez-moi d’évoquer aussi l’article 5 de la Constitution, article fondamental puisqu’il définit les missions du Président de la République, lequel nous a proposé cette révision en application de l’article 89 de la Constitution. Que dit donc cet article 5 ? Que « le Président de la République veille au respect de la Constitution » et qu’« il est le garant du respect des traités. »

Cette révision constitutionnelle conduirait à ne pas respecter la Constitution et à violer un traité, s’il était ratifié.

M. Ronan Dantec s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Gardons à l’esprit ce proverbe créole antillais : Moun pa ka achté chat an sak.

Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Daunis

M. Marc Daunis. La prononciation n’est pas excellente…

Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

« Un chat en sac ne doit pas être acheté »… parce qu’il vous sauterait à la figure !

Eh bien, cette révision constitutionnelle, c’est un chat en sac, et je ne l’achèterai pas !

Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Frédérique Espagnac

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si le débat sur la ratification de la Charte européenne sur les langues régionales ou minoritaires est inscrit aujourd’hui à l’ordre du jour de la Haute Assemblée, c’est parce que le Président de la République, dont je connais l’attachement à l’histoire, je devrais même dire aux histoires…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

M. Jean-Claude Lenoir. Il est en effet familier des histoires !

Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Frédérique Espagnac

… de France, et aux cultures locales de notre pays, s’y est engagé.

Mais la question de la place des langues régionales ou minoritaires n’est pas nouvelle.

Ainsi, le 14 mars 1981, François Mitterrand déclarait : « Le temps est venu d’un statut des langues et cultures de France qui leur reconnaisse une existence réelle. Le temps est venu de leur ouvrir grandes les portes de l’école, de la radio et de la télévision permettant leur diffusion, de leur accorder toute la place qu’elles méritent dans la vie publique ». Il ajoutait souhaiter que la France cesse d’être « le dernier pays d’Europe à refuser à ses composantes les droits culturels élémentaires, reconnus dans les conventions internationales qu’elle a elle- même signées ».

Jacques Chirac, le 29 mai 1996 à Quimper, lors de son premier voyage officiel en Bretagne en tant que Président de la République, se déclarait ouvert à la signature par la France de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires adoptée par le Conseil de l’Europe à Strasbourg le 24 juin 1992.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

C’est lui qui a saisi le Conseil constitutionnel en 1999 !

Debut de section - PermalienPhoto de Frédérique Espagnac

Il y a seize ans déjà, la France signait la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Elle n’a jamais franchi le pas historique de sa ratification.

Allons-nous enfin le franchir aujourd’hui ?

Debut de section - PermalienPhoto de Frédérique Espagnac

Mme Frédérique Espagnac. Allons-nous enfin dépasser ces blocages constitutionnels, ou plutôt de ces arguties procédurales de mauvaise foi

Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Frédérique Espagnac

Vingt-cinq de nos voisins européens ont ratifié cette charte, sans que se posent des problèmes de blocages constitutionnels. Ces pays ont adopté librement et en cohérence avec leur politique linguistique nationale les dispositions de la Charte européenne, dites de droit souple, sur lesquelles ils souhaitaient s’engager.

En France, nous nous heurtons depuis trop d’années à des blocages minoritaires, animés par des peurs et du mépris, plutôt que portés par des arguments juridiquement fondés.

Car la constitutionnalité du projet de loi autorisant la ratification de la Charte européenne a été traitée très rigoureusement et avec une grande vigilance, afin d’écarter tous les risques et toutes les craintes exprimées quant à la compatibilité entre la Charte et notre Constitution. Je fais référence ici au travail remarquable qui a abouti à la formulation de la déclaration interprétative par la France, le 7 mai 1999, déclaration qui permet de répondre clairement aux interrogations et de lever toute ambiguïté sur la compatibilité entre le projet de loi et les articles 1er et 2 de notre Constitution, touchant à l’indivisibilité de notre République, à la langue française et à l’égalité de tous les citoyens devant la loi.

Mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle dont nous débattons aujourd’hui ne remet nullement en cause le français et les principes de notre République qui font la fierté de nos concitoyens. Bien au contraire, il renforce la cohésion sociale au sein de notre société.

Debut de section - PermalienPhoto de Frédérique Espagnac

Le bilinguisme n’est pas l’ennemi de la République. C’est l’école de la tolérance, du civisme et de l’ouverture à l’autre, comme vous l’avez si bien dit, madame la ministre. La France, pays des droits de l’homme, ne peut pas refuser le droit linguistique !

Nous devons nous garder de tomber dans les caricatures trop faciles qui font des langues régionales des vecteurs de propagation d’aspirations politiques, ethniques ou territoriales.

Il est même insupportable de lire que la ratification de la Charte « reviendrait à inscrire le principe du communautarisme dans la Constitution française », comme a pu l’écrire le président du groupe Les Républicains, à l’occasion du dépôt de dernière minute de votre proposition de loi, monsieur le rapporteur.

La Charte est très claire et précise qu’elle ne prend pas en compte la langue des migrants, mais seulement les langues indigènes.

Quant au risque de conflit de droit également évoqué, il s’agit d’un argument juridique sans fondement, au service d’une mauvaise foi sans nom !

Il est inacceptable, aujourd’hui, de confisquer ce débat en déposant une motion de procédure. C’est incompréhensible, quand on tient à cette institution, le Sénat, dont beaucoup d’entre nous revendiquent la défense.

Dans mon territoire, où se côtoient les langues béarnaise, occitane et basque dans la vie quotidienne des habitants, dans les crèches, dans les écoles, à l’occasion des événements culturels, sportifs et autres, il existe un profond respect de ce patrimoine linguistique, partagé par nos jeunes et nos aînés, comme par les nouvelles populations qui viennent s’y installer.

J’ai été frappée par les nombreux témoignages des anciens qui, encore aujourd’hui, restent très marqués par les souvenirs douloureux d’un temps où les langues régionales étaient combattues et mises à mal par le système éducatif français. Que répondre à ces personnes, qui craignent aujourd’hui de voir disparaître une langue qui est souvent leur langue maternelle ? Ce refus de les entendre, monsieur Mézard, s’accompagnerait-il d’une réticence à les tenir pour égaux parce que leur langue maternelle n’est pas le français ?

En même temps, j’observe chaque jour l’engouement des jeunes générations et des populations nouvellement installées sur le territoire pour apprendre et faire vivre cet héritage précieux, qui leur procure une grande fierté.

Les langues régionales ne sont pas des vestiges du passé. Elles ont un avenir, entre les mains de nos futures générations. Face à un monde globalisé, celles-ci se les approprient et les revendiquent comme leurs racines, leur identité, leur richesse !

Dans mon territoire, mais aussi dans les vôtres, chers collègues, de nombreux élus locaux, de tous les bords politiques, se sont engagés dans l’expérimentation du bilinguisme au sein de leurs collectivités, afin de répondre à la demande de leurs administrés. Cela montre bien qu’il est possible de faire coexister ces langues et le français sans que la qualité du service public en pâtisse !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Eh oui ! Justement, tout cela est déjà possible !

Debut de section - PermalienPhoto de Frédérique Espagnac

Mes chers collègues, si ce débat a lieu aujourd’hui, c’est aussi parce que ces hommes et ces femmes qui respectent et défendent ces langues attendent de nous, sénateurs, représentants des territoires, de leur diversité, de leur culture, un message positif et un signe fort en faveur de ce patrimoine culturel oral et immatériel. Ces hommes et ces femmes souhaitent tout simplement bénéficier d’une loi précisant et réglementant les actions à mettre en place pour l’ensemble des langues de France. Ils ont dû faire preuve d’une grande patience, au moins égale à leur détermination !

Oui, une avancée en faveur de la reconnaissance de ce patrimoine a bien été entamée en 2008, je vous le concède. Elle est toutefois insuffisante, car elle ne précise pas nettement les contours des mesures de protection et de développement des langues régionales.

Qu’attendons-nous pour poursuivre et terminer le processus démocratique déjà engagé par nos prédécesseurs, qui dépasse les clivages politiques traditionnels ?

Qu’attendons-nous pour accorder une véritable reconnaissance, un statut juridique clair, des moyens de développement et de promotion de notre patrimoine linguistique à la hauteur de son indéniable richesse ?

Enfin, dans votre proposition de loi, monsieur le président de la commission des lois, qui n’est qu’une reprise de la proposition de loi de M. Le Fur de 2013, lequel ne souhaitait pas alors s’associer à celle que soutenait le député Armand Jung, vous ne tenez même pas compte les évolutions institutionnelles que nous avons votées – puisque vous avez entendu donner une leçon à Mme la garde des sceaux, souffrez d’en subir une à votre tour ! Il en va ainsi de certaines dispositions de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, des modifications introduites à l’article L. 212-8 du code de l’éducation par la loi NOTRe ou de la question de la délégation pour la culture modifiée par la loi MAPTAM – loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. Tout cela n’est pas bien sérieux !

Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

Vous avez épuisé votre temps de parole, ma chère collègue.

Debut de section - PermalienPhoto de Frédérique Espagnac

C’est dommage, car je voulais vous lire en conclusion, chers collègues, un beau texte que Jaurès a écrit à Saint-Jean-de-Luz en 1911. Je ne citerai donc que sa première phrase, mais je transmettrai la suite à tous ceux qui souhaiteront la connaître : « Il y a quelques semaines, j’ai eu l’occasion d’admirer en Pays basque, comment un antique langage, qu’on ne sait à quelle famille rattacher, n’avait pas disparu. »

Chers collègues de la majorité sénatoriale, votre argumentaire pour vous opposer à la ratification de la Charte des langues régionales ou minoritaires n’est pas à la hauteur de ce débat !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Memez, ar brezonegh zo eur yezh flour ! Depuis maintenant plusieurs décennies, cette phrase m’accompagne et nourrit mes interrogations sur la marche du monde, sur ses mutations culturelles, sur le droit redoutable que s’arrogent ceux qui portent l’action publique de décider pour autrui ce qui sera bon pour lui.

Memez, ar brezonegh zo eur yezh flour ! : « Quand même, la langue bretonne est une bien belle langue ! » Cette traduction littérale appauvrit un peu le sens du mot flour, plus riche et plus précis que « beau » ou « magnifique ». Dans flour, il y a aussi l’idée de douceur.

Cette phrase m’a un jour été adressée par la maîtresse de maison de la ferme où j’effectuais un stage d’étudiant. Sa force ne réside pas dans l’affirmation que la langue bretonne est belle – tout le monde trouve magnifique sa langue maternelle –, mais dans l’adverbe memez, « quand même ».

Pour la génération de mon interlocutrice, ce « quand même » exprime tout le désarroi, toutes les questions que suscite l’abandon de sa langue natale. Pourquoi avoir abandonné sa langue ? Pour se plier à l’injonction de l’instituteur, prompt à vous mettre autour du cou ce morceau de bois, symbole annonçant la punition, quand il vous surprenait à parler breton ? Ou parce qu’on a cédé à la pression des parents et de l’entourage, qui considéraient que le français était le passage obligé vers l’avenir, dans des sociétés marquées par l’exode rural et l’émigration ? Ou bien encore parce que l’on avait intégré les contraintes des modèles économiques libéraux, exigeant de la main-d’œuvre mobile et parlant une langue commune ? Probablement un peu de tout cela…

Ce « quand même » dit l’incompréhension, la culpabilité aussi, la colère parfois, de celles et ceux qui ont brisé la chaîne de la transmission et n’ont pas appris la langue, leur propre langue, à leurs enfants.

Mesdames, messieurs les sénateurs, chers collègues, adopter enfin la Charte européenne des langues régionales, ce serait dire enfin que notre pays a tourné la page de ce temps d’avant, celui du déracinement et des émigrations massives de Bretons, d’Auvergnats, d’Antillais vers les centres urbains, celui de la condescendance profonde vis-à-vis d’un monde rural si longtemps dépeint sous les traits de Bécassine, auquel s’opposait le lettré de la grande ville.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Très bien, coupons les routes et restons tous chez nous !

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Ce serait dire que nous n’avons plus peur des diversités, que nous en avons fini avec les haines nationalistes et les mépris colonialistes qui marquèrent tragiquement les siècles passés.

Ratifier cette charte, ce serait donc également dire notre confiance en l’avenir et participer à la construction de sociétés plus tolérantes et apaisées.

Cet acte de ratification pose donc clairement notre responsabilité politique collective.

Hormis quelques nostalgiques du temps d’avant les tranchées de 14-18, nous aurions dû tous nous rassembler pour approuver ce texte. Le seul débat susceptible d’avoir lieu aurait dû porter sur la possibilité d’une ratification plus large que les trente-neuf articles retenus par la France.

Malheureusement, pour des raisons tenant à des tactiques politiciennes à visées immédiates et à un vieux fond conservateur, ce texte est sous la menace d’une question préalable qui me laisse, je dois le dire, atterré.

Pour nous garder des faux débats, je souhaite vous lire deux extraits du préambule tant décrié de cette charte, qui date donc de 1992.

« Considérant que le droit de pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique constitue un droit imprescriptible, conformément aux principes contenus dans le pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations unies, et conformément à l’esprit de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du Conseil de l’Europe ; »

Ou encore : « Soulignant la valeur de l’interculturel et du plurilinguisme, et considérant que la protection et l’encouragement des langues régionales ou minoritaires ne devraient pas se faire au détriment des langues officielles et de la nécessité de les apprendre ;

« Conscients du fait que la protection et la promotion des langues régionales ou minoritaires dans les différents pays et régions d’Europe représentent une contribution importante à la construction d’une Europe fondée sur les principes de la démocratie et de la diversité culturelle, dans le cadre de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale ; »

Je ne suis pas certain que tout le monde ici ait vraiment lu ces mots. Tout y est pourtant dit : droit imprescriptible, reconnu par les Nations unies ; nulle mise en cause des langues officielles et de la souveraineté nationale.

Cela aurait dû suffire à nous rassurer et à nous rappeler que la patrie autoproclamée des droits de l’homme ne peut pas mettre un quart de siècle à ratifier un texte déclinant un droit imprescriptible reconnu par les Nations unies !

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Un texte dont la ratification est même nécessaire à l’adhésion à l’Union européenne, ce qui signifie que, s’il n’était pas un membre fondateur, notre pays ne pourrait même pas rejoindre aujourd’hui l’Union européenne !

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Rappelons ici quelques éléments, afin de ne pas nous perdre dans des débats d’un autre siècle.

N’en déplaise au rapporteur, qui a dû déployer tout son talent pour trouver des arguties juridiques à l’appui de cette question préalable, son argumentaire reste faible, contradictoire et tient, malheureusement, plus du sophisme que du paralogisme.

Rappeler la Constitution ne nuit pas : une fois le nouvel article 53-3 adopté, c’est bien la déclaration interprétative qui prévaudra sur d’éventuelles stipulations internationales. Telle est la stricte logique du droit français !

Inventer des risques contentieux qui n’existent pas, qu’aucun pays signataire n’a jamais rencontrés, n’a d’autre objectif que d’échapper au débat de fond. La droite sénatoriale n’en voulait pas, par calcul politicien, pour s’opposer au Président de la République, mais aussi par peur d’étaler ses propres divisions, comme ce fut le cas à l’Assemblée nationale !

Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

À l’inverse, ne pas adopter la Charte, c’est ouvrir la porte à tous les recours, y compris sur l’application des dispositions relatives aux langues régionales que nous avons votées dans la loi NOTRe et dans la loi MAPTAM.

Ce procédé de contournement est bien médiocre. Cette fuite devant le débat augure mal de la capacité de la majorité sénatoriale à affronter et à trancher demain d’autres débats. L’immobilisme, je le crains, restera sa boussole, sa seule réponse à ses propres divisions. À moins que l’emploi de certains mots que l’on brandit ici, comme « communautarisme », n’indique une direction assumée, celle de concurrencer l’extrême droite dans ses discours de repli !

Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Permettez-moi de relever qu’en juillet dernier, à Genève, le comité des droits de l’homme a encore exhorté la France à retirer les réserves et clauses interprétatives habituelles des conventions internationales qu’elle ratifie. Voilà la preuve que ces clauses font la loi – sinon, nul ne s’en inquiéterait ! – et que l’image de la France n’est pas obligatoirement celle que nous imaginons.

J’aurais préféré que le rapporteur s’inquiétât davantage de cette image abîmée de la France dans le monde que de la cohésion de son groupe parlementaire. On pourrait aussi estimer que Philippe Bas et ses collègues, au premier chef le président du groupe Les Républicains, Bruno Retailleau, devraient d’abord se soucier d’éviter l’affaiblissement de la République et sa désagrégation dans les particularismes !

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Mais ce n’est pas du tout le cas ! Leur propos est finalement assez simple : pas besoin de charte, laissons faire les régions ! Que les conseils régionaux s’en occupent, financent l’enseignement, les médias... C’est une affaire locale, régionale, et non nationale ! Si l’on veut convaincre les uns et les autres qu’ils sont en périphérie de la République, c’est effectivement ainsi qu’il faut procéder, en les ramenant toujours à leur singularité !

Voter cette charte, c’est au contraire dire l’égalité des citoyens, qui ont tous droit, sur tout le territoire de la République, à la pratique des différentes langues de France. C’est une approche très différente et, je le pense profondément, bien plus républicaine.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Je cite Bruno Retailleau, expert en identité locale, ou du moins vendéenne : « La Vendée a développé une identité très puissante à partir d’une tragédie. » Voir disparaître sa langue dans l’indifférence, voire l’hostilité du pouvoir central est aussi une tragédie. Évitons donc de nourrir les colères identitaires !

Dès lors, voter contre la Charte constitue bien une attaque sournoise contre l’unicité de la République, une incitation au repli identitaire, et je vous exhorte, chers collègues, à vous y opposer fermement !

Regardons le monde et sortons de nos archaïsmes : la plupart des États de cette planète n’ont pas la même peur panique de leur propre diversité. Les exemples foisonnent !

Sortant des ténèbres de l’apartheid, l’Afrique du Sud, dans sa Constitution de 1996, a donné un statut officiel à onze langues sur son territoire, le xhosa à égalité avec l’afrikaans, le zoulou à côté de l’anglais, le ndébélé respecté comme le sotho. Beau symbole d’une nation vivante, s’ouvrant à un nouvel avenir !

Pourtant patrie des Lumières, la France frémit encore à l’idée de signer une Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ! C’est dire à quel point nous sommes encore loin d’un statut officiel d’égalité entre les langues, statut qui est pourtant la norme dans la plupart des grands pays de culture ancienne. Le Maroc en reconnaît deux, l’arabe et l’amazighe berbère ; mais c’est également le cas du Canada où nous, Français, veillons à ce que notre langue reste l’égale de l’anglais ; et je ne parle pas de l’Inde, où vingt-deux langues – un cauchemar, sans doute, pour certains d’entre nous ! – sont officiellement reconnues dans la Constitution…

À contre-courant et surtout à contretemps du monde, nous affichons toujours notre logique tatillonne de l’égalité, mais, pour reprendre les mots de l’historienne Mona Ozouf, il s’agit d’une logique égarée, qui confond l’égalité avec la ressemblance, voire la similitude. Or cet égarement nous coûte cher, car il est empreint de beaucoup de mépris envers ceux qui ne sont pas dans la norme et les cadres culturels fixés. Un sénateur n’a-t-il pas déclaré en commission des lois, concernant la ratification de cette charte et la manière dont elle est ressentie, selon lui, « par le plus grand nombre de nos concitoyens » : « Il n’y a pas que des lettrés en France [...] et ce sera une catastrophe. » Que de mépris dans cette phrase ! Ces « ploucs » qui se contentent de baragouiner quelques mots de français vous remercient, monsieur le sénateur !

Chers collègues, si je vous demande de voter cette charte, c’est justement pour en finir avec ce mépris-là, avec cette arrogance des « sachants » et des élites éclairées conduisant le peuple. C’est au nom de tous ceux qui ont vécu la violence de l’abandon de leur langue. C’est pour ceux qui aujourd’hui les parlent toujours, les apprennent même, s’investissent pour sauver une parcelle de la diversité du monde, et qui n’en peuvent plus de cette injustice.

Cette charte est un message fraternel adressé à tous ceux qui, par leur origine ou leurs choix de vie, ne sont pas tout à fait à l’image de « nos ancêtres les Gaulois », ce peuple qui, vous le savez bien, n’a jamais vraiment existé au-delà des images d’Épinal et des cartes Rossignol, mythe facile pour ceux qui refusent la complexité du monde, sa « créolisation », pour reprendre l’expression magnifique d’Édouard Glissant.

Ratifier cette charte, c’est adresser un message de respect autant à mes grands-parents bretonnants disparus qu’aux jeunes élèves des écoles bilingues, c’est construire une société plus solide, car la Nation, c’est bien la volonté de vivre ensemble. Or ce « vivre ensemble » ne peut se construire sur la négation de nos diversités !

Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Navarro

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, dès mon élection au Sénat, en 2008, je me suis mobilisé pour défendre les langues régionales de manière générale et pour la ratification de la Charte européenne des langues régionales en particulier.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Navarro

Le 30 juin 2011, un débat s’est enfin tenu au Sénat sur le sujet, autour d’une proposition de loi ambitieuse. C’était un débat historique, le premier depuis 1951 !

Je me félicite que le groupe Les Républicains ait déposé une proposition de loi visant à promouvoir les langues régionales et que celle-ci reprenne une partie de mes propositions de l’époque.

J’ai également déposé, le 24 février 2012, une proposition de loi constitutionnelle qui poursuivait le même objectif que celle que nous examinons aujourd’hui.

Bien sûr, je ne suis pas dupe ! Pourquoi, à l’époque, ma proposition de loi constitutionnelle n’a-t-elle trouvé aucun soutien ? J’appartenais alors au groupe majoritaire, et mon texte visait à mettre en œuvre l’un des engagements de campagne de M. Hollande en 2012.

Pourquoi attendre la fin de 2015 pour présenter un texte, juridiquement bancal qui plus est ?

Il n’aura échappé à personne que les élections régionales approchent... Je le dis sans animosité, un tel opportunisme sur un sujet important pour nombre de nos concitoyens me semble particulièrement minable !

Néanmoins, je ne bouderai pas mon plaisir, et soutiendrai ce texte, comme celui des Républicains lorsqu’il sera examiné, car c’est l’occasion que j’attends depuis trop longtemps, avec bon nombre de nos concitoyens.

Notre responsabilité est de faire entrer pleinement les langues régionales au cœur de la République. Vous le savez, je viens du Languedoc-Roussillon. Dans cet hémicycle, d’autres viennent de Provence, d’Alsace, de Picardie, de Bretagne, d’Auvergne, de Corse, du Pays basque, de Guyane…

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Navarro

Ou de Normandie !

Devant cette diversité, je me remémore l’histoire de France. Je songe aux soldats de l’an II, à ceux de Victor Hugo ! Quelle langue parlaient-ils entre eux ? Je songe aux Marseillais entonnant un chant qui est aujourd’hui notre hymne national.

Mes chers collègues, comment ne pas penser aux tranchées de 14-18 et à tous ces soldats qui se retrouvaient le soir, après l’assaut meurtrier, autour d’une soupe claire et d’un patois ?

Pouvons-nous dire aujourd’hui, dans cette enceinte, que nos aînés aimaient si peu la République qu’ils s’exprimaient dans leur langue maternelle ?

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Navarro

Les langues régionales sont le corps de notre nation, elles ne sont ni de droite ni de gauche. Nous devons les défendre, leur donner vie dans notre République une et indivisible, mais riche, tellement riche de sa diversité !

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Navarro

Oui, la France est grande parce qu’elle a su, au-delà des langues, unifier un peuple autour de valeurs communes.

Je vous demande de dépasser les clivages politiques traditionnels : les langues régionales ne sont pas les adversaires de notre République et de sa langue, le français.

Nous avons une obligation : celle d’être les passeurs d’un savoir, d’un patrimoine. Nos langues et cultures régionales sont notre patrimoine commun et une partie du patrimoine de l’humanité. Il est de notre devoir d’en d’assurer l’épanouissement sur notre territoire.

La République a un rôle à jouer : gardienne des valeurs et des principes fondamentaux, elle doit être attentive à la vie de ces langues et cultures qui existent sur son territoire, en métropole comme outre-mer, aux demandes, aux attentes de ceux qui, précisément, les font vivre.

Notre pays protège bien ses monuments historiques et ses œuvres artistiques. Pourquoi ne pas porter la même attention à notre patrimoine linguistique ainsi qu’à notre diversité culturelle ?

Cette charte, je tiens à le rappeler, ne vise pas à affaiblir la langue française, qui reste le ciment de la République.

Mes chers collègues, les tergiversations n’ont que trop duré ! Il faut rejeter la question préalable proposée par la commission des lois, examiner ce texte et avancer enfin !

Si la proposition du Gouvernement n’est pas la bonne d’un point de vue juridique, trouvons une autre formulation !

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Navarro

Je rappelle aux membres de la commission des lois que l’élu de la République a un droit formidable, celui d’amender. Selon moi, la question préalable est, au choix, un signe de lâcheté ou de fainéantise.

Je réitère la proposition qui figurait dans ma propre proposition de loi constitutionnelle, laquelle visait à modifier l’article 2 de la Constitution en complétant le premier alinéa par les mots : « dans le respect des langues et cultures régionales qui appartiennent au patrimoine de la France, conformément à l’article 75-1 de la Constitution. »

Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

M. Jacques Mézard. Madame la garde des sceaux, j’aime vos discours, même quand vous ne parlez pas de droit. Mais cet amour ne saurait me rendre aveugle !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Avec plusieurs collègues du groupe RDSE, je voterai contre ce projet de loi constitutionnelle. Une autre voix, celle de notre collègue Hermeline Malherbe, exprimera une approche différente de cette question, dans la tradition de liberté et de respect des avis contraires du RDSE.

Sur les quarante-sept membres du Conseil de l’Europe – car il convient de rappeler qu’il s’agit d’une initiative du Conseil de l’Europe, non de l’Union européenne –, la France fait partie des huit nations qui ont signé la Charte européenne sans l’avoir ratifiée. À ce jour, seuls vingt-cinq pays sur quarante-sept l’ont ratifiée.

Est-il aujourd’hui opportun d’alimenter une querelle sur une question qui n’est manifestement pas primordiale aux yeux d’une très grande majorité de nos concitoyens, préoccupés par les vrais sujets ?

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

M. Jacques Mézard. J’ose espérer que la date de ce débat est un hasard du calendrier.

Rires sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Il est fallacieusement présenté comme un débat pour ou contre les langues régionales. Ce n’est pas le cas !

Opposés à ce projet, nous ne remettons nullement en cause l’existence et la pratique des langues régionales, ni le concours que peuvent leur apporter, de par la loi, tant l’État que les collectivités locales.

En tant qu’homme du Sud-Ouest, je comprends l’attachement de nombre de nos concitoyens à leurs traditions, aux sonorités linguistiques en harmonie avec une histoire et un territoire. Et je n’oublie pas l’outre-mer, cher à notre collègue Guillaume Arnell !

Pourquoi, avec plusieurs de nos collègues, ne voterons-nous pas ce texte ? Parce qu’il est totalement irrecevable, incohérent au regard du droit constitutionnel et du droit tout court. Parce qu’il est contraire aux intérêts fondamentaux de la Nation. Parce que, sous couvert de respect de la diversité, il remet en cause l’égalité devant la loi, ce qui est tout simplement contraire à l’essence même de la République, de cette grande nation, qui, depuis deux cent vingt-trois ans, se veut « indivisible, laïque, démocratique et sociale » au sens de l’article 1er de notre Constitution, laquelle précise dans son article 2 que « la langue de la République est le français ».

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur plusieurs travées du groupe Les Républicains et au banc de la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

La construction de la nation avait commencé bien des siècles avant la Révolution. Que de combats, de volonté pour la bâtir à partir d’une diversité géographique, ethnique et sociologique ! La France est un mouvement constant de rassemblement des diversités, avec pour ciment une langue toujours en évolution, formidable instrument de progrès et de lien entre les hommes.

Le texte que vous nous soumettez, madame la garde des sceaux, n’est pas compatible avec les articles 1er et 2 de la Constitution.

Le débat était déjà ouvert en 1999 entre, d’un côté, Jacques Chirac, Président de la République, et Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’intérieur, et, de l’autre, Lionel Jospin, Premier ministre, apôtre, déjà, de la ratification, bien que l’Armée révolutionnaire bretonne eût revendiqué le plastiquage d’un bâtiment administratif en son canton de Cintegabelle après l’arrêt du Conseil constitutionnel du 14 juin 1999.

Sourires sur les mêmes travées.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Mes chers collègues, la République des « bonnets rouges » n’est pas la mienne !

Nouveaux sourires sur les mêmes travées.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Je vous invite à relire, même si je pense que vous l’avez tous fait, la Charte du 5 novembre 1992. Pour ma part, je l’ai relue plusieurs fois, car il s’agit bien de l’essentiel.

Je vous en rappelle quelques paragraphes significatifs.

Le préambule considère comme un droit imprescriptible « le droit de pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique ».

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

L’article 7 impose comme objectif aux signataires « le respect de l’aire géographique de chaque langue régionale ou minoritaire », et ce, si nécessaire, contre les divisions administratives, ainsi que « la facilitation et l’encouragement de l’usage oral et écrit des langues régionales ou minoritaires dans la vie publique et dans la vie privée ».

En vertu de l’article 9, qui traite de la justice, madame la garde des sceaux, les parties s’engagent, s’agissant des procédures pénales, « à prévoir que les juridictions, à la demande d’une des parties, mènent la procédure dans des langues régionales ou minoritaires ». Idem pour les procédures civiles et administratives.

L’article 10, relatif aux services publics, dispose que « les parties s’engagent, dans la mesure où cela est raisonnablement possible : à veiller à ce que ces autorités administratives utilisent les langues régionales ou minoritaires ; à veiller à ce que ceux de leurs agents qui sont en contact avec le public emploient les langues régionales ou minoritaires ». Idem sur les médias, la vie économique et sociale, les échanges transfrontaliers !

Tout cela participe d’une idéologie de destruction des États-nations pour construire une Europe de grandes régions. L’exemple de la Catalogne est là pour nous le rappeler, et je n’ose décliner ce principe à l’échelon des grandes intercommunalités !

Mme Sophie Joissains applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Au vu du contenu de la Charte, il était inéluctable que le Conseil constitutionnel déclare, le 16 juin 1999, qu’elle comportait des clauses contraires à la Constitution et que, en conséquence, pour la ratifier, il fallait une révision préalable de la Constitution.

Le Conseil constitutionnel a dit qu’il lui appartenait de procéder au contrôle de la constitutionnalité des engagements souscrits par la France « indépendamment de la déclaration interprétative faite par le gouvernement français lors de la signature ».

Le Conseil constitutionnel, toujours, se fondant sur l’article 1er de la Constitution, a considéré que « ces principes fondamentaux s’oppos[aient] à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d’origine, de culture, de langue et de croyance ».

Ensuite, en vertu de l’article 2 de la Constitution, il a considéré que « l’usage du français s’impos[ait] aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public ». Là est bien le problème de fond !

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Ainsi, nous sommes en présence d’une disposition du préambule de la Charte et de trois dispositions de son article 7 qui sont contraires à la Constitution de la République française.

De surcroît, notre excellent rapporteur a relevé avec justesse que le Conseil constitutionnel avait fait état de difficultés constitutionnelles soulevées par des dispositions de la Charte qui n’étaient pas correctement prises en compte dans la déclaration interprétative !

Enfin, mes chers collègues, comment occulter l’avis du Conseil d’État du 30 juillet 2015 ? Cet avis ne souffre aucune discussion sérieuse, aucune interprétation.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Il est parfaitement clair, et je m’étonne que l’exécutif s’assoie dessus, pour parler trivialement.

La haute juridiction administrative rappelle la décision du Conseil constitutionnel et dit très clairement qu’il n’est pas raisonnable d’aller dans ce sens.

En votant ce texte, nous introduirions, pour reprendre les termes du Conseil d’État, « une contradiction interne génératrice d’insécurité juridique », et produirions « une contradiction entre l’ordre juridique interne et l’ordre juridique international ». On ne peut quand même pas bafouer les fondements mêmes de notre système constitutionnel et de notre droit !

Je passe sur toutes les questions oubliées, dont le problème de la détermination de la liste desdites langues régionales ou minoritaires.

Mes chers collègues, au moment où plus de 10 % des jeunes recensés lors des journées « défense et citoyenneté » sont en situation de quasi-illettrisme, où la priorité est d’améliorer la pratique d’au moins une langue étrangère, est-il raisonnable de proposer un bouleversement constitutionnel de nature à fragiliser les principes fondamentaux de la République ? Je dis non, et je voterai contre ce texte.

Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, nous étudions aujourd’hui le projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

On voit bien que le débat s’engage de deux manières. Il y a, d’un côté, ceux qui veulent le résumer à un positionnement pour ou contre les langues régionales.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

À cet égard, je dois dire que vous avez fait, madame la ministre, une brillante démonstration à l’appui de cette première thèse. Je dois le reconnaître, votre intervention était très belle. Toutefois, elle ne traitait pas, à nos yeux, le cœur du sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

Mme Jacqueline Gourault. D’un autre côté, il y a cette tentative de nous faire croire que ce débat est complètement déconnecté du calendrier. Pour reprendre une expression cinématographique, toute ressemblance avec des situations existantes ne saurait être que fortuite…

Sourires sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

Pour notre part, nous pensons que les principes fondamentaux régissant notre droit et notre vivre ensemble constituent le cœur du sujet.

J’appartiens à un groupe et à une famille politique qui ont de tout temps défendu les langues régionales, nos élus ayant toujours soutenu les démarches législatives et les actions locales, dont on ne parle pas assez, à mon avis, dans ce débat, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

… et qui permettent de développer notre patrimoine culturel et linguistique. Tel a été notamment le cas lors de la révision constitutionnelle de 2008, qui a inclus les langues régionales dans le patrimoine de la France.

En même temps, nous sommes tout aussi attachés à ce qui fait l’unité de notre peuple et de notre nation, c’est-à-dire la langue française. L’article 2 de la Constitution contient cette belle formule : « La langue de la République est le français. »

À cet égard, nous aurions aimé que le Gouvernement dans son ensemble, et pas seulement vous, madame la garde des sceaux, mette autant d’attachement à défendre les racines de la langue française, donc cette langue elle-même, au travers de l’enseignement du latin.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

Venons-en au cœur du sujet. La révision constitutionnelle est-elle possible ? Nous pensons que non. Nous voterons donc très majoritairement la motion tendant à opposer la question préalable.

Élaborée par le Conseil de l’Europe en 1992, signée par le Gouvernement de Lionel Jospin, la charte, je le rappelle, concerne à la fois les langues régionales et les langues parlées par des groupes ethniques minoritaires. Si les 39 engagements concrets retenus par le Gouvernement, sur les 98 qui figurent dans le texte, ne posent en eux-mêmes aucun problème, le Conseil constitutionnel a toutefois relevé dès le départ que la charte portait atteinte aux principes constitutionnels de notre pays en ce qu’elle conférait des droits spécifiques à des groupes de locuteurs de langues régionales minoritaires.

Au-delà du problème posé par l’article 2 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a considéré que, à l’intérieur des territoires dans lesquels ces langues sont pratiquées, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires portait atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français.

Pour contourner cette difficulté identifiée rapidement, le Gouvernement de Lionel Jospin, sur les conseils de Guy Carcassonne, avait complété la signature de la charte d’une déclaration interprétative ayant pour objet de lever les obstacles précédents.

Sans entrer dans le détail des remarques tant du Conseil constitutionnel que du Conseil d’État, notamment s'agissant de l’avis défavorable que ce dernier a rendu sur ce projet en juillet 2015, je rappelle que cette déclaration interprétative est inopérante en droit. En effet, elle vise à faire accepter à nos partenaires que la France choisira ce qui lui convient dans la charte. Malheureusement, cette dernière stipule en son article 21 qu’aucune réserve n’est admise.

On ne peut donc pas mettre dans une même phrase, ainsi que, excusez du peu, dans la constitution française, deux références qui se contredisent et s’annulent.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

Le Conseil d’État va même encore plus loin, puisqu’il estime que cette déclaration interprétative est contraire à l’objet de la charte, qui vise, dans ses stipulations ne pouvant faire l’objet d’aucune réserve, à donner des droits aux groupes de locuteurs de langues régionales ou minoritaires et à leur permettre d’utiliser leur langue dans la sphère publique.

Ainsi, seraient mentionnés dans le même article de la Constitution deux textes aux effets contraires, à savoir la charte et la déclaration interprétative. Il en résulterait une contradiction en droit interne, donc une insécurité juridique, ainsi qu’une contradiction entre les ordres interne et international, ce qui serait une source de contentieux et exposerait la France aux critiques du Conseil de l’Europe.

En conséquence, le Conseil d’État, s’interrogeant sur l’intention réelle du Gouvernement, ne peut que constater que le projet de loi constitutionnelle ne permet pas d’atteindre l’objectif visé.

Je ne serai pas plus longue, ce qui laissera un peu plus de temps à mes collègues. En ce qui me concerne, je ne suis pas une inconditionnelle des questions préalables à tout va – j’en vote asse peu –, mais, en l’espèce, il s’agit de la Constitution, ce qui n’est pas rien, et des langues régionales, auxquelles je suis très attachée, n’en déplaise à M. Dantec, que j’ai trouvé quelque peu excessif.

Sourires sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – M. Ronan Dantec proteste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

Je trouve que ce projet de réforme constitutionnelle est une mauvaise manière, pour ne pas dire une mauvaise manœuvre, vis-à-vis à la fois de la Constitution et des langues régionales.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains, ainsi que sur la plupart des travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le débat qui se déroule aujourd’hui revient de manière récurrente depuis une vingtaine d’années : quelle place pour les langues régionales dans la République, dans notre patrimoine culturel et dans notre histoire ?

Certes, il s’agit d’un sujet difficile, qui peut être source de polémiques vives, comme nous avons pu encore le constater en commission des lois voilà quinze jours ; néanmoins, reconnaissons-le, il peut aussi être passionnant, car, après tout, nous parlons aujourd’hui d’êtres humains.

Pour ma part, je pense que c’est par le travail que l’on peut démêler des situations inextricables et apaiser des tensions. C’est ce travail que j’ai tenté modestement de mener au nom de mon groupe, lequel est profondément engagé depuis des décennies en faveur de la diversité linguistique et pour le développement des langues régionales.

Aujourd’hui, nous examinons un projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Nous devons donc nous déterminer en examinant ce texte et ses conditions d’application éventuelles en France. Nous devons comprendre ce que la charte apporte de plus que l’article 75-1 de la Constitution, voté en 2008 dans les termes suivants : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. »

Cette révision constitutionnelle a pour objectif premier de remédier à la contradiction entre la charte et notre Constitution qui a été constatée par le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 15 juin 1999 et qui reste actuelle.

Le Conseil constitutionnel considère qu’« il résulte de ces dispositions combinées que la Charte européenne des langues régionales accorde des droits spécifiques à des ″groupes″ de locuteurs de langues régionales ou minoritaires à l’intérieur de ″territoires″ dans lesquels ces langues sont pratiquées portent atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français. »

Il poursuit : « En outre, en prévoyant que les États devront faciliter ou encourager l’usage des langues régionales dans la vie publique, l’article 7, paragraphe 1 est également contraire à la Constitution. La Charte rattachant la justice, les autorités administratives et les services publics à la vie publique, ses clauses sont contraires à la règle selon laquelle la langue de la République est le français. »

Pour sortir de cette contradiction, dont il faut reconnaître qu’elle est assez fondamentale, le Gouvernement propose, dans son projet de loi, que soit prise en compte dans la Constitution elle-même une déclaration interprétative, annoncée le 7 mai 1999, qui écarte l’application par la France d’un certain nombre de dispositions.

Parmi les dispositions relatives à « la vie publique » évoquée par l’article 7 précité, certaines paraissent, en effet, pleinement contradictoires avec nos principes républicains. C’est le cas, par exemple, de l’article 9-1, toujours situé dans cette deuxième partie, selon lequel « les parties s’engagent à prévoir dans les procédures pénales que les juridictions, à la demande d’une des parties, mènent la procédure dans les langues régionales et/ou minoritaires. »

Le 1-2 prévoit de « garantir à l’accusé le droit de s’exprimer dans sa langue régionale ».

Le 1-3 oblige à prévoir que « les requêtes et les preuves écrites ou orales ne soient pas considérées comme irrecevables au seul motif qu’elles sont formulées dans une langue régionale ou minoritaire. »

Il en va de même pour les procédures administratives et civiles. Ces articles sont tout à fait justifiés pour des pays, en particulier ceux de l’Est européen, où la diversité linguistique est une réalité bien établie, qui mérite une reconnaissance, y compris sur le plan institutionnel.

Pour notre pays, il s’agit d’une remise en cause de l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, que vous avez évoquée, madame la garde des sceaux, laquelle établit le français comme langue de la justice de la France.

Même si cela commence à dater et même si c’est un roi, François Ier, …

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

… qui a pris cette ordonnance, elle a permis de faire un pas en avant considérable vers l’unification de notre pays, dans la lente édification de la nation.

Remettre en cause ce texte mériterait, à mon sens, plus qu’une après-midi d’échanges. Ce serait même, me semble-t-il, au peuple d’en décider ! Le gouvernement de M. Jospin l’avait bien compris, en annonçant, en 1999, une déclaration interprétative visant à limiter pour notre pays l’application de la Charte.

D’autres domaines que la justice sont concernés frontalement, comme l’administration et l’enseignement. Là où le bât blesse, c’est sur l’analyse de la portée juridique de cette déclaration interprétative.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Soit elle s’impose – peu de gens soutiennent cette thèse – et notre pays se trouverait en porte à faux avec ses engagements européens, car la Charte européenne se trouverait vidée d’une partie significative de son sens. Soit elle a peu de valeur, ou n’en a aucune, et la portée de la remise en cause de certains principes républicains serait considérable.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

La présentation du projet de loi constitutionnelle est en elle-même assez curieuse. La charte n’est pas jointe, et encore moins la déclaration interprétative. Madame la garde des sceaux, permettez-moi de vous dire que cela ne favorise pas la clarté de nos débats !

En revanche, l’avis du Conseil d’État du 30 juillet 2015 est limpide, quelle que soit l’opinion que l’on ait de cette juridiction.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Le Conseil d'État déclare : « Cette déclaration contredit l’objet de la charte, qui vise, dans des stipulations qui, en vertu de l’article 21 de ce traité, ne peuvent faire l’objet de réserves, à donner des droits aux groupes de locuteurs d’utiliser leur langue dans la sphère publique. Sa mention dans la Constitution aurait une double conséquence.

« En premier lieu, la référence à deux textes, la Charte et la déclaration, difficilement compatibles entre eux, y introduirait une contradiction juridique.

« En second lieu, elle produirait une contradiction entre l’ordre juridique international, exposant tant à des incertitudes dans les procédures contentieuses nationales qu’à des critiques des organes émanant du Conseil de l’Europe et chargés de l’application de la charte ».

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Le Conseil d’État exprime de manière assez diplomatique, je dois le dire, l’idée que cette déclaration n’a qu’une valeur toute relative dans l’échelle des normes, car, rappelons-le, les traités internationaux, en particulier européens, ont une valeur supérieure aux normes françaises.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

J’ai voulu être assez précise dans cette première partie de mon propos, car j’estime qu’il ne faut pas se tromper de débat. Pour l’immense majorité des défenseurs et des promoteurs de langues régionales, l’enjeu n’est pas, me semble-t-il, de remettre en cause la cohérence de la République et de dénier au français son caractère fondateur de notre nation.

Nombre de défenseurs de ces langues, dont je suis, avec un certain nombre d’élus de mon groupe, parmi lesquels notamment Éric Bocquet ou Michel Le Scouamec et d’autres encore, sont actifs et déterminés à ne pas laisser étouffer, voire mourir ces éléments essentiels de notre patrimoine culturel. Ils sont également de chauds partisans de la préservation du français face à la pression de plus en plus forte de l’anglais – ce n’est pas Éric Bocquet qui me contredira ! – comme langue de la mondialisation et symbole de domination des puissances financières.

N’opposons surtout pas les langues régionales au français ! Ce serait entraîner, à terme, l’extinction des deux.

Tout le monde peut être d’accord sur un point : les langues régionales sont en danger. Le comité consultatif pour la promotion des langues régionales, mis en place le 6 mars 2013, a d'ailleurs établi, le 15 juillet 2013, un diagnostic largement négatif sur l’état de notre patrimoine linguistique. Il constate une baisse régulière du nombre des locuteurs, y compris dans les zones transfrontalières.

Ce comité, comme de très nombreux partisans de la préservation de ces langues, s’accorde sur un élément : l’importance de la transmission et de l’enseignement.

Curieusement, une question n’est jamais abordée, ou si peu – je ne l’ai d’ailleurs pas entendue cet après-midi –, celle des moyens. Revivifier le patrimoine linguistique exige un investissement financier important, de l’État comme des collectivités territoriales.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Qui peut prétendre ici que le dogme de la réduction des dépenses publiques, malheureusement largement partagé sur les travées de cet hémicycle, est conciliable avec un effort important, nécessaire et urgent de promotion de langues régionales ? Qui peut prétendre ici, mes chers collègues, qu’il va aider les élèves à affronter les grandes difficultés d’apprentissage du français ?

Les deux vont de pair, car si l’enseignement d’une langue régionale est privilégié pour un jeune enfant, les conditions d’acquisition du français devront être garanties, et cela dans un contexte d’apprentissage particulier, nécessitant une formation spécifique pour les enseignants.

Ne pas débattre des moyens quelque peu colossaux qui sont nécessaires – je ne parle pas des obligations comprises dans la charte elle-même – placerait inévitablement notre discussion dans la stratosphère.

Sur les travées du groupe CRC, bien loin de scander : « Pas de moyens, pas de sauvetage des langues régionales », nous affirmons notre volonté de placer cet objectif culturel au premier rang des choix budgétaires à venir. En la matière, madame la garde des sceaux, il faut de l’ambition, beaucoup d’ambition !

L’essor du français a nécessité, à travers les siècles, un effort considérable. Qui est prêt ici à engager aujourd’hui l’effort de la nation dans la promotion et la préservation des langues régionales ?

Des lois existent pour la promotion des langues régionales, depuis la loi Deixonne, la première en son genre, jusqu’aux dispositions relatives à l’enseignement contenues dans la récente loi relative à la refondation de l’école, ou, plus proche de nous encore, l’inscription de la promotion de ces langues dans les compétences régionales par l’article 1er de la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite « loi MAPTAM », qui comprend ces mots : « Pour assurer la préservation de son identité et la promotion des langues régionales ».

Nous l’affirmons sans hésitation : la diversité des langues régionales et des cultures est une richesse à l’échelle de la planète, comme à l’intérieur de chaque nation.

Pour nous, la valorisation de la richesse linguistique en France et dans le monde participe de la défense de la langue française, langue de la République et de la résistance au rouleau compresseur d’une monoculture liée à un impérialisme économique, culturel et consumériste.

Le Gouvernement a d’ailleurs envisagé 39 engagements puisés dans les 98 proposés par la troisième partie de la charte, qui, elle, à la différence de la deuxième partie, ne s’impose pas dans son intégralité.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois à l’Assemblée nationale et rapporteur de la proposition de loi constitutionnelle n° 1618 visant à ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, faisait cette confession étonnante dans son rapport, que je vous invite à lire, mes chers collègues. Je cite la page 41 : « Les 39 engagements pris, ou plus exactement ″envisagés″, par la France lors de la signature de la charte, ce qui n’est pas la ratification, je le rappelle, peuvent donc, en dépit de l’absence de ratification, être mis en œuvre sans aucunement heurter notre loi fondamentale ».

Ce n’est pas moi qui le dis ! Je le répète, c’est écrit dans le rapport de M. Urvoas.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Le comité consultatif précité, mis en place par Mme Aurélie Filipetti, alors ministre de la culture et de la communication, avait justement pour objectif de faire le point sur la mise en œuvre de ces engagements sans attendre une hypothétique révision constitutionnelle qui, d’ailleurs, n’était pas incluse dans les quatre projets constitutionnels, qui sont pour le moment mort-nés, déposés sur le bureau de l’Assemblée nationale au printemps 2013.

Pourquoi, tout à coup, reprendre le créneau de la révision constitutionnelle alors que les objectifs peuvent être atteints par d’autres voies, comme le plaide le comité consultatif ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Parce que les élections régionales approchent !

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Pas seulement, monsieur Dallier ! Au reste, vous êtes un peu mal placés pour tenir ce genre de propos, car vous agissez de la même façon. J’en veux preuve la proposition de loi qui vient d’être déposée sur le bureau du Sénat !

N’est-ce pas Mme Filipetti qui, le 6 mai 2013, dans des réponses à des questions écrites sénatoriales, disait que « ce n’est pas seulement l’article 2 de la Constitution qui est en œuvre, ce sont les principes eux-mêmes sur lesquels tout notre édifice législatif est fondé. C’est aussi une haute montagne, si ce n’est infranchissable, qui est devant nous. »

Pourquoi cette obstination, qui risque d’ailleurs, par un effet boomerang, de mener à un échec préjudiciable au développement des langues régionales, alors que les 39 engagements constitueraient, une fois appliqués, des avancées très importantes de l’enseignement à la publication en langue régionale des actes administratifs, des œuvres audiovisuelles, au droit d’emploi des langues régionales dans l’entreprise ?

Je crains, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, une fixation sur le débat constitutionnel, alors que tout peut être fait, que tout doit être fait, dans le cadre du droit commun.

Nous le savons tous ici, notre société est profondément en crise. La République et la cohésion de notre pays sont minées par l’inquiétude sociale, le chômage de masse, la précarité. Des forces tentent quotidiennement de dresser les uns contre les autres, de trouver des boucs émissaires. La Constitution d’un pays doit, selon notre lecture, être porteuse d’unicité, du vivre ensemble.

Je le répète, les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ont, depuis des décennies, été aux côtés des défenseurs des langues régionales. Lors de la réunion de notre groupe, des avis différents se sont exprimés, non pas sur le fond, mais sur les moyens de parvenir à la valorisation de notre patrimoine linguistique.

J’espère, madame la garde des sceaux, que vous saurez nous apporter au cours du débat des éléments convaincants sur la nécessité d’intégrer dans l’ordre constitutionnel la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, qui, pour le moment, me semble loin d’être établie.

J’attends, dans le même temps, de connaître la nature des moyens visant à mettre en œuvre les engagements pris par la France en faveur des langues régionales.

Je souhaite, avec mon groupe, sortir des postures politiciennes – c’est l’une des raisons pour lesquelles nous ne voterons pas la question préalable –, pour que soient prises des décisions concrètes et efficaces en faveur de la diversité linguistique. C’est cela que ceux qui sont profondément attachés à ce patrimoine attendent, et rien d’autre !

Applaudissements sur les travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je commencerai mon propos en formulant deux observations.

Premièrement, je constate, après l’intervention de Mme Éliane Assassi, que de nombreux arguments transcendent très largement les clivages partisans habituels.

Deuxièmement, quand j’ai relu voilà quelques jours le compte rendu des travaux de la commission des lois, je me suis demandé d’où venait que, sur cette question, la raison cède trop souvent le pas aux passions. Finalement, cela me paraît assez naturel, dans la mesure où ce sujet n’est pas négligeable. La question des langues est tout sauf folklorique. Elle va bien au-delà. Je pense qu’elle porte et entremêle à la fois une dimension universelle et une dimension profondément singulière, et même profondément française.

Pour illustrer la première dimension de ce problème, je rappellerai qu’« au commencement était la parole. »

Exclamations.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

Citer cette phrase n’est pas accomplir un acte de foi ; c’est simplement reconnaître l’importance du langage dans l’histoire des hommes.

Parler – vous y avez fait allusion dans votre très belle intervention, madame la garde des sceaux –, c’est inventer de nouveau l’être et le monde, tout comme Adam, lorsqu’il nomme les espèces, s’approprie son univers. J’ai d’ailleurs toujours pensé que l’universalité du langage n’était pas blessée par la multiplicité linguistique, bien au contraire.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

Je ne suis certainement pas le seul ici à apprécier ce grand auteur qu’est George Steiner. Professeur de littérature comparée, théoricien de la traduction et encore grand critique d’art, George Steiner a écrit plusieurs très beaux livres. Dans l’un d’entre eux, Après Babel, il montre que Babel, loin d’être une malédiction, représente plutôt une bénédiction.

Nous savons depuis longtemps que, dans le désert du Kalahari, certaines langues possèdent un subjonctif aux nuances beaucoup plus riches que celles du grec dont disposait Aristote. Vous savez également comme moi que les Esquimaux ont des dizaines de mots pour qualifier la neige, quand nous n’en avons qu’un seul.

Bien évidemment, je veux redire aujourd’hui à cette tribune que la mort d’une langue, quelle qu’elle soit, est une perte irréparable.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

Une langue qui meurt, à mon sens, c’est une fenêtre qui se ferme sur l’être et sur le monde. La catastrophe qu’il faut craindre, c’est non pas Babel, mais l’inverse : la réduction du discours humain à quelque novlangue formatée a priori par l’uniformisation et la mondialisation culturelle, ainsi que par les nouvelles technologies de l’information.

À cette dimension universelle répond une dimension profondément singulière et, si vous me le permettez, française. La France, c’est l’histoire des Occitans, des Catalans, des Vendéens aussi ; c’est également l’histoire des Bretons, des Alsaciens et de tant d’autres.

La France est Giono ; elle est Mauriac. La France est Pierre-Jakez Hélias. La France est Théodore Botrel et, en même temps, Frédéric Mistral. Michelet ne disait-il pas que la France n’était autre qu’une réunion de provinces qui s’étaient jadis combattues avant de parvenir à s’aimer ?

Mona Ozouf, petite Bretonne, a quant à elle écrit un très beau livre – Composition française – que vousavez peut-être lu, madame la garde des sceaux, et dont je recommande en tout cas la lecture à chacun.

Nous venons donc de ce modèle français, de cette histoire et de cette tradition que nous portons en nous. En effet, comme vous aussi l’avez rappelé, madame la garde des sceaux, la France tire son identité de ce modèle unique, de ce pacte républicain, de cet effort constant d’unification qui a traversé toutes les générations et tous les régimes ; François Furet l’a d’ailleurs magistralement montré dans Penser la Révolution française.

Or cette unification s’est faite à partir de sa langue : le français, instrument à mes yeux incomparable. Vous avez convoqué l’Espagne à l’appui de votre démonstration, madame la garde des sceaux. Ce n’est pas un bon modèle, car ce pays est loin d’être celui qui ressemble le plus au nôtre. Ce n’est pas pour rien que le français a toujours été, historiquement, la langue de la diplomatie et, officiellement, celle de l’olympisme.

Vous voyez donc, mes chers collègues, que la question n’est certainement pas manichéenne. Il s’agit non pas de se prononcer pour ou contre les langues régionales, mais de savoir si la ratification de cette charte est le meilleur moyen d’aider la diversité linguistique, tout en épargnant notre modèle républicain, auquel nous sommes bien sûr profondément attachés sur toutes les travées de notre assemblée.

Or la réponse que j’apporte à cette question est négative, et ce pour trois raisons : une raison de droit, une raison de principe et une raison pratique.

La raison de droit a été magistralement expliquée par Philippe Bas. Je n’y reviendrai donc que brièvement, pour réaffirmer que la déclaration interprétative n’est autre que du bricolage juridique.

Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

Le Conseil constitutionnel a souligné qu’elle n’avait pas de portée normative. Le Conseil d’État a réitéré qu’il y avait incompatibilité entre, d’un côté, la charte et, de l’autre, cette déclaration interprétative. Un point, c’est tout ! Le reste, ce sont des mots.

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

Et votre proposition de loi, a-t-elle une portée normative ?

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

Tolérez, chers collègues, ces deux avis : ce sont non pas les nôtres, mais ceux de deux hautes instances juridiques françaises.

La deuxième raison de notre rejet de ce texte est, à mes yeux, plus grave : il s’agit du risque de communautarisme.

Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

Laissez-moi développer mon argumentation avant de vous exclamer, chers collègues ! Jusqu’à présent, nous avons tous écouté chaque orateur dans le calme, et notre groupe a offert le plus grand respect à Mme la garde des sceaux.

Qu’indiquait le Conseil constitutionnel dès 1999 ? Selon lui, la charte heurte fondamentalement notre loi fondamentale. Elle contredit des principes qui sont loin d’être négligeables, à savoir l’unité du peuple français et l’indivisibilité de la République : bref, le cœur de notre pacte républicain.

Le Conseil d’État a d’ailleurs éclairé ces profondes objections. En effet, comme il l’explique, la charte confère des droits particuliers à des groupes spécifiques. Cela, madame la garde des sceaux, constitue la définition juridique exacte du communautarisme !

Or une chose importe surtout en ce moment où la France est déchirée et où les Français ressentent une sorte de malaise identitaire qu’il ne faut pas cacher : c’est la conception que nous nous faisons du vivre ensemble.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

Notre conception de la Constitution ne s’oppose pas à la diversité – de fait, aucun des trente-neuf engagements tirés de cette charte n’est anticonstitutionnel –, mais elle s’oppose au communautarisme.

L’universalité du citoyen doit bien évidemment pouvoir s’articuler avec la spécificité de ce que j’appelle l’homme concret ou l’homme privé. Le Vendéen que je suis sait plus que quiconque l’importance des racines, et cela d’autant plus après la lecture du très beau livre de Simone Weil sur l’enracinement. Toutefois, le Français que je reste avant tout est attaché à notre modèle républicain.

Quelques mois avant sa mort, Vaclav Havel avait eu un mot pour définir la mondialisation culturelle. Nous étions selon lui menacés d’un dilemme mortifère : d’un côté, le repli ethnico-identitaire ; de l’autre, la dissolution dans le grand bain de l’uniformisation.

Notre groupe votera bien évidemment dans sa grande majorité la question préalable. En effet, à nos yeux, la citoyenneté française représente pour chacun un appel à ne pas s’enfermer dans sa communauté d’origine, fût-elle linguistique, et à ne pas se replier dans un destin que sa naissance pourrait lui imposer. Voilà ce pour quoi nous voulons lutter !

À quoi sert donc au Président de la République de lancer de grands appels à l’unité nationale en début d’année si, à la fin de la même année, il nous propose de faire entrer dans la Constitution, par la petite porte, les principes de fragmentation et de division inhérents au communautarisme ?

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

Enfin, mes chers collègues, la troisième raison de notre opposition est que ce texte est en pratique inutile.

Je le répète : aucun des trente-neuf engagements ne suppose une modification de la Constitution. Celle-ci ne servirait à rien ! Il serait plus utile en revanche d’augmenter les crédits alloués à la défense du patrimoine linguistique au sein du projet de loi de finances pour 2016, qui doivent encore baisser cette année…

Présentez donc, mes chers collègues, des amendements tendant à relever ces crédits ou demandez au Gouvernement de le faire, afin de tenir compte de l’article 40 de la Constitution. L’obstacle, à vrai dire, n’est pas constitutionnel ; il est dans la volonté et dans les moyens que l’on consacre à la valorisation de ce patrimoine !

En conclusion, mes chers collègues, ne tombons pas dans ce piège. Les langues régionales n’y gagneront rien et la Constitution y perdra beaucoup.

D’où vient donc cet empressement ? Nous y voyons évidemment une manœuvre politique à quelques encablures des élections régionales.

Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

Laissez-moi vous assurer que, pour ma part, je préfère rester fidèle à la conception que je me fais du modèle républicain, dussé-je perdre quelques voix !

Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC, ainsi que sur la plupart des travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Bigot

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, notre discussion intervient alors que le président de la Haute Assemblée se trouve à Strasbourg, capitale tant de l’Europe que de l’Alsace, une région dont nombre d’habitants parlent encore le dialecte alsacien sans pour autant oublier qu’ils sont Français et fiers de l’être. C’est aussi Strasbourg qui accueille le Conseil de l’Europe, qui a été fondé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, afin que l’Europe de la paix se construise après celle des déchirements.

Madame la garde des sceaux, vous avez à juste titre rappelé que, dans l’histoire, en France comme ailleurs, la constitution des États s’était accompagnée de la conviction qu’il fallait absolument casser les particularismes locaux, les cultures et les langues régionales : l’unité devait d’abord passer par la langue. C’est ainsi que la France s’est construite et que nous la vivons aujourd’hui, y compris au sein de la Haute Assemblée.

Toutefois, le Conseil de l’Europe, depuis sa création, a construit son action en fonction d’une autre logique, jusqu’à l’adoption de cette charte en 1992 : selon lui, il est indispensable que, dans cette Europe nouvelle composée aujourd'hui de quarante-sept États, les langues minoritaires soient respectées, sinon les divisions et les conflits pourraient renaître. Tel est le sens de la charte.

Ce qui est important aujourd’hui, monsieur Retailleau, c’est d’adresser un signal à l’ensemble de l’Europe, pour lui faire savoir que la France, malgré son histoire, est capable aujourd’hui d’adapter sa Constitution à cette charte, tout en ne remettant en cause ni ses valeurs ni sa Constitution.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Bigot

Or, afin d’éviter le débat, vous nous présentez des arguments qui, à mon sens, ne résistent pas pleinement à l’examen.

Vous omettez de dire que la Convention de Vienne sur le droit des traités établit une distinction fondamentale entre les réserves et les déclarations interprétatives. La déclaration faite au sujet de la charte n’est pas une réserve : elle précise ce que nous pensons devoir interpréter du premier paragraphe de l’article 7 de la charte.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Bigot

Par ailleurs, la partie III de la charte dresse la liste des différentes mesures à adapter.

Selon vous, chers collègues, la charte imposerait d’affecter certains territoires aux langues régionales. Or ce n’est pas du tout le cas ! Elle prévoit simplement que le respect de l’aire géographique ne peut constituer un obstacle à la promotion d’une langue ; c’est cela qu’il faut vérifier. Cela ne signifie nullement qu’il faille constituer des territoires en fonction de ces langues.

La charte mentionne par ailleurs la facilitation et l’encouragement de l’usage oral et écrit des langues régionales et minoritaires. Il est notamment question de cette facilitation dans l’enseignement, sous réserve, en particulier, des pratiques familiales, des demandes des familles et d’un nombre suffisant de locuteurs.

Voilà la réalité de ce texte. Comme je l’ai déjà indiqué lors de son examen en commission des lois, c’est de manière à éviter le débat sur le fond que vous invoquez une motion d’irrecevabilité ; vous prétendez qu’il serait impossible pour le Parlement de modifier la Constitution tout en respectant ses valeurs. Tel est le débat que nous avons ; telle est la question sur laquelle nous aurons tout à l’heure à voter.

Je suis originaire de cette terre d’Alsace ; je puis donc vous dire que, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, on punissait les enfants qui, dans la cour de l’école – non dans la classe elle-même ! –, parlaient entre eux le dialecte alsacien. Ces sanctions constituent l’une des pages dramatiques de l’histoire de notre région.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

M. Philippe Bas, rapporteur. Nous n’en sommes plus tout à fait là !

Mme Catherine Troendlé marque son approbation.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Bigot

Telle est l’histoire de cette Europe que nous construisons. Or la charte, si elle avait existé, aurait empêché ce drame.

Je ne puis croire aujourd’hui que mes collègues alsaciens, qui, je le concède volontiers, sont plus nombreux dans votre groupe que dans le mien, monsieur Retailleau, envisagent l’artifice de cette motion, alors que, il y a un an, dans cette même enceinte, ils revendiquaient au nom de l’identité régionale l’Alsace unique et l’Alsace seule.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Bigot

M. Jacques Bigot. On ne peut selon moi tenir un double langage : je n’en tiendrai donc qu’un !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Bigot

Les langues régionales n’ont jamais constitué une frontière ; ce sont les hommes qui, hélas, constituent les frontières. Les langues sont des véhicules de relation et de contact qu’il faut maintenir en Europe, à commencer par notre langue.

Je vous exhorte donc, chers collègues : permettez-nous de débattre ! Vous êtes en train de créer, à mon grand regret, non seulement une frontière linguistique, mais aussi une frontière au débat républicain !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Hermeline Malherbe

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, adoptée en novembre 1992 et signée le 7 mai 1999 par le gouvernement français, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires fait depuis lors l’objet d’une longue saga juridico-politique, qui porte sur sa ratification. Cela fait maintenant plus de seize ans que nous assistons à des tentatives, à des renoncements, à des revirements.

Debut de section - PermalienPhoto de Hermeline Malherbe

Il est grand temps d’aller de l’avant. Nous devons aujourd’hui saisir l’occasion qui se présente de donner un cadre juridique sécurisé à la pratique des langues régionales ou minoritaires. Il nous faut apporter à ces dernières une reconnaissance définitive.

Dans ce débat animé, j’entends les arguments de ceux qui sont opposés à la ratification et légitiment le statu quo.

Permettez-moi tout d’abord de remettre le débat dans son contexte. Les langues régionales sont aujourd’hui en voie de disparition, comme le rappelle d’ailleurs très justement le rapport de la commission des lois. Si rien n’est fait, elles tomberont très prochainement dans les oubliettes de la République.

Debut de section - PermalienPhoto de Hermeline Malherbe

Il est donc urgent d’agir aujourd'hui en faveur de la protection de nos langues régionales, qui sont partie intégrante de notre patrimoine culturel et républicain.

Non, il ne s’agit pas, au travers de la ratification de la charte, de constitutionnaliser, comme j’ai pu l’entendre ou le lire, des droits collectifs au profit de groupes déterminés, en bafouant l’article 2 de la Constitution et le caractère indivisible de notre République. Non !

Mes chers collègues, cet argument n’est pas recevable, pour la simple et bonne raison que la charte entend tout simplement protéger des droits objectifs, l’apprentissage des langues, et non des droits subjectifs, les droits des locuteurs de ces langues. En d’autres termes, plus qu’à l’histoire des Catalans, des Alsaciens, des Occitans, des Basques, des Corses ou des Bretons, nous devons nous intéresser à celle des Français qui parlent aussi le catalan, l’alsacien, l’occitan, le basque, le corse ou le breton.

Debut de section - PermalienPhoto de Hermeline Malherbe

Oui, pour que la charte soit ratifiée, il faut une modification de la Constitution. Pour autant, la seule argumentation juridique doit-elle justifier l’inaction ? Mes chers collègues, ne rien faire n’est pas acceptable !

Soyons axurits, aurait dit Christian Bourquin, c’est-à-dire tout à la fois innovants, stratégiques et débrouillards. Montrons notre envie de travailler sur ce texte. Nous sommes le pouvoir constituant ! Nos mandats de représentants du peuple nous donnent le droit et le devoir de faire vivre la Constitution.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, j’aurais préféré que les dépositaires de la motion tendant à opposer la question préalable, si contrariété juridique insurmontable il y a, soient à l’initiative d’une nouvelle rédaction de ce projet de loi constitutionnelle.

Debut de section - PermalienPhoto de Hermeline Malherbe

C’est bien notre rôle de représentants élus. En outre, nos concitoyens attendent que nous soyons capables de légiférer, même sur des sujets difficiles, et non que nous baissions les bras.

La préservation des langues régionales appelle des réponses adaptées. Il nous faut codifier le droit et modifier la Constitution, pour libérer les pratiques qui ont déjà cours dans nos départements et dans nos régions, et ce dans le cadre républicain.

Certains ont parlé du passé avec beaucoup de talent. Pour ma part, j’évoquerai l’avenir en m’appuyant sur le présent. J’en profite pour saluer le travail remarquable réalisé par les professionnels, les enseignants et les responsables associatifs, qui mettent quotidiennement en pratique l’apprentissage et l’usage des langues régionales ou minoritaires. Tous ceux qui parlent et transmettent une langue régionale ne sont pas une menace pour l’unité de notre République.

Mes chers collègues, je vous invite à venir voir comment les personnels qui enseignent le catalan dans les écoles de mon département offrent un enrichissement et une ouverture, permettent le progrès et ouvrent des perspectives à leurs élèves. Venez observer comment la passion qui les anime joue un rôle moteur dans la construction de la citoyenneté et dans le développement culturel de ces enfants et de ces jeunes. C’est bien un atout pour notre République, non une menace !

Maîtriser une langue régionale – en plus du français, notre langue officielle –, c’est assurément donner une assise culturelle inestimable, un bagage pour l’avenir.

Pourquoi ne pas regarder ce qui se fait chez nos voisins ? Déjà vingt-cinq pays ont ratifié la charte, et son application n’a posé aucun problème, notamment en Allemagne, en Norvège ou encore aux Pays-Bas. Or il s’agit bien de nations qui, comme la France, possèdent des régions à forte identité, avec des langues régionales largement usitées, sans jamais que celles-ci remettent en cause la langue nationale !

Mes chers collègues, ce débat autour des langues régionales est animé. C’est bien normal, car il renvoie à des symboles, des valeurs, des notions et des pratiques qui sont au fondement de ce qui nous est le plus cher, la République.

Notre République est une et indivisible. Notre République est généreuse, et c’est ce qui fait sa force. Notre République est aussi plurielle, riche de ses populations, de ses territoires, de ses cultures et de ses langues.

C’est pourquoi, comme l’a souligné le président de mon groupe, nous sommes plusieurs au sein du RDSE à avoir fait le choix de voter contre la motion tendant à opposer la question préalable, pour soutenir le travail législatif nécessaire à la ratification de la charte.

Mes chers collègues, en ce qui concerne ce projet de loi constitutionnelle, soyez assurés de ma totale détermination à poursuivre un combat que je crois juste, avec le soutien de toutes celles et ceux qui espèrent, de notre part, un signe pour une République fière de sa diversité et une France unie dans sa diversité.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Hugues Portelli

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je me placerai sur un terrain exclusivement juridique, puisqu’il est question d’un projet de loi constitutionnelle, qui a pour but de permettre l’introduction d’un traité dans l’ordre juridique français.

Mon propos s’articulera autour de trois axes : l’origine de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, tout d’abord, la genèse de ce projet de loi constitutionnelle, ensuite, l’état du droit constitutionnel actuel en matière de langues régionales ou minoritaires, enfin.

Premièrement, d’où vient cette charte ? Vous le savez, le Conseil de l’Europe est une machine à fabriquer des traités – c’est sa mission –, qu’il soumet à la ratification aux États membres qui le veulent. Il n’y a aucune obligation. Les pays signent ou non ces traités. Ainsi, la France en a signé quelques-uns, mais n’en a pas signé un grand nombre d’autres.

Cette charte a été élaborée en une dizaine d’années. Sa rédaction a commencé dans les années quatre-vingt, au moment où certains États unitaires d’Europe occidentale commençaient à craquer sous l’effet de poussées régionales, dont la dimension linguistique était évidemment très importante. C’était le cas de l’Espagne, qui, d’État unitaire, venait d’être transformée en État régional. C’était également le cas de la Belgique, qui venait d’engager les premières révisions constitutionnelles la transformant en État fédéral, à partir de 1973. Voilà le point de départ.

L’élaboration définitive de la charte s’achève en 1992, au lendemain de la chute du communisme dans les États d’Europe centrale, d’Europe orientale et des Balkans. Une fois la chape communiste tombée, l’Europe a assisté au retour d’États comprenant, pour un certain nombre d’entre eux, des minorités nationales et linguistiques. D’aucuns ont évoqué la Roumanie, mais il ne faut pas non plus oublier les États des Balkans ou de l’ex-Yougoslavie.

C’est ce contexte-là qui explique la charte, rien d’autre ! Ce texte n’a pas été fait pour des États unitaires, qui, comme la France, se caractérisent par une unité normative à la fois constitutionnelle, législative et même réglementaire, des États dans lesquels il n’y a pas de minorité nationale ou linguistique bénéficiant d’un statut particulier. Voilà ce qu’est exactement cette convention qui a été élaborée en 1992 et soumise à la signature de qui voulait.

Deuxièmement, qu’en est-il de la France ? Dans notre pays, les autorités de l’État ont commencé à s’intéresser à cette charte à la toute fin des années quatre-vingt-dix. Lorsque la question de la constitutionnalité de cette charte a été posée, deux tendances se sont opposées.

D’un côté se trouvaient les plus hautes autorités juridictionnelles du droit public français. Le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel ont ainsi souligné que la charte était contraire non seulement à la Constitution, mais même à ce que mon ami Guy Carcassonne appelait les « principes supraconstitutionnels » qui fondent l’identité constitutionnelle de la France depuis la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Il y avait là une incompatibilité radicale.

D’un autre côté se trouvaient ceux qui cherchaient à ménager la chèvre et le chou au sein du Gouvernement. Ils n’étaient pas nombreux : le Premier ministre de l’époque opinait plutôt dans ce sens, tandis que son ministre de l’intérieur, Jean-Pierre Chevènement, y était bien entendu hostile. Pour en avoir été témoin, je puis attester que ce dernier avait même refusé de recevoir les plénipotentiaires du Conseil de l’Europe qui étaient venus vanter les beautés de ce document.

Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Hugues Portelli

Mon vieil ami Guy Carcassonne, avec lequel j’ai discuté et travaillé pendant longtemps, était un excellent constitutionnaliste, mais surtout un excellent tacticien du droit constitutionnel, qui, durant des années, a tout de même rédigé les saisines du Conseil constitutionnel pour le groupe socialiste de l’Assemblée nationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Hugues Portelli

M. Hugues Portelli. Il a essayé de trouver le moyen de faire passer le chameau par le trou de l’aiguille !

Nouveaux sourires sur les mêmes travées.

Debut de section - PermalienPhoto de Hugues Portelli

Or, voilà peu de temps, ce texte est ressorti tel quel du placard pour enrichir nos débats, et ce dans un contexte jugé utile électoralement…

Nouveaux sourires sur les mêmes travées.

Debut de section - PermalienPhoto de Hugues Portelli

La réponse du Conseil d’État, saisi pour avis sur tous ces projets de loi, en particulier lorsqu’ils sont de portée constitutionnelle, a été identique à celle de 1999. Il n’y avait d’ailleurs aucune raison qu’elle varie, puisque le texte n’a pas changé d’un iota. Voilà où nous en sommes aujourd’hui.

Troisièmement, qu’en est-il du droit français actuel ? Ce projet de loi constitutionnelle pose deux problèmes juridiques majeurs.

En premier lieu, ce texte pose un problème de droit international public. En effet, un traité ne peut être modifié par un État que sous la forme de réserves. La charte ne prévoyant rien de tel, le pouvoir exécutif a élaboré une déclaration interprétative.

Or une déclaration interprétative, dans un traité qui ne permet pas de réserve, ne peut pas être une réserve : elle reste une déclaration interprétative qui ne s’oppose à personne, à aucun État partie !

Debut de section - PermalienPhoto de Hugues Portelli

Madame la garde des sceaux, elle ne peut pas s’imposer aux États voisins de la France, qui ont accordé un statut constitutionnel à des populations et à des régions auxquelles nous ne donnons qu’un statut régional. Si la question se posait par exemple pour les Basques de part et d’autre de la frontière, pour les Flamands de part et d’autre de la frontière ou pour d’autres populations, comment réglerait-on ce problème ?

En second lieu, ce texte pose un problème de droit constitutionnel.

Tout d’abord, et il s’agit là d’un problème extrêmement important, en France, la seule autorité compétente en matière de pouvoir diplomatique des traités, donc de réserves, c’est le chef de l’État, c'est-à-dire le pouvoir exécutif. Ce n’est en aucun cas le Parlement, qui n’a pas le droit de formuler des réserves interprétatives sur un traité. Le fait de lui demander l’autorisation de le faire aboutit à transférer le pouvoir d’élaborer des déclarations interprétatives de l’exécutif au législatif. Or c’est contraire à toute la tradition parlementaire française depuis les origines de la République.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

On entend des choses originales !

Debut de section - PermalienPhoto de Hugues Portelli

Par ailleurs, que pourrait faire le juge français s’il devait être confronté à ce texte, dans le cas où il serait adopté ? Eh bien, comme la Cour de cassation il y a quatre ans avec la garde à vue, il pourrait faire ce qu’il voudrait !

Je vous rappelle en effet, madame la garde des sceaux, que le Conseil constitutionnel avait en partie abrogé la loi Perben en censurant ses dispositions sur la garde à vue, au titre du contrôle de constitutionnalité des lois. La chambre criminelle de la Cour de cassation, quant à elle, a ensuite déclaré inapplicable par toutes les juridictions de l’ordre judiciaire français le reste du texte, c'est-à-dire la partie que le Conseil constitutionnel avait pour sa part maintenue, au motif qu’il était contraire à la Convention européenne des droits de l’homme.

Par conséquent, le législateur français a été obligé de modifier toute la loi, à la fois la partie que le Conseil constitutionnel avait abrogée en raison de son inconstitutionnalité et celle que la Cour de cassation avait déclarée inapplicable en la jugeant contraire à un traité.

Autrement dit, pour la Cour de cassation et pour de nombreux juges français, un traité est supérieur à la Constitution. Vouloir ériger un barrage de papier entre ce traité et la Constitution ne servira à rien, car le juge français pourra, lorsqu’il le souhaitera, imposer la charte en question, en intégralité ou en partie, notamment son préambule, à tous ceux qui voudront s’y opposer.

Debut de section - PermalienPhoto de Hugues Portelli

M. Hugues Portelli. Au lieu de partir sur de fausses pistes, examinons donc toutes les dispositions qui, dans le droit constitutionnel et le droit législatif français, permettent aux Français parlant des langues régionales d’exercer librement leurs droits.

Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC, ainsi que sur la plupart des travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme le rappelle l’article 75-1 de la Constitution, nos langues régionales « appartiennent au patrimoine de la France ». Ce débat est l’occasion de réaffirmer notre attachement à la diversité culturelle et aux langues régionales, qui constituent une part essentielle de ce que l’on appelle communément notre patrimoine immatériel et notre culture et qui participent de leur côté exceptionnel.

Si nous rejetons ce projet de loi constitutionnelle, c’est parce que celui-ci, tout en se plaçant sur le terrain du symbole, pose de graves problèmes juridiques, ainsi que l’ont très clairement exposé notre collègue Philppe Bas et d’autres orateurs, en particulier Hugues Portelli il y a quelques instants. Au contraire, et sans mettre en péril des principes aussi fondamentaux que l’unicité du peuple français et l’indivisibilité de la République, nous voulons faire vivre les langues régionales, et cela grâce à des mesures tangibles et concrètes.

Il serait inexact de prétendre que les langues régionales sont aujourd’hui marginalisées ou méprisées, comme je l’ai entendu dire tout à l’heure. Au contraire, soyons objectifs et regardons le verre à demi-plein. Depuis plusieurs années, même si les choses restent perfectibles bien sûr, de nombreux progrès ont été réalisés en matière de diversité culturelle et linguistique.

Ainsi, la loi du 30 septembre 1986 charge les composantes du service public audiovisuel d’assurer la promotion de la langue française et des langues régionales, ainsi que de mettre en valeur la diversité du patrimoine culturel et linguistique de la France.

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, a autorisé plus de soixante stations de radio diffusant des émissions en langues régionales.

France Télévisions joue également un rôle essentiel dans la diffusion de programmes en langues régionales. En 2013, près de 585 heures de programmes en langues régionales ont été diffusées sur les antennes de France 3, ainsi que plus de 1 100 heures sur la chaîne France 3 Corse ViaStella. La semaine dernière, lors du conseil d’administration de France Télévisions, un projet de contrat d’objectifs et de moyens entre la région Bretagne et France 3 nous a été soumis. Il s’agit d’un projet éditorial contribuant à la reconnaissance à égalité des langues et des cultures bretonnes et à l’exercice des droits culturels des Bretons.

En matière éducative, la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République a été l’occasion d’avancées décisives. Je rappelle que la loi reconnaît désormais officiellement l’enseignement bilingue, en langue française et en langue régionale. Elle permet aux enseignants de « recourir aux langues régionales, dès lors qu’ils en tirent profit pour leur enseignement », comme elle autorise les collectivités à consacrer les activités complémentaires qu’elles organisent dans les établissements scolaires à « la connaissance des langues et des cultures régionales ».

Sur le terrain, l’enseignement des langues régionales connaît une forte progression, mes chers collègues. En 2012, pas moins de 272 000 élèves apprenaient une langue régionale, mobilisant près de trois mille enseignants.

Ce bilan, dont on n’a pas toujours connaissance, notre collègue Colette Mélot, qui s’exprimera tout à l’heure à la tribune, avait eu l’occasion de le dresser dès 2011, dans un excellent rapport auquel je vous renvoie.

Cependant, il est vrai que nous pouvons avoir une plus grande ambition encore pour les langues et les cultures régionales. C’est pourquoi mon collègue Philippe Bas et moi-même avons déposé une proposition de loi qui consolide le socle déjà existant en faveur des langues régionales dans la vie quotidienne, dans l’enseignement et dans les médias.

Voilà de quoi agir concrètement, mais, de grâce, évitons la gesticulation juridique et l’inscription dans la Constitution d’un droit-créance opposable, d’ailleurs inadapté, je le souligne, à la diversité des langues régionales et à leurs situations. Vous conviendrez en effet que l’on ne peut pas mettre sur le même plan le créole, langue vivante, et le cauchois, qui n’est plus guère utilisé dans ma Normandie natale. Ce n’est pas M. Bas qui me contredira à cet égard !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Lors de l’examen prochain du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, la commission de la culture, de l'éducation et de la communication veillera, je l’ai déjà dit, à ce que la définition des objectifs des politiques culturelles donne toute sa place aux langues et aux cultures régionales, car – cherchez l’erreur ! –, de manière incompréhensible, ces dernières étaient absentes du texte initial déposé par le Gouvernement…

Surtout, les collectivités territoriales jouent un rôle essentiel dans la valorisation des langues et des cultures régionales ; elles sont certainement les mieux placées, vous en conviendrez, pour prendre la mesure des spécificités de chaque langue et des demandes de la population.

Elles ont en outre les moyens juridiques de mener ces politiques : je rappelle que l’article 1er de la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite « loi MAPTAM », confie au conseil régional la compétence d’« assurer la préservation de son identité et la promotion des langues régionales ». Certaines collectivités mènent déjà des actions dans ce domaine, avec succès, à l’instar de l’Alsace, qui, par l’intermédiaire de son office pour la langue et la culture d’Alsace, mène une politique dynamique, il faut le reconnaître, de valorisation de sa langue.

Faisons donc confiance aux collectivités ; donnons-leur les moyens d’agir, dans le respect des principes qui fondent la République.

Enfin, mes chers collègues, je ne voudrais pas que ce débat nous fasse oublier d’autres priorités : la maîtrise de la langue française, qui est loin d’être acquise pour un grand nombre de nos concitoyens, et celle des langues vivantes étrangères, lesquelles sont toujours plus nécessaires pour l’insertion professionnelle et les échanges internationaux.

Ce n’est pas, hélas, la suppression des classes bilangues et européennes voulue par le Gouvernement dans le cadre de la réforme du collège qui va améliorer la situation !

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Vasselle

Le Gouvernement n’est pas à une contradiction près !

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Faire reculer l’illettrisme est selon moi aujourd'hui la priorité des priorités. Faute de maîtriser la langue française, quelque 2, 5 millions de nos concitoyens ne sont pas en mesure de faire face aux exigences de la vie quotidienne et de participer à la vie publique.

Enfin, j’évoquerai un autre enjeu de taille, mes chers collègues : la pérennité de la francophonie. Dans un monde toujours plus globalisé, le français est lui-même, si nous n’y prenons garde, en passe de devenir une langue régionale. Dans son Discours sur l’universalité de la langue française, Rivarol écrivait : « Tout ce qui n’est pas clair n’est pas français ».

En votant la motion tendant à opposer la question préalable, exprimons donc clairement, mes chers collègues, notre attachement à la fois à la langue française et aux langues de France – ce n’est pas contradictoire –, et surtout notre refus de leur instrumentalisation.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Larcher

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je suis très heureux de prendre la parole devant vous à l’occasion de l’examen du projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, au nom des 2 millions de créolophones que compte la République et des peuples autochtones dont la langue était celle de leur territoire avant l’arrivée des Européens. Je pense en particulier aux Kanaks de Nouvelle-Calédonie et aux Amérindiens de la Guyane.

À la veille de la journée internationale de la langue et de la culture créoles, je suis heureux en effet que nous examinions ici ce texte qui inscrit l’Europe et la République dans leur réalité territoriale. Souvent, les citoyens considèrent, et parfois à juste titre, que les institutions politiques sont des objets lointains, distants de leur vie quotidienne. Il en est ainsi de la France et plus encore de l’Europe.

En refusant toute conception jacobine, nous devons développer la capacité de nos institutions à prendre en compte l’histoire, la démographie, l’économie, la sociologie, la culture, les traditions et les croyances qui caractérisent chaque espace de vie.

Ce texte illustre parfaitement la vocation de la Haute Assemblée : être le lieu qui représente les territoires de la République dans toute leur diversité. Il correspond en effet à l’âme de cette maison, à son esprit d’ouverture et de tolérance, qui permet de construire la loi commune sans dilution des identités régionales. À cet égard, je suis extrêmement déçu, monsieur le rapporteur, par le rapport d’une grande hostilité à ce texte que vous avez produit.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Larcher

Je suis heureux d’intervenir sur ce texte en tant que sénateur de la République et en tant qu’élu de la Martinique, dépositaire et défenseur de deux langues natales : le français et le créole.

Je suis heureux également de défendre ce texte, car il est immanent au message de tolérance et d’humanisme que la France a historiquement porté et doit continuer de défendre.

Ce texte est une façon de reconnaître que l’universel et le particulier ne sont pas exclusifs l’un de l’autre. Il est une manière de dire que l’égalité n’est pas l’uniformité. Il est une façon d’affirmer que le combat pour la reconnaissance des spécificités n’est en aucune façon exclusif de l’ouverture à l’autre. Se battre pour défendre son identité, ce n’est pas rejeter l’autre, c’est au contraire le reconnaître dans la richesse de son altérité.

La France doit donc s’honorer d’avoir signé cette charte en 1999 et elle doit désormais avancer sur la voie de sa ratification. C’est une question de principe.

La France est une République décentralisée. Elle reconnaît en son sein des territoires et des peuples.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Larcher

Nous en discuterons plus tard si vous le souhaitez, monsieur le rapporteur !

La France doit assumer sa dimension territorialisée en respectant et en promouvant les langues qui sont pratiquées et plus encore en étant active dans leur préservation et leur transmission.

Cette charte s’inscrit également dans le droit fil de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui comporte un engagement à respecter la diversité linguistique. Dès lors, comment imaginer que nous pourrions être signataires de la Charte des droits fondamentaux tout en renonçant à ratifier celle des langues régionales ? Alors que 25 pays ont déjà ratifié la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, serons-nous les mauvais élèves, campant sur nos positions, vivant dans le mythe d’une langue unique qui fonderait en tant que telle l’unité de la République ?

La ratification ne portera que sur trente-neuf engagements, qui sont déjà appliqués, et elle sera accompagnée, dans la Constitution, d’une déclaration interprétative : cela me semble bien suffisant pour que nous l’adoptions.

J’entends que la déclaration interprétative serait irrecevable par nos partenaires européens. Mais dans ce cas, comment l’Allemagne a-t-elle pu en introduire deux, le 16 septembre 1998 et le 17 mars 2003, précisant que les mesures énumérées par la charte doivent être compatibles avec le droit des Länder ?

Le Conseil constitutionnel a d’ores et déjà déclaré conformes à la Constitution les trente-neuf engagements pris par la France. La déclaration interprétative résout le problème de constitutionnalité du préambule et de la deuxième partie de la charte.

En réalité, le combat contre cette ratification est non pas un combat de juristes, mais un combat d’arrière-garde. Il est le combat de ceux qui considèrent la langue française comme une citadelle assiégée et qui sont incapables de la voir comme une langue vivante évoluant au fil des contacts des civilisations. Chers collègues, restez donc dans cette position de repli et de frilosité si vous le souhaitez : pour ma part, je voterai résolument en faveur de cette ratification !

Monsieur le rapporteur, vous avez terminé vos propos en citant de façon malheureuse une formule créole : le créole est une langue riche, subtile ; il faut bien la maîtriser pour l’employer.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Larcher

Je ne veux pas vous faire la leçon ce soir, …

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Larcher

M. Serge Larcher. … mais, en l’occurrence, vous êtes tombé à côté. Je suis prêt à discuter avec vous, sur ce point et sur quelques autres.

Sourires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de René Danesi

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à partir de 1945, l’État français a mis en cause la spécificité linguistique de l’Alsace. L’alsacien et l’allemand, qui est son expression écrite, étaient interdits à l’école primaire. Pour beaucoup d’Alsaciens, la langue maternelle avait pris une connotation négative. Leur loyalisme envers la France retrouvée s’est accompagné du renoncement à la langue maternelle. Il était chic de parler français.

Ce n’est qu’à la fin des années soixante que les Alsaciens firent le constat que beaucoup d’entre eux s’exprimaient mal en alsacien, mal en français et mal en allemand. On assista alors à la lente prise de conscience que l’alsacien est un élément identitaire et un atout pour bien maîtriser l’allemand.

Dans les années soixante-dix, les deux conseils généraux, puis le conseil régional, ont commencé à multiplier les initiatives et les soutiens à la langue et à la culture régionales dans tous les domaines : éducatifs, sociaux et économiques.

Les trois assemblées rhénanes ont accentué leur collaboration avec l’éducation nationale, par la signature de conventions pour la multiplication de sites scolaires bilingues. À l’éducation et à la culture s’est ajouté au fil des années un impératif économique : l’Alsace compte aujourd’hui quelque 63 000 frontaliers qui travaillent en Allemagne et en Suisse alémanique.

C’est ainsi que, en juin dernier, le préfet a signé avec les présidents de la région et des deux départements rhénans une convention-cadre portant sur la politique régionale linguistique 2015-2030, ainsi qu’une convention opérationnelle pour 2015-2018. Chaque collectivité signataire apporte à l’éducation nationale un fonds de concours annuel d’un million d’euros pour ses actions pédagogiques spécifiques à l’enseignement de la langue régionale.

Où en sommes-nous maintenant en ce qui concerne la langue et la culture régionales ?

Debut de section - PermalienPhoto de René Danesi

Nous disposons en Alsace-Moselle d’un grand nombre d’associations très actives dans les domaines de la langue, de la culture et de l’identité régionales. En tant qu’elles l’estiment nécessaire, elles descendent assez volontiers dans la rue et fréquentent les réunions électorales pour faire connaître leurs revendications.

Ainsi, quelque 43 % de la population se déclarent dialectophones et 33 % affirment comprendre et parler un peu l’alsacien. Pour 91 % des habitants, parler l’alsacien n’est plus perçu comme ringard. On revient de loin ! Une autre satisfaction est le constat que l’école primaire, dont l’alsacien et l’allemand étaient exclus dans ma jeunesse, est devenue l’école la plus bilingue de France, puisque 17 % des écoliers suivent un cursus paritaire français allemand.

Compte tenu de ce que je viens de décrire, beaucoup d’Alsaciens, dont moi-même, suivent avec attention le lent cheminement de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires depuis son élaboration en 1992.

À vrai dire, les militants de l’identité alsacienne vont de déception en déception : déception quand le gouvernement Jospin n’a accepté que 39 engagements concrets sur les 98 recensés par le traité ; déception au vu de la déclaration interprétative du 7 mai 1999 accompagnant la signature du traité par ce même gouvernement ; déception au vu de la décision du Conseil constitutionnel du 15 juin 1999 imposant une révision de la Constitution préalablement à la ratification de la charte ; déception devant le long silence sur cette charte qui s’est ensuivi.

Puis, en 2015, l’espoir renaît avec l’annonce d’un projet de loi constitutionnelle qui permettra à la France de ratifier enfin ce traité après vingt-cinq autres pays. Certaines associations militantes sortent immédiatement l’encensoir et préparent les tracts pour la campagne des élections régionales. D’autres, devenues méfiantes, font appel aux juristes, lesquels découvrent le pot aux roses, si je puis ainsi m’exprimer.

Premier constat : on peut très bien appliquer les 39 engagements retenus en 1999 sans modifier la Constitution.

Debut de section - PermalienPhoto de René Danesi

C’est ainsi que, en Alsace, nous avons pris en 2014 une initiative originale : une « charte régionalisée », rédigée par l’association Culture et bilinguisme d’Alsace-Moselle, est proposée à toutes les collectivités locales. Elle reprend la Charte européenne, mais en supprimant tout ce qui concerne l’État. Les collectivités locales sont invitées à choisir 35 des engagements énumérés. Le conseil régional, les deux départements, ainsi que de nombreuses communes, ont d’ores et déjà adhéré à cette charte régionalisée.

J’en viens au deuxième constat. En ce qui concerne les langues régionales proprement dites, la révision de la Constitution qui est proposée est dépourvue de toute portée juridique et pratique, à tel point que le Comité fédéral pour la langue et la culture régionales en Alsace et en Moselle propose aux parlementaires d’amender le texte gouvernemental en ajoutant la phrase suivante : « La République encourage l’usage des langues régionales de France et ne s’oppose pas à leur utilisation à titre complémentaire par les services publics. »

Le troisième constat est aussi le plus grave : ce projet de loi prévoit d’inscrire dans la Constitution la déclaration interprétative de 1999. Selon l’éminent juriste, ancien président du tribunal administratif, qui préside l’association Culture et bilinguisme, René Schickele Gesellschaft, le résultat « risque tout simplement d’être catastrophique. En effet, cette déclaration interprétative comporte un ensemble de réserves et de restrictions quant aux mesures de soutien aux langues régionales. En les ancrant dans la Constitution, elles feront obstacle à ce que les langues régionales puissent accéder à un véritable statut protecteur ».

Je fais mienne cette analyse juridique et, par conséquent, je voterai contre un projet de loi qui prend pour des naïfs les régionalistes authentiques, dont je suis.

Debut de section - PermalienPhoto de René Danesi

M. René Danesi. Que le Gouvernement prenne son courage à deux mains : qu’il nous propose une loi donnant aux langues régionales un véritable statut et organise concrètement leur promotion ! Et si le Conseil Constitutionnel s’y oppose, que le Gouvernement nous propose de modifier la Constitution. Sinon, qu’il passe à autre chose !

Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lasserre.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lasserre

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la signature de la charte en 1999 a été une véritable avancée. Les raisons, nous les connaissons, ne concernaient pas forcément notre pays. En tout cas, le principe retenu était de faire vivre le patrimoine culturel.

Depuis la signature de ce texte, des dispositions d’une réelle importance ont été prises.

Par l’État, tout d’abord, particulièrement en matière d’enseignement. Un grand changement s’est opéré, notamment au sein de l’éducation nationale. L’enseignement bilingue se développe. De réels progrès ont été constatés jusqu’à ce jour – je dis bien jusqu’à ce jour ; je reviendrai ultérieurement sur la réforme du collège.

Par les collectivités, ensuite, qui s’engagent et accompagnent les initiatives en matière d’enseignement, de pratique et d’utilisation des langues.

Enfin, il ne faut jamais l’oublier dans ce débat, de réelles avancées viennent du monde associatif, du militantisme des acteurs qui ont très souvent été les éléments déclencheurs des progrès publics.

S’agissant de l’enseignement par immersion, porté le plus souvent par ces associations, les difficultés tiennent principalement à la loi Falloux, qui est paralysante. Certaines initiatives sont bloquées ou dépendent des lectures interprétatives faites par les préfets sur la légalité de nos interventions.

On peut considérer à présent que l’adoption de la charte n’aura pas d’incidences notables. Cela a été dit, et je crois que c’est vrai : les engagements signés par la France sont tous quasiment appliqués.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lasserre

C’est la raison pour laquelle, probablement, beaucoup d’entre nous considèrent que ce projet de loi constitutionnelle est purement de circonstance, sans incidence réelle. Cette attitude est respectable. Pour ma part, je ne la partage pas.

La situation de nos langues minoritaires – je pense au basque, bien entendu, mais mes amis bretons et alsaciens rencontrent les mêmes problèmes – demande, me semble-t-il, un regard empreint de davantage de sensibilité.

Les efforts considérables réalisés en matière d’enseignement portent leurs fruits, mais gardent un goût d’inachevé : le nombre de locuteurs n’augmente pas. Autrement dit, si la préservation de nos langues minoritaires est assurée, leur développement est compromis. Celui-ci ne peut être envisagé que sur la pratique et les usages.

Le développement des usages ne peut se concevoir que si une vraie dynamique est créée. Ce développement nécessite beaucoup de sensibilité et de volonté, ainsi qu’un dialogue responsable – j’en parle en connaissance de cause, mais je ne suis pas le seul – entre les différents acteurs. Le développement des usages ne se décrète pas ; il ne peut s’imaginer qu’à partir d’une volonté et d’attitudes partagées.

Soyons modestes : plus qu’aux législateurs, nous devons à la société civile, au monde associatif et à la passion citoyenne la plupart des progrès que nous avons constatés.

Je suis donc favorable à l’examen de ce projet de loi. Certes, son contenu relève de l’opportunité et d’un certain fléchage, mais nous avons l’obligation de donner des signes volontaristes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lasserre

La richesse patrimoniale est évidente et reconnue. Comprenons, mes chers collègues, qu’il s’agit, lorsque nous parlons des langues régionales, d’un patrimoine tout à fait particulier, qui ne peut pas être figé, gelé, sauvegardé dans l’immobilisme. Il s’agit non pas de vieilles pierres – passez-moi l’expression –, mais d’un patrimoine vivant, qui est actuellement conservé et transmis par des couches de la société en pleine et très rapide évolution. Les locuteurs classiques, le plus souvent ruraux et âgés, doivent être remplacés par les nouvelles générations, en s’appuyant, je le redis, sur deux actions indissociables : la formation et les usages.

Si adopter cette charte ne produirait aucun effet concret, ou presque, ne pas en discuter serait un signal négatif fort et constituerait une importante régression. Cela me paraît totalement inopportun, à l’heure où la tendance est plutôt à l’affaiblissement de nos langues régionales et de la culture qui va avec elles. Tous les acteurs nous regardent, et le refus de débattre de ce projet de loi constitutionnelle serait le premier grand facteur d’affaiblissement.

Je considère que la réforme du collège, telle qu’elle est envisagée, sera un second facteur très important d’affaiblissement.

Le maintien des heures d’enseignements optionnels et des sections bilingues fait l’objet de nombreuses incertitudes. Les langues régionales semblent reléguées aux enseignements pratiques interdisciplinaires, les fameux EPI, réduisant considérablement leur temps d’apprentissage. Or cette réforme du collège aurait pu être l’occasion de donner, enfin, un véritable statut à ces langues, qui représentent un réel atout pour les enfants qui les pratiquent.

Cette réforme du collège illustre une régression qui serait concomitante au refus d’examen de ce projet de loi.

Enfin, je suis, pour ma part, favorable à l’examen de ce texte pour une raison fondamentale que je vous expose en quelques mots. Depuis plusieurs années, nous fonctionnons dans une situation de flou total : je veux parler de la fameuse déclaration interprétative que la France a produite juste après avoir signé la charte, en 1999. Un débat, je le pense sincèrement, nous permettrait d’éclaircir cette situation extrêmement ambigüe, je dirais même hypocrite. À cet égard, j’ai apprécié l’intervention de M. Vallini.

Cette déclaration interprétative est, à mon sens, une commodité rassurante, extrêmement fragile sur un plan juridique, qui dénature fondamentalement le sens de la charte et élude la question majeure, qui est posée et qui mérite le débat, de l’utilisation exclusive du français dans la sphère publique. L’ouverture d’une discussion nous permettrait, j’en suis convaincu, de sortir de cette ambiguïté.

Je voterai donc contre la motion tendant à opposer la question préalable, parce que je crois que l’on ne peut pas faire l’économie d’un véritable débat.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur quelques travées de l’UDI-UC. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Botrel

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, au travers de l’examen de ce projet de loi, nous touchons manifestement à un sujet sensible, tout du moins pour certains d’entre nous, la meilleure preuve en étant la motion de rejet présentée par le groupe Les Républicains.

Personnellement, je ne crois pas vraiment sérieuses les raisons exposées pour justifier le dépôt de cette motion ; elles m’apparaissent surtout comme des prétextes.

Refuser d’entamer le débat sur cette question qui, admettons-le, divise certains partis, n’empêchera pas que celle-ci soit évoquée et devienne même un thème lors des élections régionales de décembre prochain en différents endroits de France.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Botrel

C’est donc une question d’incompatibilité dans notre ordre juridique interne qui est soulevée par la majorité sénatoriale et qui a entraîné le dépôt de la motion de rejet que nous nous apprêtons à discuter.

Je ferai tout d’abord remarquer l’incertitude juridique dans laquelle nous nous trouvons. Les constitutionnalistes et experts consultés expriment des avis différents sur la compatibilité de la charte avec notre ordre juridique national.

Certains mobilisent l’avis négatif du Conseil d’État ou la décision rendue en 1999 par le Conseil constitutionnel, quand d’autres invoquent le rapport Carcassonne de 1998, pour ne prendre que ces exemples. Bref, nous sommes loin de l’unanimité !

La déclaration interprétative existante permet pourtant de disposer d’un certain nombre d’assurances. Tout d’abord, je veux rappeler avec force que la ratification de la charte n’entraînera pas la reconnaissance de minorités linguistiques en France, ce qui serait effectivement contraire à la Constitution.

De la même manière, les relations entre les administrés et l’administration ne seraient pas fondamentalement modifiées dans la pratique, toujours à la lumière de la déclaration interprétative.

Dès lors, où est le problème ? Celui-ci tient en réalité à une conception de la France, fondée sur une vision centralisatrice et uniformisatrice du territoire, qui a pu avoir son explication et ses raisons dans le passé, mais qui n’est plus, aujourd’hui, de saison.

Notre pays n’est plus celui du XIXe siècle, la langue française y étant parlée et comprise partout désormais ! Dès lors, est-il opportun et intellectuellement justifié de dramatiser un sujet qui n’en demande pas tant ? Je crois sincèrement qu’il est abusif de penser que, au XXIe siècle, la reconnaissance des locuteurs de nos langues régionales et minoritaires fragiliserait notre pays et ses institutions, d’autant que les langues régionales sont déjà, en elles-mêmes, reconnues par notre Constitution !

J’en veux pour preuve que l’école publique elle-même développe aujourd’hui, et avec succès, des filières bilingues dans les régions de France concernées par l’existence d’une langue vernaculaire.

Nous sommes collectivement attachés aux institutions républicaines, et personne n’est le détenteur exclusif de leur défense ni de l’intégrité nationale, que ce projet de loi ne menace en rien selon moi.

Il ne menace pas l’unité de la nation, il ne met pas en péril les institutions, et affirmer le contraire revient à vouloir instrumentaliser le droit à des fins politiques : c’est là le second élément qu’il me semble important et nécessaire de souligner.

Il ne s’agit en aucun cas de contraindre qui que ce soit à un usage linguistique contre son gré, et aucune de ces langues n’a vocation à se substituer à la langue officielle de la République, que ce soit pour des raisons institutionnelles ou pratiques, tout simplement.

Les langues dont il est question appartiennent au patrimoine national et, d’un point de vue culturel, au patrimoine mondial. À cet égard, et pour ne citer que deux exemples, le basque, par le fait que cette langue constitue un isolat linguistique, mérite d’être perpétué, comme le breton, dernière langue celtique continentale. Ne serait-ce que pour cette raison, la question mériterait un débat au fond, et non cet escamotage auquel la motion de rejet prétend nous conduire.

Sur un autre point, je souhaiterais réagir aux propos de notre collègue Bruno Retailleau. Ce dernier a cru bon d’en appeler aux dangers du communautarisme. Je le dis d’emblée, cet argument n’est pas à la hauteur : il est facile et relève de l’anathème, ce qui évite d’argumenter davantage.

Je soumets à M. Retailleau un sujet de réflexion : c’est en Bretagne, dans l’aire géographique de la langue bretonne, que le Front national réalise ses moins bons scores. C’est là aussi que de nombreuses municipalités acceptent aujourd’hui l’accueil de réfugiés du Moyen-Orient, comme nous avons accueilli en d’autres temps des réfugiés espagnols.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Botrel

Je comprends, mes chers collègues, qu’il soit confortable pour certains de ne pas aller au bout de ce débat qui les divise, a fortiori à quelques semaines des élections régionales. Le repousser une nouvelle fois, quand la possibilité de le trancher au fond nous est offerte, me semble parfaitement inepte. Le refuser revient, tout en prétendant admettre l’existence des langues régionales, à minoriser leur pratique dans nos territoires. La Charte européenne qu’il nous est proposé de ratifier ne retire de droits à personne ; elle reconnaît simplement un fait.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Botrel

M. Yannick Botrel. J’en appelle donc à l’objectivité, à la raison et au refus du conformisme idéologique. J’en appelle au débat parlementaire, au débat démocratique, et je vous invite donc naturellement, mes chers collègues, à refuser la motion de rejet.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Marc

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, élaborée au sein du Conseil de l’Europe après la chute du mur de Berlin, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires a été ouverte à la signature à Strasbourg le 5 novembre 1992.

Ce texte doit être resitué dans son contexte, celui de la fin du bloc soviétique et de la reconstitution des États d’Europe de l’Est, à l’intérieur desquels vivent de nombreuses et anciennes minorités nationales, comme la minorité hongroise en Roumanie.

C’est la question légitime de la protection des droits de ces minorités qui est à l’origine de la charte. À l’évidence, la pratique des langues régionales en France apparaît très éloignée de cette problématique.

Le 7 mai 1999, le gouvernement français signe toutefois à Budapest la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Saisi quelques jours plus tard par le Président de la République, le Conseil constitutionnel a considéré que ce texte comportait des clauses contraires à la Constitution. Comme le Conseil d’État, le Conseil constitutionnel juge que le préambule et la partie II de la charte ne sont pas conformes à la Constitution.

La reconnaissance d’un droit imprescriptible pour chacun à pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique, ainsi que l’obligation faite aux parties de tenir compte des besoins et des vœux exprimés par les groupes pratiquant ces langues ont été regardées comme conférant des droits spécifiques à des groupes particuliers, les locuteurs de langues régionales ou minoritaires.

Le Conseil constitutionnel a considéré que ces stipulations portaient atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République et d’égalité devant la loi – article 1er de la Constitution –, ainsi qu’au principe d’unicité du peuple français – article 3 de la Constitution.

Les dispositions exhortant les États à faciliter l’usage oral et écrit des langues régionales ou minoritaires dans la vie privée et publique ont été jugées contraires à l’article 2 de la Constitution, selon lequel la langue de la République est le français.

Dès lors, le processus de ratification a été interrompu. Néanmoins, le 31 juillet 2015, madame la ministre, vous déposiez le présent projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la charte, en le soumettant en premier lieu au Sénat.

Or ce texte risque d’alimenter de nombreux contentieux, comme l’ont excellemment souligné Philippe Bas et Hugues Portelli. Une révision constitutionnelle nous conduirait à une véritable impasse juridique, aussi bien dans l’ordre juridique interne que dans l’ordre juridique international.

On peut surtout s’interroger sur vos motivations : pour quelles raisons ce projet de loi constitutionnelle intervient-il précisément maintenant, seize ans après la décision du Conseil constitutionnel, alors que la ratification de la charte est inutile pour promouvoir les langues régionales, « patrimoine de la France », conformément à l’article 75-1 de la Constitution ?

Vous confondez volontairement moyens et finalité. Oui, nous voulons conserver les langues régionales et les promouvoir ! Non, la ratification de la Charte européenne ne nous semble pas opportune : pour nous, elle apparaît comme un symbole, et surtout un leurre.

En effet, ce projet de ratification, qui ne revêt aucun caractère urgent et qui se heurte à de très importants obstacles juridiques, apparaît avant tout comme un outil politique à l’approche des élections régionales. Il s’agit de placer le Gouvernement aux avant-postes du camp des défenseurs des langues régionales et de masquer, par ce biais, les autres volets de l’action gouvernementale et ses échecs.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Marc

Ne nous y trompons pas : la défense et la promotion des langues régionales n’exigent en rien la ratification de la Charte européenne !

Par ailleurs, madame la ministre, nous ne vous avons pas attendue pour exprimer notre profond intérêt pour la valorisation des langues régionales en France : la plupart des dispositifs autorisant l’emploi des langues régionales ou favorisant leur préservation ont été mis en place par des gouvernements de droite et de gauche. Je pense notamment à la loi Haby du 11 juillet 1975, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, ou encore à la loi Toubon du 4 août 1994. Des ministres de l’éducation nationale comme Lionel Jospin ou François Bayrou – un nom qu’il faut prononcer, comme en occitan, en diphtonguant l’y !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Marc

Enfin, la dernière initiative parlementaire en ce domaine consiste en une proposition de loi relative à la promotion des langues régionales, dont je suis, avec d’autres, le coauteur, qui tend à donner une assise juridique plus claire à des pratiques ou usages existants et à promouvoir l’utilisation des langues régionales.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Un texte électoraliste, avant les régionales !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Marc

Madame la garde des sceaux, je suis un ardent défenseur des langues régionales, plus précisément de l’occitan. En effet, au travers de mon ancien métier de conseiller pédagogique en langues et cultures régionales – cela ne s’invente pas ! –, j’ai contribué à créer des calandretas et des sections bilingues. Je crois donc connaître quelque peu le problème.

Dans le département de l’Aveyron, dont je suis le premier vice-président – notre collègue Jean-Claude Luche, ici présent, en assure la présidence –, nous avons, en nous appuyant sur les intercommunalités, mené une action qui me semble assez exemplaire.

Des élèves sont scolarisés dans les écoles associatives calandretas ; d’autres sont scolarisés dans les sections bilingues de l’enseignement public ; quelque 9 800 élèves au total sont sensibilisés, en maternelle et en primaire, à la langue régionale. Au total, ce sont quelque 52 % des petits Aveyronnais qui reçoivent une éducation à la langue et à la culture régionales dans mon département, alors même que la Charte européenne n’est pas ratifiée. A-t-on vraiment besoin de cette dernière pour promouvoir les langues régionales ?

Je souhaiterais que tous ceux qui ergotent longuement sur la Charte européenne et qui sont détenteurs d’un mandat exécutif local accomplissent le même travail que nous en faveur des langues régionales !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Marc

De façon concrète, les obstacles au développement des langues régionales sont principalement de deux ordres. D’une part, certains directeurs académiques des services de l’éducation nationale s’opposent sur le terrain à la création de sections bilingues – je m’y suis heurté dans mon ancienne vie. D’autre part, dans l’audiovisuel public, France 3, malgré les heures d’expression en langues régionales qui ont été mentionnées, a tendance à réduire le temps d’expression dévolu à ces langues dans ses programmes.

La proposition de loi que nous avons déposée suffit à lever ces deux obstacles et ouvre d’autres pistes, comme des modules de formation au sein des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, les ESPE.

La Charte européenne visait surtout à répondre aux problèmes que rencontraient les minorités linguistiques dans les pays d’Europe centrale et orientale après l’effondrement du communisme. De grâce, ne l’utilisons pas pour pallier des problèmes que nous pouvons régler avec notre propre système législatif !

Encore une fois, non seulement la ratification de la Charte européenne n’apporte rien par rapport à la nécessité de préserver et de valoriser les langues régionales, mais ce projet de révision constitutionnelle présente un véritable danger juridique.

Enfin, comme l’a dit le président de notre vénérable institution, Gérard Larcher, « la Constitution de la Ve République ne doit pas être une variable d’ajustement pour les gouvernements en échec ! »

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.

M. Claude Bérit-Débat remplace M. Thierry Foucaud au fauteuil de la présidence.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Courteau

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, il n'y a point d’ambiguïté pour Claude Bérit-Débat, Henri Cabanel, d’autres collègues ou moi-même, qui défendons l’occitan : la pluralité des langues régionales et la diversité culturelle sont une richesse, qu’il nous faut conforter, accroître, protéger et promouvoir, c’est-à-dire faire vivre. Parce que, trop longtemps, nos langues régionales ont été négligées, voire combattues, malmenées ou reléguées au rang de patois, nous soutiendrons ce texte visant à autoriser la ratification de la Charte européenne.

Des élus municipaux ou des parents d’élèves vous diront les obstacles trouvés sur leur route, comme tel maire rencontrant des problèmes pour avoir installé des panneaux de signalisation en occitan et en français à l’entrée de sa ville. J’avais même été amené à présenter ici et à faire adopter une proposition de loi en 2010, afin d’offrir, sur ce point, un cadre juridique sûr.

Soyons cohérents ! Si nous voulons soutenir la diversité des langues dans le monde, donc la position du français dans certains pays où il est minoritaire, peut-être faudrait-il, alors, ne pas hésiter à reconnaître cette diversité linguistique et culturelle chez nous, en France.

Je formulerai une autre remarque : s’il est vrai que c’est en français qu’a été proclamée la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, c’est tout de même en occitan qu’a été créé en 1792 le personnage de Marianne, symbole de la République.

Protéger et valoriser les langues régionales, patrimoine indivis de la nation, n’a aucunement pour objet de diminuer la place que le français occupe dans notre sphère publique, ni de méconnaître son rôle dans la construction de la nation. Il s’agit non pas de diviser, mais d’unir.

La République est une et indivisible, mais elle est aussi diverse, mes chers collègues, par ses cultures et par ses langues. C’est ce qui fait l’attractivité de nos territoires et qui les rend uniques. Compte tenu de la richesse et du poids des langues régionales dans notre pays, la charte apparaît comme le préalable nécessaire à l’élaboration d’un cadre législatif positif, au sein duquel nos langues régionales trouveraient à s’épanouir.

Certains, de tous bords, dont je respecte la position, mais ne partage ni l’analyse ni les arguments, trouvent nombre d’arguments pour s’opposer à la charte.

Rien n’y fait ! Ni que vingt-cinq pays comme l’Allemagne, l’Espagne ou le Royaume-Uni l’aient ratifiée. Ni que des juristes éminents l’aient soutenue. Ni que le Parlement européen ait invité tous les États, avec une majorité écrasante, à la ratifier. Ni que la convention de l’UNESCO de 2005 aille dans le même sens.

Rien n’y fait ! Même le préambule qui affirme que la protection et l’encouragement des langues régionales ne doivent pas se faire au détriment des langues officielles.

J’entends aussi certains, ici ou là, nous dire que ces langues seraient mortes, arriérées, surannées, vieillies, inadaptées à transmettre la moindre pensée.

La vérité est qu’elles comptent encore beaucoup de locuteurs, même si, malheureusement, leur nombre est en constante et rapide régression.

La vérité est qu’elles sont d’une grande richesse de vocabulaire, syntaxique et sémantique.

La vérité est qu’elles constituent un patrimoine humain et culturel exceptionnel.

N’ayez crainte, mes chers collègues ! Le pacte républicain n’est pas menacé par les langues régionales.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Courteau

N’y a-t-il pas lieu plutôt de s’inquiéter des attaques menées contre notre langue nationale par une langue étrangère, je veux dire l’anglo-américain.

Sur ce point très précis, certains de nos compatriotes n’hésitent pas à se demander si nous ne serions pas en voie de colonisation culturelle et linguistique, tandis que d’autres évoquent la « machine de guerre à angliciser » et annoncent pour bientôt un véritable Waterloo linguistique !

Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Courteau

La vérité est que, dans notre pays, certaines de nos langues régionales s’éteignent, peu à peu, mais inexorablement. Il nous faut donc protéger ce patrimoine, donner une impulsion aux dynamiques existantes, mieux valoriser leur enseignement et favoriser la création artistique.

Non, la ratification de la charte ne participe d’aucune logique communautariste mettant en danger le pacte républicain.

Ratifier la charte, c’est, au contraire, accomplir un acte politique fort et symbolique. C’est donner une sécurité juridique à toutes les initiatives en faveur des langues régionales, trop souvent à la merci du pouvoir réglementaire ou du zèle contentieux. C’est se doter d’un soutien institutionnel dont la charte permet, justement, la mise en œuvre.

Ratifier la charte, c’est aussi s’assurer que toutes les langues seront égales en dignité.

Tels sont nos objectifs, à Claude Bérit-Débat, à Henri Cabanel, à nos collègues du groupe socialiste et à moi-même : concilier, comme cela a été dit, la langue de la République et la République des langues. Il est dommage, vraiment dommage que l’unanimité ne puisse se faire sur de tels enjeux !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.

M. Thierry Foucaud remplace M. Claude Bérit-Débat au fauteuil de la présidence.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je suis donc le troisième sénateur alsacien à intervenir cette après-midi. Si je le fais, c’est pour affirmer, à mon tour, mon attachement à ma langue régionale, à sa pratique quotidienne, à sa promotion et à son développement, mais également pour indiquer pourquoi je ne peux pas, à mon vif regret, voter le projet de loi constitutionnel qui nous est proposé.

Je tiens à affirmer mon attachement à ma langue régionale, tout d’abord. De fait, bien que l’alsacien ne soit pas ma langue maternelle – mon père était belfortain et on ne parlait donc que le français à la maison –, j’ai appris au fil des années, dans la rue tout d’abord avec mes jeunes amis, puis avec des amis de moins en moins jeunes dans les différents cercles associatifs, professionnels, puis d’élus que je fréquentais, à pratiquer cette langue, à en découvrir la finesse et la richesse, à m’émerveiller de la multiplicité de ses accents et intonations, à la promouvoir, pour tout dire à l’aimer.

Dès que je l’ai pu, en qualité d’élu communal, puis de maire, j’ai contribué à sa valorisation en encourageant la pratique théâtrale et en soutenant la création d’un site bilingue paritaire dans une école maternelle de ma commune, puis à l’école élémentaire, en affectant, bien entendu, les moyens matériels adéquats, et même plus encore.

En qualité de président du conseil économique et social d’Alsace, tout d’abord, puis de vice-président, enfin de président du conseil régional d’Alsace, avec mes différents collègues, pendant plus de vingt ans j’ai contribué au développement de cette pratique dialectale et de projets en langue régionale, que ce soit en milieu scolaire et périscolaire, avec notamment la promotion de l’option « langue et culture régionales », par le soutien à l’écriture et à la réalisation de pièces de théâtre en alsacien ou encore par le cofinancement de plaques de rues bilingues, et même par l’édition de dictionnaires professionnels franco-alsaciens pour toute une série de métiers.

Tout cela pour dire que je ne peux pas être suspect de réserve à l’égard de notre langue régionale, …

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

… que je considère, de même certainement que les 900 000 locuteurs des différentes formes de dialecte en Alsace et en Moselle, comme un élément fort et indissociable de notre identité alsacienne et mosellane, qui a été forgée par notre histoire et notre géographie, mais également par nos spécificités – faut-il le rappeler ?

À côté de notre droit local, dont le financement des cultes reconnus, nos deux jours fériés supplémentaires et notre régime local d’assurance maladie…

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

… sont, en particulier, les éléments les plus connus, l’alsacien joue un rôle essentiel.

Souvent appris dans un cadre familial, il est une langue truculente, savoureuse : savez-vous, mes chers collègues, qu’il existe plus de quatre-vingts expressions pour dire des mots doux à une femme ?

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

M. André Reichardt. Je suis prêt à donner des cours aux plus assidus d’entre vous…

Nouveaux sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Savez-vous qu’il y a plus de quarante expressions pour dire que l’on a marqué un but en football ? Cette langue est pleine de subtilités : un même mot peut avoir plusieurs significations. Nous, les Alsaciens, sommes les seuls à la comprendre et sommes les seuls à la parler. C’est la raison pour laquelle nous voulons la garder et la promouvoir.

Pour autant, et malgré cet attachement fort à ma langue régionale, je ne puis voter le projet de loi constitutionnelle qui nous est proposé et, je le répète, c’est à mon grand regret. Pourquoi ? Parce que c’est inutile et parce que c’est impossible. C’est aussi clair que cela !

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Bigot

M. Jacques Bigot. Impossible n’est pas français !

Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

C’est inutile, parce que la Charte européenne des langues régionales et minoritaires qu’il s’agit ici de ratifier dans la version limitée qu’a signée la France, avec 39 engagements qu’elle propose sur les 98 possibles, soit à peine quatre de plus que le minimum exigé, n’apporte rien de plus que ce que nous faisons déjà dans ma région et que toute autre région peut d’ores et déjà faire.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

J’ai dit précédemment tout ce qui avait été entrepris à cet égard ces dernières années, sans qu’il ait été besoin de charte européenne. En Alsace, on l’a cité tout à l’heure, l’office pour la langue et la culture d’Alsace, l’OLCA, a été créé en 1994, soit cinq ans avant que la France ne signe la charte !

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Au fil des années, cet OLCA, massivement financé par le conseil régional d’Alsace, n’a cessé de développer et d’enrichir son activité, et il est reconnu par tous comme un animateur essentiel de notre patrimoine linguistique.

Plus récemment, comme l’a dit mon ami René Danesi, c’est même, au cours des assises de la langue et de la culture régionales organisées par la région, une charte d’Alsace pour la promotion de la langue régionale, fondée précisément sur la charte européenne qu’il nous est proposé de ratifier aujourd’hui, qui a été approuvée par le conseil régional et les deux conseils départementaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Elle traduit concrètement notre volonté de faire avancer et de pérenniser la langue et la culture régionales, avec une déclinaison d’objectifs opérationnels, notamment à destination des communes.

Pour ce faire, nous n’avons nullement eu besoin de la ratification qui nous est proposée aujourd’hui. De la même manière, la charte européenne peut d’ores et déjà, en tant que de besoin, se décliner efficacement, partout dans notre pays, si les populations concernées et leurs représentants le souhaitent.

Toutefois, et surtout, je ne vais pas voter ce projet de loi constitutionnelle, parce que c’est impossible. Le président de la commission des lois, également rapporteur de ce texte, nous a indiqué les raisons pour lesquelles la ratification qui nous est proposée n’est pas possible. Même affublée de la déclaration interprétative proposée par le Gouvernement, cette charte européenne est contraire à la Constitution. Je n’y reviendrai pas.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

On peut supprimer cette déclaration, si vous préférez !

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Reste alors la force du symbole, que les partisans de cette constitutionnalisation entendent mettre en avant. À ceux-ci, je voudrais juste répondre que la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a d’ores et déjà ajouté l’article 75-1 à la Constitution et que celui-ci indique que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France » !

En conclusion, et sans nier, une nouvelle fois, toute l’importance à accorder aux langues régionales et minoritaires, il me semble qu’il y a bien lieu pour le Sénat de rejeter ce projet de loi, en votant la question préalable qui nous est proposée par la commission des lois, et de lui préférer le vote d’une proposition de loi donnant un véritable statut aux langues régionales, comme le groupe Les Républicains envisage de le proposer dans les prochaines semaines. Je le répète, c’est tout à fait possible, indépendamment de la ratification de cette charte.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Manable

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la République est une et indivisible. Et c’est son patrimoine culturel dense et divers, complété au fil du temps, qui fait la France d’aujourd’hui, dans toute sa diversité. Les langues régionales participent à cette richesse de notre pays. Une République forte n’a pas à craindre la diversité linguistique.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Manable

Je suis l’un des représentants de la nation, comme vous mes chers collègues. Je suis parlementaire, donc au service de l’intérêt général. Je ne suis pas l’avocat d’un territoire ou le VRP de spécificités locales. Pourtant, je suis un ardent militant des cultures et langues régionales – de toutes les cultures et de toutes les langues régionales !

Nous devons saisir l’occasion de cette ratification, notamment pour soutenir cette richesse culturelle de la France et les diversités locales. C’est un débat important, qui ne doit pas être évacué par je ne sais quelle acrobatie ou pirouette technique.

Durant toute l’après-midi, j’ai entendu parler du basque, de l’alsacien, du breton… Qu’il me soit permis de vous parler du picard !

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Manable

Au XIIIe siècle, à une époque où il existait une « nation picarde », la langue picarde était fréquemment utilisée par les universitaires du Moyen Âge, à la Sorbonne, à deux pas d’ici.

La langue picarde fait partie intégrante de la richesse culturelle de la France. Le picard est reconnu comme une langue par le ministère de la culture : en 1999, quand la France a signé la Charte européenne des langues régionales, le Premier ministre Lionel Jospin a demandé à Bernard Cerquiglini, linguiste, qui avait été délégué général à la langue française, d’établir la liste des langues de France. Or le picard en fait partie. Il est officiellement reconnu comme étant l’une des soixante-quinze langues de France, qui comprennent aussi les langues d’outre-mer.

Cependant, en 2013, dans la perspective de l’éventuelle ratification alors déjà évoquée et de la mise en œuvre des dispositions de la Charte en faveur des langues régionales et minoritaires, Aurélie Filippetti, ministre de la culture avait installé un comité consultatif pour la promotion des langues régionales et de la pluralité linguistique interne avec pour mission « d’éclairer le Gouvernement sur les modalités d’application des trente-neuf engagements pris par la France en signant la Charte européenne, et plus généralement de formuler des recommandations visant à favoriser la pluralité linguistique interne à notre pays ».

Le rapport de ce comité consultatif cite le picard tantôt, correctement, comme une langue – appartenant comme le français au groupe des langues d’oïl –, tantôt en laissant entendre qu’il serait une « variété dialectale du français », niant ainsi le fait que, linguistiquement, historiquement et d’un point de vue littéraire, le picard est une langue proche, mais aussi distincte du français que l’occitan peut l’être du catalan ou le néerlandais de l’allemand. Cette ambiguïté a bien évidemment nourri des inquiétudes chez tous les promoteurs du picard, dont je suis.

Nous avions en effet constaté qu’aucun représentant ni spécialiste de la langue picarde ne figurait parmi les membres de ce comité ou parmi les personnes qualifiées et associations auditionnées par celui-ci.

Enfin, les données mentionnées en annexe du rapport nous semblent inexactes. Le nombre de locuteurs avancé nous apparaît fantaisiste et ne s’appuie sur aucune référence sérieuse. De plus, il globalise l’ensemble des langues dites d’oïl sans distinguer les différences très profondes qui existent entre elles.

Or la réalité du picard recouvre cinq départements – l’Oise, l’Aisne, la Somme, le Pas-de-Calais, le Nord – et même une partie de la Belgique jusqu’à Tournai : le picard se parle entre le nord de Paris et le sud de Bruxelles. On considère que deux millions de personnes sont au moins capables de le comprendre et, je le rappelle, il s’écrit depuis le Moyen Âge.

En effet, la plupart des grands textes du Moyen Âge sont écrits en langue picarde et ce que l’on qualifie d’ancien français est objectivement de l’ancien picard. L’existence d’une littérature originale très importante et millénaire en langue picarde est une réalité, tout comme le fait que le picard dispose d’une orthographe communément acceptée et très largement répandue, ainsi que d’une importante présence en milieu scolaire. Plusieurs méthodes d’enseignement du picard ont déjà été publiées, notamment celle qui a été réalisée par l’Agence pour le picard en 2013.

D’ailleurs, sans faire injure à mes collègues du Nord et du Pas-de-Calais, le ch’ti est du picard, mais du picard qui a réussi, grâce au film ! §Il ne s’agit même pas d’une variante, mais d’une appellation. Le ch’ti n’a pas d’autonomie par rapport au picard, il n’existe que depuis la guerre de 1914-1918, car c’est de l’argot des tranchées. Il s’est formé à partir de sonorités que les soldats entendaient dans la bouche de leurs camarades qui parlaient picard. Comme les soldats du Nord étaient nombreux à parler picard, ils ont été désignés comme étant les Ch’timis.

De nos jours, on publie régulièrement en picard, dans tout le domaine linguistique picard. Astérix en picard, c’est quand même plus de 100 000 exemplaires, beaucoup plus que les traductions dans les autres langues régionales de France !

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Manable

Le picard est aujourd’hui un élément culturel fort de notre grande région Nord–Pas-de-Calais–Picardie, sauf pour certaines candidates aux élections régionales qui ne connaissent cette grande région qu’au travers des vitres du TGV qui les emmène de Saint-Cloud à Bruxelles.

Dans l’éventualité où la procédure de révision de la Constitution indispensable à la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires aboutirait, il est indispensable que la langue picarde soit concernée et entre dans le périmètre de ce processus.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Manable

M. Christian Manable. Monsieur le président, mais tous les orateurs qui m’ont précédé ont dépassé le temps de parole qui leur était imparti !

Protestations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Manable

Pour conclure, permettez-moi de citer quelques extraits de la lettre adressée par Marius Touron au ministre, le 16 septembre 1910 : « Mossieu l’ministre, cha s’roit i jamoés vrai, môssieu l’ministre ? I péroit qué d’vant qui fuche longtemps chés poysans comme nous n’éront plus l’droit d’pérleu ein patois. […] Les viux mots d’no patois, os z’avons chuché aveuc l’lait d’no mère, est einé deins no sang, a n’peut mi s’ertireu comme o. »

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Manable

Si je traduis, cela signifie : « Monsieur le ministre, cela serait-il vrai ? Il paraîtrait que les gens comme nous qui furent longtemps des paysans n’auraient plus le droit de parler en patois. Les vieux mots de notre patois, avec lesquels nous avons bu le lait de notre mère, sont entrés dans notre sang, …

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Manable

M. Christian Manable. … cela ne peut disparaître comme ça. » Merci de votre attention et de votre grande patience !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Éric Bocquet applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Colette Mélot

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, la révision constitutionnelle de 2008 a permis d’introduire par la Constitution un article 75–1 qui dispose que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ».

De nombreuses initiatives parlementaires, plusieurs propositions de loi, des questions orales ou écrites posées sur le sujet témoignent de l’intérêt manifesté par l’ensemble du Sénat pour les questions de langues et cultures régionales.

Je suis pourtant convaincue, après avoir conduit de nombreuses auditions dans le cadre de la rédaction d’un rapport fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication en 2011, que le temps des « guerres linguistiques » est révolu. Certes, il faut conserver un statut prééminent au français, qui est notre langue nationale commune, la langue de la vie publique et de la République, un des piliers de l’unification de notre pays, mais les langues régionales n’en constituent pas moins une des richesses culturelles qui honorent notre pays. Elles ne sont pas une menace pour le français, qui doit plutôt lutter sur le plan international pour conserver sa place.

L’appellation de « langues régionales », si elle constitue un terme générique commode d’emploi, a l’inconvénient de masquer la grande diversité des situations locales. Il y a peu en commun entre les situations des langues comme le basque, le breton, l’occitan et ses variétés, l’alsacien, le catalan, le corse, le flamand occidental – et je ne saurais oublier le picard ! –, les créoles, le tahitien, les langues kanakes et amérindiennes. Elles diffèrent par le nombre de locuteurs, dont l’estimation est d’ailleurs difficile, d’autant qu’il faudrait distinguer entre la compréhension passive et l’expression active, la maîtrise de l’oral et de l’écrit. Beaucoup d’entre elles, en outre-mer, connaissent encore une transmission naturelle dans les familles. En revanche, celle-ci s’est complètement étiolée en métropole où les langues régionales survivent grâce à l’école, contrairement à un préjugé répandu.

Je voudrais apporter un éclairage issu des travaux et des auditions que j’ai pu mener. Nous ne pouvons que nous féliciter du sérieux avec lequel l’éducation nationale aborde l’enseignement des langues régionales. L’article L. 121–1 du code de l’éducation prévoit que la formation dispensée au sein des écoles, des collèges, des lycées et des établissements d’enseignement supérieur « peut comprendre un enseignement, à tous les niveaux, de langues et cultures régionales ». Par ailleurs, le service public de l’enseignement supérieur, en application de l’article L. 123–6 du code de l’éducation, « veille à la promotion et à l’enrichissement de la langue française et des langues et cultures régionales ».

Dans sa rédaction issue de la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, l’article L. 312–10 du code de l’éducation prévoit que « Les langues et cultures régionales appartenant au patrimoine de la France, leur enseignement est favorisé prioritairement dans les régions où elles sont en usage. Cet enseignement peut être dispensé tout au long de la scolarité selon des modalités définies par voie de convention entre l’État et les collectivités territoriales où ces langues sont en usage. »

Par ailleurs, l’enseignement de la langue régionale peut permettre de déroger aux règles normales d’affectation des élèves dans l’enseignement primaire. Il ressort des dispositions de l’article L. 212–8 du code de l’éducation, dans sa rédaction issue de la loi « NOTRe », que « le maire de la commune de résidence dont les écoles ne dispensent pas un enseignement de langue régionale ne peut s’opposer, y compris lorsque la capacité d’accueil de ces écoles permet de scolariser les enfants concernés, à la scolarisation d’enfants dans une école d’une autre commune proposant un enseignement de langue régionale et disposant de places disponibles. »

M. Ronan Dantec s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Colette Mélot

Il faut également souligner la situation spécifique des langues régionales dans les outre-mer. L’article L. 321–4 du code de l’éducation, dans sa rédaction issue de la loi de refondation de l’école, prévoit que « dans les académies d’outre-mer, des approches pédagogiques spécifiques sont prévues dans l’enseignement de l’expression orale ou écrite et de la lecture au profit des élèves issus de milieux principalement créolophone ou amérindien. » Compte tenu du caractère vernaculaire de ces langues, le « schéma d’accompagnement à la valorisation de l’enseignement des langues d’origine dans les outre-mer », élaboré en 2012, encourage les enseignants à s’appuyer sur la langue d’origine des élèves pour favoriser l’apprentissage du français.

Mes chers collègues, si les engagements auxquels la France a souscrit sont en grande partie réalisés, une éventuelle ratification de la Charte européenne des langues régionales n’irait pas sans poser certaines difficultés. Au-delà du coût de ces mesures, les dispositions de la Charte pourraient empêcher, par exemple, la réduction du nombre d’options dans l’enseignement secondaire, prônée de longue date par la Cour des comptes et qui est envisagée comme un des leviers d’une réorientation des crédits vers l’enseignement primaire.

Je dirai également quelques mots sur la promotion des langues et cultures régionales dans les médias, déjà largement prévue par la loi relative à la liberté de communication, qui trouve de nombreuses applications. J’appelle votre attention sur des pistes d’amélioration possibles : il faudrait par exemple élargir les compétences du Conseil supérieur de l’audiovisuel ; Radio France pourrait favoriser l’expression régionale sur ses antennes décentralisées sur l’ensemble du territoire ; il paraît important de favoriser davantage la diffusion audiovisuelle des langues régionales dans les médias et la création cinématographique ; un travail pourrait être mené par l’Institut national de l’audiovisuel, l’INA, pour la conservation et la diffusion d’archives en langue régionale.

Enfin, dernier volet de mon intervention, je voudrais évoquer la signalétique des noms des communes ou autres lieux publics. Là encore, le texte de l’article unique de la proposition de loi adoptée par le Sénat en février 2011, dont j’avais été le rapporteur et que M. Courteau a évoqué voilà quelques instants, n’a pas été inscrit depuis à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Il pourrait être repris, car cette pratique mérite d’être consolidée. Il est intéressant de relever que la Charte européenne des langues régionales, dans l’une de ses dispositions, préconise l’adoption des formes traditionnelles et correctes de la toponymie, conjointement à la dénomination dans la langue nationale. Cette disposition figure d’ailleurs parmi les 39 mesures retenues par la France dans la Charte, et qui ont été jugées constitutionnelles, contrairement au préambule qui en interdit la ratification.

Je tiens à rappeler, pour conclure, que la politique française est exemplaire concernant l’enseignement des langues régionales. J’estime que la difficulté majeure reste le manque chronique d’enseignants spécialisés, et non la ratification de la Charte européenne. Notre groupe, lors du quinquennat précédent, a donné des preuves de son profond attachement à la défense des langues régionales et nous allons poursuivre notre action par le dépôt d’une proposition de loi. Nul besoin, par conséquent, d’une ratification de la Charte européenne, alors que celle-ci soulève les sérieuses difficultés d’ordre juridique et constitutionnel qui viennent d’être exposées.

Je voterai la motion tendant à opposer la question préalable au présent texte et j’espère que les partisans de son adoption, prompts à défendre les langues régionales à la veille d’élections concernant les régions, mettront prochainement la même ferveur à voter nos propositions, qui constituent selon moi un moyen plus sûr pour préserver nos traditions.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Sylvie Goy-Chavent et Catherine Morin-Desailly applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Labazée

Monsieur le président, madame la ministre, vous vous en souvenez, un collègue de mon département s’était mis à chanter dans sa langue natale à la tribune de l’Assemblée nationale. Vous connaissez son nom, …

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Labazée

… sinon vous pourrez le retrouver dans les archives. Je ne vais pas chanter en béarnais ou en occitan, mais je voudrais commencer mon propos en disant : « Mosssu lo president, dauna Taubira, daunas et mestes »… Vous avez compris ?

Rires.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Labazée

Intervenir après deux heures et demie de débats autour des langues et cultures régionales à propos de ce projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires m’amènerait à rappeler ce qui a déjà été dit à de nombreuses reprises dans l’après-midi. Je pourrais, par exemple, mentionner les dates, de l’adoption de la Charte en 1992 en passant par la décision du gouvernement Jospin de la signer en 1999. Depuis, seize années ont passé et rien n’a été fait. Je vais donc oser une métaphore : cette charte serait-elle un caillou dans la chaussure de la France ?

D’ailleurs, les pays nouvellement admis dans l’Union européenne se voient contraints de la signer et, de surcroît, de la ratifier. La majorité des grandes nations européennes – le Royaume Uni, l’Allemagne, l’Espagne et bien d’autres – l’ont ratifiée.

La Charte, quoi qu’en disent les souverainistes de tout poil, ne menace en rien l’unité de la nation, donc de la République. Elle ne crée pas un droit spécifique pour les groupes ou communautés, distincts de la communauté nationale.

Cela a été dit, la République peut être une politiquement et diverse linguistiquement et, par conséquent, culturellement. Si elle veut vivre encore et toujours, elle se doit de ne pas être oublieuse de ce qui l’a constituée et la constitue aujourd’hui encore : les langues régionales sont consubstantielles à la République et doivent donc être considérées comme telles.

La plupart de ces langues, cela a été répété, et tout particulièrement l’occitan, sont menacées d’extinction dans les vingt ans à venir. Ce ne sont pas les militants enfiévrés qui le disent, c’est l’UNESCO !

Que veut-on au juste ? Les voir mourir lentement, mais sûrement, …

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Labazée

… et donner ainsi à notre République l’image d’un système politique incapable d’accepter la diversité linguistique qui lui a été octroyée par l’histoire ? L’occitan a plus de mille ans d’existence, et le basque encore plus.

Ou veut-on qu’elle s’offre enfin la possibilité de se grandir et d’exister au-delà de toutes les crispations « nationalistes », ce terme a été utilisé au cours de l’après-midi ?

Car, à exclure ces langues de la maison France, la République s’ampute d’une partie de son histoire, de son identité, de son dynamisme.

Avec mes parents, durant toute leur vie, je n’ai parlé qu’en béarnais, une déclinaison de l’occitan. Pourtant, cela ne m’a pas empêché d’exercer mon métier d’enseignant au service de l’éducation nationale, ni d’épouser une carrière politique et de m’exprimer en français devant vous.

Ces langues ont non seulement des primo-locuteurs, des nouveaux locuteurs, que l’enseignement certes chaotique fait naître – je pense ici à toutes les écoles immersives –, mais elles possèdent aussi des écrivains, des poètes, des artistes, créateurs de renommée internationale – je ne citerai que Bernard Manciet. Elles sont, par essence, universelles.

Mossu lo president de la comissio de las leys, qu’abeth compres

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Labazée

Ço qu’abeth dit en l’hora ey vertat o pas ? [ce que vous avez dit tout à l’heure… est-ce vrai ou pas ?]

Debut de section - Permalien
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains

C’est vrai !

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Labazée

[vous vous moquez de nous…] – mais gentiment.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

M. Philippe Bas, rapporteur. Qui se moque de l’autre actuellement ?

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Labazée

Permo qué hie encoero que yabé 20 000 personas a Montpellieret aillos ta defende la lengua. [parce que hier encore il y avait 20 000 personnes à Montpellier… et ailleurs pour défendre la langue.]

Je pourrais continuer encore, mais le temps qui m’est imparti est pratiquement épuisé.

Nouveaux sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Labazée

M. Georges Labazée. J’en termine, monsieur le président, mais comme je me suis exprimé en deux langues, cela m’a pris quelques secondes supplémentaires.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Labazée

Madame la ministre, pour clore mon propos et cette discussion qui dure depuis trois heures, permettez-moi de citer Patrick Chamoiseau, prix Goncourt en 1992.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Pour son livre intitulé Texaco !

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Labazée

En effet, un hymne au créole, sa langue maternelle : « C’était un temps où la langue créole avait de la ressource dans l’affaire d’injurier.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

Il a dépassé son temps de parole de une minute et vingt-trois secondes !

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Labazée

« Elle nous fascinait, comme tous les enfants du pays, par son aptitude à contester l’ordre français régnant dans la parole. Elle s’était comme racornie autour de l’indicible, là où les convenances du parler perdaient pied dans les mangroves du sentiment.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Labazée

M. Georges Labazée. « Avec elle, on existait rageusement, agressivement, de manière iconoclaste et détournée. »

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Michel Le Scouarnec et Mme Hermeline Malherbe applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

Je suis saisi, par M. Bas, au nom de la commission, d'une motion n° 1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (662, 2014–2015).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. le rapporteur, pour la motion.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je n’abuserai pas de mon temps de parole, monsieur le président.

Le débat que nous venons d’avoir a été, pour moi, riche d’enseignements. Il confirme totalement l’engagement que nous avons tous, nous sénateurs de la République, de sauver, défendre et promouvoir les langues régionales. Et c’est heureux, car ces langues ne menacent nullement ni l’unité de la République ni la langue française.

En revanche, tel n’est pas le cas de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

Pour répondre à certains de nos collègues, je dirai que l’on ne peut mettre sur le même plan les opinions, aussi stimulantes soient-elles, d’universitaires, qui peuvent venir utilement enrichir le débat juridique et donner lieu à des articles de doctrine, lesquels peuvent être ensuite contredits par d’autres universitaires, et des décisions ou des avis rendus par nos institutions, telles que le Conseil constitutionnel ou le Conseil d’État, que notre Constitution charge de dire le droit. Il y a, d’un côté, les opinions et, de l’autre, du droit. Et nous vivons, fort heureusement, dans un État de droit.

Le débat constitutionnel est tranché, et ce depuis 1999. Que ceux qui s’étonnent de l’absence de ratification depuis la signature de la Charte par le gouvernement Jospin veuillent bien comprendre que, du fait de la décision du Conseil constitutionnel – c’est non pas une opinion, mais le droit ! –, il n’était pas possible de soumettre un projet de loi de ratification au Parlement. La procédure engagée par le Président de la République ne permet pas davantage de faire échec aux prescriptions de notre Constitution, pas plus qu’elle ne permettrait d’honorer la signature de la France si nous devions, sur ce fondement, accepter la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

Permettez-moi de rappeler en quoi cette ratification serait contraire à la Constitution.

Il s’agit – ce sont les termes mêmes du projet de loi constitutionnelle ! – d’autoriser par la Constitution directement la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, complétée – c’est le verbe employé – par la déclaration interprétative annoncée lors de la signature de celle-ci, voilà maintenant plus de quinze ans.

La déclaration interprétative n’a pas de valeur constitutionnelle, même si la Constitution y fait référence : elle peut être elle-même complétée, réduite, étendue ou modifiée.

Qui plus est, cette déclaration a deux défauts, qui sont, à mon avis, dirimants.

Tout d’abord, elle est incomplète, et pour cause ! Rédigée un mois avant la décision du Conseil constitutionnel, elle n’a pas pris en compte tous les obstacles que ce dernier a relevés.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

De ce fait, si cette déclaration devait être respectée – mais nous verrons dans un instant que cela n’est pas possible –, elle ne couvrirait de toute façon qu’une partie des griefs d’inconstitutionnalité arrêtés par le Conseil constitutionnel.

C’est donc un coup d’épée dans l’eau qu’on nous propose ici de donner, et ce rien de moins qu’avec une révision constitutionnelle, ce qui n’est malgré tout pas de même niveau qu’un arrêté préfectoral. Il s’agit de notre loi fondamentale, celle que nous partageons tous, quel que soit le groupe politique auquel nous appartenons !

La déclaration interprétative est tout simplement incomplète parce qu’elle ne comporte aucune réserve sur le droit imprescriptible de s’exprimer dans la vie publique dans une langue régionale, ce qui est tout à fait incompatible avec notre Constitution, ainsi que l’a relevé le Conseil constitutionnel.

Elle ne comporte aucune réserve non plus sur le fait qu’il nous faudra alors répondre à des demandes d’ajustement des circonscriptions administratives, et donc des collectivités territoriales de la France, aux aires géographiques dans lesquelles on parle des langues régionales. Là aussi, le Conseil constitutionnel l’a relevé, c’est gravement contraire à la Constitution.

En outre, cette déclaration interprétative n’empêcherait nullement l’application des stipulations de la Charte qui prévoient, de manière très nette, la mise en place par les pouvoirs publics d’instances de représentation des groupes de locuteurs de langues régionales ou minoritaires.

Par conséquent, cette déclaration interprétative, fortement lacunaire, ne règle pas les problèmes de constitutionnalité. Ces problèmes ne sont pas des arguties juridiques. La Constitution, c’est l’acte fondamental qui organise la vie en société, sur le fondement d’un certain nombre de principes hérités de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et c’est aussi l’acte fondamental qui régit les rapports entre les pouvoirs publics constitutionnels et démocratiques.

Ensuite, la déclaration interprétative, si lacunaire, je le répète, ne permettrait pas non plus de respecter la Charte. C’est l’autre aspect fondamental de la révision constitutionnelle que de ne pas permettre à la France de respecter sa signature et d’empêcher le respect de cette signature avec un acte de portée constitutionnelle, ce qui est tout de même singulier. Il n’y a pas, me semble-t-il, de précédent dans l’histoire de la République d’une telle tentative de passage en force pour réviser la Constitution, en portant atteinte à la fois à ses principes fondamentaux et à la signature de notre pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Permettez-moi d’expliquer pourquoi la déclaration interprétative ne permet pas le respect de la Charte.

C’est simple : la Charte exclut les réserves, en son article 21.

Il n’y a pas besoin de réserves pour faire son marché parmi les 98 paragraphes qui comportent des mesures que la France choisirait d’appliquer ! Nous en avons choisi trente-neuf, cosmétiques : toutes sont déjà conformes à notre droit. Dès lors, pourquoi vouloir modifier la Constitution, alors que nous pouvons appliquer spontanément les 39 paragraphes retenus par le gouvernement français depuis plus de quinze ans, sans avoir à modifier notre ordre juridique ?

Il n’est pas douteux que ce que nous avons qualifié, ou plutôt, ce que vous avez qualifié – je m’adresse au Gouvernement – de « déclaration interprétative », ce sont en réalité des réserves, lesquelles ne sont pas conformes aux stipulations de la Charte.

Qu’arrivera-t-il si nous ratifions la Charte dans ces conditions ?

C’est très simple : la Charte, dans ses parties IV et V, organise les conditions de la surveillance du respect, par les différentes parties signataires, des stipulations qu’elle comporte. Aux termes de la Charte, un comité d’experts présente des rapports sur la politique suivie et le comité des ministres du Conseil de l’Europe pourra formuler des recommandations.

Or, dans la mesure où la France refuse des stipulations essentielles de la Charte au moment de la ratification, la première chose que fera le comité des ministres – il y sera obligé ; comment pourrait-il en être autrement ? –, c’est constater qu’elle est en infraction et il lui demandera de se mettre en conformité.

Cela prouve tout simplement que l’on veut nous conduire dans une voie sans issue, une double impasse constitutionnelle et conventionnelle.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

M. Philippe Bas, rapporteur. … nous ne pouvons que renvoyer au Président de la République son projet de révision constitutionnelle, en lui demandant, cette fois, d’être plus attentif au respect de ses obligations constitutionnelles, à savoir, d’une part, le respect de la Constitution et, d’autre part, le respect des engagements internationaux de la France. Je n’invente rien : c’est l’article 5 de notre Constitution !

Applaudissementssur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées de l’UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, M. le rapporteur a constaté à juste raison que, dans le long débat qui a occupé notre après-midi, il y avait eu le droit et des opinions. Monsieur Bas, je suis d’accord avec vous : il y a eu beaucoup d’opinions.

Ainsi, certains ont soutenu que le projet de loi constitutionnelle porterait atteinte à l’unité de la République ; c’est une opinion. D’autres n’ont pas craint d’affirmer qu’il favoriserait le communautarisme ; encore une opinion, et excessive !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

D’autres encore ont prétendu que le projet de loi constitutionnelle bafouerait les fondements de notre droit ; toujours une opinion, je vous l’affirme !

Pour répondre à M. le rapporteur, j’examinerai deux questions.

La première est celle qui nous est le plus immédiatement posée : la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires est-elle compatible avec notre Constitution ? Pour moi, comme pour Mme la garde des sceaux, la réponse est : à l’évidence, oui !

À ceux qui en douteraient, permettez-moi de présenter une observation, d’ailleurs suggérée par notre garde des sceaux dans son intervention liminaire : quel est notre pouvoir, à nous qui sommes le constituant, et quel est, au-delà de nous, celui du peuple souverain ? Chers collègues qui êtes hostiles à la ratification de la Charte, posez-vous un instant cette question ! Sommes-nous subordonnés au pouvoir judiciaire, voulons-nous être subordonnés aux traités européens, ou bien avons-nous le pouvoir d’affirmer la primauté des grandes règles de notre République, auxquelles nous sommes tous attachés : l’indivisibilité de la République, l’égalité devant la loi et le choix du français pour langue de la République, conformément à l’article 2 de la Constitution ?

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

Quelle est la réponse apportée par notre droit ? Notre droit affirme la suprématie de la Constitution sur les traités européens ! Il suffit d’ouvrir n’importe quel manuel pour s’en assurer.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

En effet, ce n’est pas une bien grande découverte !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

: on y lit, évidemment, que la Constitution a une valeur supérieure à celle des traités.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

Dès lors, personne ne doit douter que toutes les dispositions du bloc constitutionnel, préambule compris, en particulier celles qui affirment la souveraineté nationale, l’égalité et le choix du français pour langue de la République, primeront nécessairement la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

Cette certitude est renforcée par deux précautions prises par le gouvernement de notre pays lors de la signature de la Charte.

On rappelle trop peu que la France n’a pas signé la totalité de la Charte : elle n’a souscrit qu’à 39 engagements sur 98, ainsi qu’elle en avait le droit et à l’instar d’autres pays. Or, au moment de choisir les engagements auxquels nous souscririons, nous avons bien entendu écarté tous ceux qui nous paraissaient contraires à nos règles, en particulier le droit imprescriptible pour le locuteur d’une langue régionale d’en faire usage, dont M. le rapporteur vient encore de parler.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Cela n’est pas dans la déclaration interprétative !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

On nous objecte que, sans doute, la France n’a pas signé l’ensemble de la Charte, mais que la question ne doit pas être posée dans ces termes ; le problème viendrait non pas de ce que la France a accepté, mais de ce qu’elle n’a pas accepté : du préambule de la Charte et de l’article 2 de celle-ci, qui pourraient nous être imposés contre notre volonté.

Or ce risque est écarté par la seconde précaution que nous avons prise au moment de la signature de la Charte. De fait, sur les conseils d’un éminent professeur de droit, Guy Carcassonne, la France a déposé une déclaration interprétative, qui fixe la lecture qu’elle fait de cette charte et la manière dont elle entend l’appliquer. Dans ce document, qu’il faut examiner de façon sérieuse, la France affirme en particulier qu’il n’y aura pas lieu de reconnaître des droits spécifiques aux locuteurs de langues minoritaires ni d’imposer une autre langue que le français dans les relations avec l’administration.

Poussons le débat jusqu’au bout. Le dépôt d’une telle déclaration interprétative est-il une spécificité française ? Non pas ! À la vérité, tous les pays qui ont signé la Charte européenne en ont déposé une, et l’Allemagne en a même déposé deux !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

Cette déclaration interprétative constitue-t-elle une réserve ? Telle est la seconde question à laquelle je souhaite m’attacher, étant entendu que la réserve est interdite d’une façon générale par la convention de Vienne, en plus de l’être par la Charte. Mes chers collègues, je vais tâcher de vous démontrer qu’elle n’en est pas une.

Pour une raison trop rarement citée, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires est précédée d’un rapport explicatif, qui fournit les clés de lecture de tous les points délicats. Un rapport dont personne n’a parlé, hormis vous, madame la garde des sceaux ! Il précise pourtant que la Charte a une vocation culturelle, de sorte qu’elle ne saurait remettre en cause les principes de souveraineté nationale et d’intégrité territoriale des États.

M. Jacques Mézard s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

Monsieur le rapporteur, ce raisonnement est confirmé par un certain nombre d’ouvrages, en particulier par celui du professeur Gicquel, dont je vous recommande la lecture.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

Monsieur le président, vous voudrez bien augmenter un peu mon temps de parole, puisque je suis constamment interrompu.

Reste l’opposition formée par le Conseil constitutionnel et par le Conseil d’État, que l’on présente comme une sorte d’Himalaya d’inconstitutionnalité.

Qu’a conclu, au juste, le Conseil constitutionnel ? Qu’une révision de la Constitution était nécessaire à la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Eh bien, tel est précisément l’objet du présent projet de loi constitutionnelle !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

Certes, monsieur le rapporteur, le Conseil constitutionnel a estimé que la déclaration interprétative n’était pas une norme suffisante ; mais il nous est précisément proposé de lui donner une force constitutionnelle en la mentionnant au nouvel article 53–3 de la Constitution, afin qu’elle ait toute l’autorité nécessaire pour régler l’interprétation de la Charte.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

Le Conseil constitutionnel n’aura plus à s’interroger sur la constitutionnalité du dispositif, puisqu’il ne lui appartient pas, en vertu de sa propre jurisprudence, de juger d’une loi constitutionnelle : le pouvoir constituant s’impose au juge constitutionnel.

Du reste, ce débat s’est tenu à de multiples reprises, par exemple au sujet de la parité entre les hommes et les femmes sur les listes électorales : après que le Conseil constitutionnel eut jugé ce principe contraire à la Constitution, une révision constitutionnelle est intervenue, dont le Conseil constitutionnel n’a pu que prendre acte.

S’agissant des incertitudes juridiques soulevées par le Conseil d’État, je soutiens que, la Constitution ayant été révisée, si un Basque, un Corse ou un Breton prétend plaider devant un tribunal dans sa langue régionale, la réponse du juge sera évidente : appliquant la Constitution, et la déclaration interprétative qui y sera mentionnée, il opposera à ce justiciable une fin de non-recevoir.

Quant au juge européen, il devra faire de même. Au demeurant, je rappelle que la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ne fait pas partie des normes de référence de la Cour européenne des droits de l’homme, ce qui est une précision importante. Surtout, il n’appartient pas au juge européen de faire prévaloir une quelconque norme sur notre Constitution. Nous qui sommes le pouvoir constituant, comment pourrions-nous seulement concevoir qu’il le puisse ?

Mes chers collègues, que se passe-t-il donc dans les vingt-cinq pays qui ont ratifié la charte européenne des langues régionales ou minoritaires ? On n’assiste pas davantage à l’effacement de l’allemand en Allemagne qu’à celui de l’anglais au Royaume-Uni. À la vérité, on n’assiste à aucune révolution linguistique ni à aucun bouleversement. La raison en est simple, quoiqu’elle n’ait pas été suffisamment signalée : l’article 5 de la Charte – cette fois je parle bien, monsieur Mézard, d’une stipulation de la Charte elle-même – prévoit que rien dans la Charte ne pourra remettre en question le principe de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des États.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

Sans compter que le rapport explicatif précise : « L’approche retenue par la charte respecte les principes de souveraineté nationale et d’intégrité territoriale. Il s’agit, dans chaque État, de prendre en compte une réalité culturelle et sociale, et non de remettre en cause un ordre politique ou institutionnel. »

Mes chers collègues, l’Assemblée nationale a donné sa réponse : elle a adopté le projet de loi constitutionnelle à une majorité supérieure aux trois cinquièmes, une majorité de 71 %. En d’autres termes, chers collègues de droite, nombre de vos collègues députés ont voté une révision constitutionnelle de cette nature !

Mme Patricia Schillinger applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

M. Alain Anziani. Aujourd’hui, il appartient au Sénat de décider s’il s’opposera à une aspiration légitime de nos territoires

M. Jacques Mézard s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

en se repliant, oublieux de ce qu’il représente, sur une tentation jacobine !

Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mmes Hermeline Malherbe et Marie-Christine Blandin ainsi que M. Ronan Dantec applaudissent également.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira

Je voudrais tout d’abord féliciter les oratrices et les orateurs qui se sont exprimés dans la discussion générale pour la haute tenue de leurs propos. Tous, quelque position qu’ils aient défendue, ont situé le débat au niveau qu’il mérite, en examinant les arguments juridiques mais en osant aussi se demander comment nous pouvons ouvrir un espace pour une partie importante du patrimoine non seulement linguistique, mais aussi culturel et artistique, créatif et ingénieux de la France, ce qui est le cœur de la question.

J’ai écouté tous les orateurs avec la plus grande attention et, à plusieurs reprises, avec joie. J’avais prévu de répondre à chacune et à chacun à l’issue de la discussion générale, mais j’ai réalisé que cette méthode ne serait pas pertinente. Je souhaite revenir à présent sur les arguments juridiques qui ont été avancés, car il ne suffit pas de répéter un argument pour lui donner ni de la vraisemblance ni de la vérité.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Monsieur Mézard, vous avez reproché à la garde des sceaux de ne pas faire du droit. Que vous ne vouliez pas entendre mon argumentation, je puis le concevoir, mais il n’en reste pas moins que j’ai fait du droit tout au long de mon intervention liminaire. J’ai bien présenté le projet de loi constitutionnelle, la manière dont il a été rédigé et les raisons de cette rédaction ; j’ai expliqué quel était le précédent et pour quelle raison il avait été conçu et rédigé ainsi ; j’ai exposé les principes sur lesquels repose la rédaction qui a été choisie et ce qu’implique la référence à la déclaration interprétative.

J’ai également insisté, ainsi que M. Anziani vient de le souligner, sur la souveraineté du constituant. À cet égard, je dois reconnaître que j’ai été surprise par la manière dont certains d’entre vous, les constituants, négligent et sous-estiment leur propre pouvoir.

Mmes Maryvonne Blondin et Frédérique Espagnac opinent.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est à vous qu’il revient de choisir de réviser ou non notre loi fondamentale selon les règles de la Constitution §c’est-à-dire à la majorité des trois cinquièmes !

Comme je l’ai indiqué dans mon propos liminaire, le constituant a le droit de considérer que certaines nécessités surviennent en raison d’évolutions auxquelles il consent. Dès lors qu’il y consent, il peut donc modifier la loi fondamentale.

Reste la question – et je peux l’entendre – de savoir si le constituant fragiliserait certains principes fondamentaux de la Constitution en adoptant ce texte. Autant la souveraineté du pouvoir constituant est incontestable – il dispose du droit de modifier la loi fondamentale –, autant il n’est pas question de mettre en péril les principes fondamentaux de la Constitution.

Qu’en est-il vraiment ? Il a été fait référence à plusieurs reprises au Conseil constitutionnel qui aurait alerté sur le risque pesant sur les principes essentiels auxquels nous sommes tous profondément attachés, à savoir l’indivisibilité de la République, l’unicité du peuple français et l’égalité de tous les citoyens devant la loi.

Je vais vous donner lecture d’un passage de la décision dans laquelle le Conseil constitutionnel évoque ces principes, car vous savez parfaitement, monsieur le président de la commission des lois, qu’il existe, certes, les analyses des constitutionnalistes – nous leur sommes du reste reconnaissants d’accepter de se pencher sur nos interrogations et de nous éclairer –, mais qu’il ne faut pas mettre sur le même plan ces analyses et les avis rendus par les institutions que sont le Conseil d’État ou le Conseil constitutionnel.

Plutôt que de faire l’exégèse sans référence précise de la décision du Conseil constitutionnel relative à la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, en voici l’un des considérants : « Considérant qu'il résulte de ces dispositions combinées que la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, en ce qu'elle confère des droits spécifiques à des “groupes” de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l'intérieur de “territoires” dans lesquels ces langues sont pratiquées, porte atteinte aux principes constitutionnels d'indivisibilité de la République, d'égalité devant la loi et d'unicité du peuple français ; »

Tout cela est cohérent, sauf que ces droits spécifiques n’existent pas ! §Certes, s’ils existaient, nous risquerions incontestablement de mettre en péril l’indivisibilité de la République. Cependant, le rapport explicatif de la Charte – indépendamment des analyses des constitutionnalistes, en particulier de celles de très grande qualité émises par feu Guy Carcassonne, qui me semblent avoir été entendues ici avec la plus grande considération – précise lui-même que « la Charte vise à protéger et à promouvoir les langues régionales ou minoritaires, non les minorités linguistiques », que « pour cette raison, l’accent est mis sur la dimension culturelle et l’emploi d’une langue régionale ou minoritaire dans tous les aspects de la vie de ses locuteurs » et, enfin, que « la Charte ne crée pas de droits individuels ou collectifs pour les locuteurs de langues régionales ou minoritaires ».

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Non, ce n’est pas ce que ce rapport nous apprend !

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Si la déclaration interprétative ne vous suffit pas, il y a donc le rapport explicatif de la Charte lui-même, c’est-à-dire l’explication des auteurs. C’est la question que j’abordais tout à l’heure lorsque j’évoquais une étude comparative qui indique que l’on trouve dans cette charte des droits collectifs qui n’existent pas, faisant fi de l’intention de ses auteurs.

Si vous estimez que la déclaration interprétative précisant qu’il n’est pas question d’octroyer des droits spécifiques aux groupes de locuteurs n’est pas suffisante ou que l’analyse de Guy Carcassonne, selon laquelle la Charte n’attache aucune conséquence juridique à l’existence et à l’action des groupes qu’elle mentionne, ne l’est pas non plus et que vous souhaitez les évacuer, vous ne pouvez tout de même pas écarter un rapport aussi précis et explicite que celui de la Charte !

La crainte d’une fragilisation du principe d’indivisibilité de la République en raison de l’octroi de droits spécifiques – individuels ou collectifs – à des groupes de locuteurs doit disparaître, car ce rapport explicatif nous garantit, presque de façon redondante, qu’il n’est pas question d’octroyer de tels droits.

Monsieur Bas, s’agissant de ce texte, vous avez parlé d’un passage en force. Comment peut-il y avoir passage en force puisque c’est le constituant qui vote ?

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Voilà, c’est tout à fait impossible ! Cela fait partie des éléments qu’il était indispensable de clarifier.

Certains ont également dit que la déclaration interprétative était en fait une réserve.

Un tel débat n’est pas possible ici, mesdames, messieurs les sénateurs ! Pas au Sénat où la maîtrise du droit ainsi que la capacité à distinguer ce qui est formel de ce qui est simplement littéral sont des évidences ! Je peux d’ailleurs en témoigner, moi qui, avant même ma nomination comme garde des sceaux, suis très souvent et pendant de nombreuses années venue suivre les travaux du Sénat lorsque j’étais députée – vous l’ignoriez sans doute –, et qui ai lu avec une très grande régularité les rapports élaborés par le Sénat.

En réalité, il n’y a pas de confusion possible entre une déclaration interprétative – instrument de souveraineté d’un État – qui précise la portée que l’État donne aux dispositions contenues dans l’instrument international qu’il signe et qu’il s’engage à ratifier, et les réserves qui, elles, modifient ou excluent les conséquences juridiques de dispositions.

Monsieur le président Bas, nous ne sommes donc pas déloyaux au regard du droit international, ainsi que je l’ai expliqué au cours de la partie juridique de mon intervention. La France respecte ses obligations internationales. Cette déclaration interprétative – comme son nom l’indique – ne peut pas être une réserve, alors que nous savons bien que les réserves sont interdites, même si des dérogations et des exceptions sont possibles.

J’évoquerai très brièvement la question de la hiérarchie des normes. Nous avons entendu des hésitations et des interprétations sur ce sujet mais, d’une façon générale, les parlementaires qui se sont exprimés ont très clairement fait la part des choses.

Aucune ambiguïté n’existe en la matière depuis l’arrêt Sarran du Conseil d’État en 1998 et l’arrêt Fraisse de la Cour de Cassation en 2000. Il n’y a donc pas d’interprétation possible, pas de doute à avoir, …

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Absolument !

… pas d’inquiétudes à s’inventer !

À mon grand regret, je ne pourrai pas répondre à chacun d’entre vous. Je souhaite cependant revenir de façon transversale sur un certain nombre de sujets.

Monsieur le président Mézard, vous nous conseillez de faire du droit. Or nous faisons du droit, mais pas seulement ! Le droit, ce sont des règles qui portent sur des sujets concernant notre vie commune. C’est pourquoi il me semble qu’il faut que nous osions traiter du sujet sur lequel les textes importants posent des règles. La question n’est donc pas simplement celle du droit.

Je souhaite également revenir sur vos propos, monsieur Reichardt. J’ai entendu comme une espèce de Minnesang à l’alsacien, une sorte de chant d’amour à l’alsacien.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Lorsque le président Retailleau dit qu’il faut faire attention au communautarisme, je me demande pourquoi il faudrait faire preuve d’une suspicion systématique à l’égard des langues alors que les territoires ont de belles identités, ont tellement enrichi le patrimoine commun par la variété sémantique de la langue, par l’originalité de la construction de la langue et, au-delà, par les expressions artistiques diverses ou la production littéraire

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Pourquoi une telle suspicion ? Vous allez comprendre pourquoi je fais le lien avec l’intervention de M. Reichardt. J’affirme que faire vivre ces belles identités – qui sont souvent liées aux territoires et parfois aux paysages – n’est absolument pas du communautarisme !

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Lorsque je disais au sénateur Reichardt qu’il a fait un Minnesang sur…

Sourires.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Oui, un Liebeslied, cela doit faire partie de la liste des expressions dont vous nous avez parlé… J’ai vu que cette liste était très riche, mais je trouve malgré tout que quatre-vingts expressions ne font pas nécessairement un amour éternel !

Nouveaux sourires.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Au-delà de ce que l’alsacien a réalisé, pourquoi refuser un effet d’émulation, un cadre plus large pour ces langues ? C’est en ne l’acceptant pas que nous courons le risque d’être soupçonnés de communautarisme. Pour ma part, je ne pense absolument pas que nous en souffrions.

La défense des langues minoritaires ne consiste pas pour autant à dire qu’il faut protéger l’alsacien ou le picard ! Notre démarche consiste à dire que nous avons un vaste patrimoine, extrêmement riche et vivant, mais qu’il a perdu des forces et de l’énergie au travers du temps en raison du cadre, de l’histoire, des politiques publiques, des mesures, des attitudes, des conditions d’ascension sociale, de mille et un critères en somme.

Notre souci est de revigorer ce patrimoine et non de créer des enclaves, de fragmenter et de segmenter ! Il s’agit d’affirmer que c’est notre patrimoine commun. Nous nous enrichissons les uns les autres en prenant en charge ce patrimoine !

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

C’est ainsi que l’on sert l’indivisibilité de la République et l’unicité du peuple français.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

L’unité du même n’est pas bien compliquée à réaliser, sauf que le même n’existe nulle part. Y compris lorsque l’on a fait croire que le monde était binaire, le monde a toujours été pluriel et complexe ! Les sociétés ont toujours été plurielles et complexes !

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

La société française n’a pas échappé à cette réalité. Il s’agit d’une vertu extraordinaire de l’humanité.

La question est donc celle de l’unité d’un tel monde. C’est la laïcité, en tant que principe de concorde, qui nous permet de faire destin ensemble, de faire destin commun. §C’est pour cela que la laïcité nous lie ! La laïcité est ce qui nous permet de vivre ensemble, quelles que soient nos apparences, nos appartenances multiples, nos croyances – y compris notre liberté de conscience –, quel que soit ce qui fait de nous des êtres singuliers. C’est ce qui fait la force, l’importance, j’oserais même dire la pérennité, sinon l’éternité de ce principe laïc !

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Ce principe nous permet, quelles que soient la diversité et la multiplicité des appartenances singulières et des diversités, …

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

… de vivre ensemble et d’écrire ensemble un destin commun !

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

C’est bien parce que le monde est divers, disparate, différent que la laïcité dispose de ce pouvoir-là. En effet, la laïcité est sociale…

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Si, il y a une démarche sociale dans le fait de reconnaître l’égalité de tous les citoyens sur le territoire, le fait de ne pas encourager, de ne pas créer des enclaves, de ne pas provoquer des exclusions ou des marginalisations !

Je terminerai mon intervention en abordant la question des moyens, puisqu’elle a été évoquée à plusieurs reprises. Je crois qu’il ne faut pas confondre les sujets : les moyens sont certes indispensables – on a l’habitude d’en débattre ici et je sais que vous exercez la vigilance nécessaire pour que les lois ne restent pas lettre morte, que les dispositions adoptées par le Parlement puissent être mises en œuvre –, mais le Gouvernement présente, aujourd’hui, un projet de loi constitutionnelle. C’est la raison pour laquelle ce texte ne comporte pas de volet sur les moyens. Madame la présidente Assassi, cela n’enlève rien à la légitimité de votre interrogation et de votre interpellation. Je veux seulement y répondre très précisément, M. Bas ayant lui-même déclaré que le Gouvernement ne faisait rien depuis longtemps.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Tout d’abord, j’ai du mal à comprendre pourquoi certains sénateurs refusent la norme constitutionnelle.

Je n’arrive pas à saisir la cohérence de certains discours reposant sur l’importance de la loi.

Il m’a semblé que les différentes interventions s’inscrivaient plus dans le maximalisme - le superlatif – que dans le minimalisme. J’ai plutôt entendu un attachement aux langues, une volonté de les faire vivre, et le souci de permettre à ces langues, concrètement, à l’échelle des territoires, d’apporter leur part dans le rayonnement de notre pays.

Mais j’ai du mal à entendre, dans le même argumentaire, que la norme constitutionnelle serait infondée et qu’il faudrait éventuellement s’en remettre à une loi. Ou bien la norme constitutionnelle est infondée et le constituant peut la changer, ou bien on refuse de modifier la Constitution et les dispositions de la Charte sont inapplicables !

À plusieurs reprises, j’ai entendu des orateurs expliquer que les 39 dispositions étaient déjà applicables et, dans le même temps, qu’il fallait passer par la loi, la charte étant contraire à la Constitution. Donc, nous élaborerions une loi contraire à la Constitution ! Cela relève un peu du syllogisme !

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

S’agissant des moyens, si ce gouvernement a agi et si, précédemment, j’évoquais la « norme constitutionnelle », c’est parce que, pour les langues régionales d’une façon générale, la norme est justement infra-légale. La loi Deixonne de 1951 mise à part, elle se situe au niveau du décret, de l’arrêté, de la circulaire.

C’est ce gouvernement qui a introduit dans la loi, notamment à travers la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, des dispositions concernant les langues régionales.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Donc, oui, nous avons déjà élevé le niveau normatif, …

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

… puisque nous avons fait adopter des mesures au plan légal ! Nous proposons désormais de faire évoluer la Constitution.

Plus concrètement, voici quelques indications budgétaires. Le budget relatif à la promotion de la langue française et des langues régionales s’élève, cette année, à 2, 85 millions d’euros. Il affiche une augmentation régulière, puisqu’il s’établissait à 2, 6 millions d’euros en 2013 et à 2, 497 millions d’euros en 2010. C’est donc un budget que nous avons fait croître depuis notre arrivée aux responsabilités.

Mme Frédérique Espagnac opine.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Par ailleurs, dans le cadre d’un travail qui lui a été confié, le délégué interministériel à la promotion des langues a produit un guide, édité dans la collection Dalloz. §Cette publication rassemble tous les textes et références – essentiellement réglementaires, d’ailleurs – concernant les langues régionales.

Il existe également un programme intitulé « Dis-moi dix mots », que vous devez connaître, mesdames, messieurs les sénateurs, puisqu’il se décline sur tout le territoire, dans tous les établissements scolaires.

S’agissant maintenant du droit des personnes, il a été dit à plusieurs reprises que les locuteurs auraient la possibilité d’imposer leur langue régionale dans leurs relations avec les autorités. Cette disposition, déclinée à l’article 10 de la Charte, ne fait pas partie des 39 mesures retenues par la France. L’affirmation peut être répétée à l’envi, il n’empêche qu’une telle possibilité ne figure pas parmi les 39 mesures !

J’ai également été interpellée sur la question de la justice.

Pardonnez-moi de vous rappeler ce que notre code de procédure pénale prévoit déjà : la possibilité pour un magistrat de ne pas avoir recours à un interprète s’il comprend la langue de la personne jugée et, dans le cas contraire, l’obligation d’y avoir recours, au motif que les personnes doivent être jugées dans la langue qu’elles comprennent. C’est une obligation que nous respectons.

Ni dans la charte, ni dans les mesures qui ont été retenues ne figure une obligation de juger dans les langues régionales ! Cela n’est écrit nulle part ! Par conséquent, n’inventons pas ; constatons cependant que notre droit est suffisamment élaboré pour permettre, déjà, le recours à des interprètes.

Mais ce n’est même pas le sujet… Simplement, ne faisons pas comme si nous allions introduire un bouleversement absolument inconcevable !

J’en termine vraiment, mesdames, messieurs les sénateurs, en vous remerciant de votre attention et de la très grande qualité de ce débat.

Je rappellerai cette très belle phrase d’Édouard Glissant : « J’écris en présence de toutes les langues du monde ».

L’écrivain voulait ainsi témoigner de l’imprégnation qu’il y avait dans l’attention à l’autre, la curiosité vis-à-vis de l’autre, de l’agilité avec laquelle on peut entendre l’autre et, surtout, réagir et se mouvoir soi-même dans des univers très différents, justement parce que l’on a déjà combiné en soi des langues différentes, des cultures différentes, des expressions différentes. Chacune ou chacun d’entre nous peut donc s’exprimer en présence de toutes les langues du monde.

Vous me pardonnerez de conclure avec Aimé Césaire, qui n’a pas écrit en créole, qui a été un poète de l’universel au sens où il a montré à quel point l’enracinement profond peut permettre à l’individu de se stabiliser, de s’équilibrer et, ainsi, de se hisser à la hauteur de l’ensemble du monde, de se porter jusqu’aux cimes que lui offre le monde.

Aimé Césaire écrivait :

Je veux le seul, le pur trésor,

celui qui fait largesse des autres.

Il me semble qu’en revigorant ces langues régionales, en leur permettant d’être à notre portée à tous, nous avons la possibilité de faire « largesse des autres » !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC. – Mme Hermeline Malherbe et M. Ronan Dantec applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

La parole est à M. Jacques Legendre, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Legendre

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat était-il vraiment nécessaire ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Legendre

Ceux qui aiment la langue française et les langues de France sont bien sûr des partisans déterminés de la diversité des langues et de la protection de cette diversité.

Nous aurions pu, aujourd'hui, parler des dispositions à prendre, de l’application des 39 mesures issues de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, que le Gouvernement français déclare vouloir mettre en œuvre. Au lieu de cela, nous voilà pris dans un débat juridique, sans doute intéressant et essentiel au vu des risques que comporte cette charte ou, à tout le moins, de ses ambiguïtés profondes.

Je crois donc, mes chers collègues, qu’il est nécessaire d’abréger un débat qui ne sert pas les langues, pour avoir le temps, bientôt, à l’occasion de l’examen d’une proposition de loi, de discuter concrètement de ce que nous pourrons faire en leur faveur.

Philippe Bas vient de nous présenter une motion tendant à opposer la question préalable. La grande majorité du groupe Les Républicains y souscrit.

En effet, outre qu’elle serait sans incidence dans les faits et, en particulier, sans utilité pour les langues régionales, dont la promotion ne trouve pas d’obstacle dans l’état actuel de notre droit, la révision constitutionnelle proposée aurait pour effet de créer un conflit de droit qu’aucun argument valable ne saurait écarter.

Cette révision constitutionnelle mettrait la France dans une situation étrange, parfaitement inédite, puisque la Constitution interdirait l’application de stipulations qu’en droit international la ratification de la Charte nous ferait obligation d’appliquer, le préambule et le chapitre II de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires exigeant clairement de souscrire à ce que notre Constitution interdit.

Dans ces conditions, vous comprendrez bien, madame la ministre, que mes collègues et moi-même voterons en faveur de la motion tendant à opposer la question préalable présentée par la commission des lois.

Nous le ferons en émettant le souhait qu’après cet après-midi où nous avons été – je prends un terme picard – des « diseux », nous soyons bientôt des « faiseux », c’est-à-dire les auteurs d’une grande loi, permettant de donner toute leur place à nos langues régionales, que nous aimons et respectons.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Henri Tandonnet et François Zocchetto applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

La parole est à M. François Marc, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

De quoi ont-ils peur ?... Telle est la question que nous avons tous entendue autour de nous au cours des dernières semaines, depuis cette annonce que la majorité de droite au Sénat allait présenter une motion tendant à opposer la question préalable.

De quoi ont-ils peur ?

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

Va-t-on mettre à mal l’unité nationale en autorisation la ratification de cette charte ? Nul ne le croit ici réellement !

Je vous remercie, madame la ministre, de nous avoir apporté tous les éclairages utiles.

Sur le plan du droit, vous avez été tout à fait pertinente sur l’ensemble des sujets. Mais, je tiens aussi à vous le faire savoir, nous avons été très heureux de vous entendre élever le débat, en apportant, sur ce sujet, une vision véritablement indispensable.

Vous avez cité un certain nombre d’auteurs, notamment Victor Segalen, grand médecin de la Marine et poète, que je connais par tradition brestoise. Vous avez souligné à quel point le fait d’honorer les hommes à travers cette diversité devait être le leitmotiv qui nous guide.

Face à cette préoccupation, la droite sénatoriale affiche une position qui, incontestablement, est aujourd'hui incomprise dans le pays. Il faut bien le dire !

La majorité sénatoriale refuse ce vote, au profit d’une future proposition de loi. S’il doit y avoir « bricolage » – le terme a été évoqué à propos de la Charte –, il me semble que c’est plutôt au niveau de cette proposition de loi, « bricolée » en toute hâte, déposée au dernier moment, pour une raison que l’on sait être fondamentalement politicienne !

Mes chers collègues, un récent rapport des Nations unies nous annonce qu’au XXIe siècle 90 % des langues vont disparaître de la planète.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

Ce n’est pas en ratifiant la Charte que l’on changera quoi que ce soit !

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

Nous devons être mobilisés contre cette évolution tout à fait inacceptable.

Le Sénat, chambre des collectivités, sera-t-il à la hauteur pour respecter les attentes de nos territoires s’agissant des langues régionales ? C’est la question qui nous est posée !

Voilà pourquoi il nous faut absolument rejeter cette motion tendant à opposer la question préalable, afin que le débat aille à son terme et que le Sénat puisse autoriser la ratification de cette charte.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Michel Le Scouarnec applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

La parole est à M. Christian Favier, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Favier

Lors de la discussion générale, ma collègue Éliane Assassi a, d’une part, précisé quelle appréciation nous portions sur la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et, d’autre part, réaffirmé sans ambiguïté notre soutien de longue date à la promotion des langues régionales - langues profondément populaires, qui sont le ferment de la langue française.

À nos yeux, mes chers collègues, le fait de soutenir la démarche de préservation du patrimoine linguistique n’entre certainement pas en contradiction avec les principes républicains d’unicité et de respect de la langue française comme langue de notre Nation.

La discussion générale l’a montré, les uns et les autres ont des lectures très différentes de la Charte européenne, mais une chose est sûre : cette charte va beaucoup plus loin que la simple reconnaissance des langues régionales ou qu’un encouragement à leur préservation.

Un vrai débat existe sur sa portée juridique, en particulier dans la sphère dite de la vie publique, c’est-à-dire dans les domaines judiciaires ou administratifs. Ce débat, monsieur le rapporteur, vous ne pouvez pas nous en priver !

Il n’est pas bon, estimons-nous, d’y mettre un terme d’entrée de jeu. La discussion sur le contenu du projet de loi constitutionnelle doit avoir lieu pour apporter les éclaircissements et la sérénité nécessaires, et sortir de postures idéologiques bien éloignées des préoccupations de l’immense majorité des populations.

Nous voterons donc contre la motion tendant à opposer la question préalable en soulignant, comme Éliane Assassi l’a déjà fait, que le débat sur les moyens à mettre en œuvre pour une réelle sauvegarde et promotion des langues régionales doit également avoir lieu.

J’ai bien entendu, madame la garde des sceaux, les précisions que vous avez apportées quant aux moyens actuellement consacrés au sujet par le Gouvernement. On peut malgré tout considérer que le niveau auquel ces moyens sont portés demeure relativement modeste au regard de l’ambition affichée dans ce projet de loi constitutionnelle.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

La parole est à M. François Zocchetto, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

Nous sommes tous, dans cet hémicycle, attachés à la défense et à la mise en valeur des langues régionales. Par conséquent, le débat ne porte absolument pas sur le fait de savoir si l’on est pour ou contre la diversité linguistique. Il s’agit plutôt de déterminer comment nous pouvons assurer la pérennité, voire le développement de cette diversité, qui fait partie, nous y souscrivons tous, de notre patrimoine.

Force est de constater que ce projet de loi constitutionnelle n’apporte aucune plus-value en matière de défense et de développement des langues régionales. Cela a déjà été expliqué.

Force est de constater aussi que le texte crée beaucoup d’incertitudes juridiques et qu’il est susceptible de mettre en cause ces langues elles-mêmes.

Personne ne pourra non plus nier la lecture qu’en fait le Conseil constitutionnel : celui-ci indique très clairement qu’une ratification intégrale de la Charte reviendrait à renier les principes fondamentaux de notre droit constitutionnel, à savoir l’unicité du peuple français et l’indivisibilité de la République, principes auxquels nous pourrions ajouter l’égalité des citoyens devant la loi.

Madame la garde des sceaux, aucune réponse probante n’a été apportée aux arguments de droit qui ont été développés. En outre, à l’évocation du rapport explicatif mis en parallèle avec des décisions du Conseil constitutionnel, permettez-nous de douter du sens de la hiérarchie des normes, qui pourtant s’impose à chacun ici.

Je pense aussi à ceux de nos collègues qui sont issus de territoires régionalistes et ressentent le douloureux sentiment d’être pris en otages et d’intervenir dans un débat tronqué.

Vous l’aurez compris, le présent texte n’apportant rien de nouveau, hormis de l’insécurité juridique et des divisions partisanes à quelques semaines des élections régionales, notre groupe, dans sa très grande majorité, votera la motion tendant à opposer la question préalable.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Nous venons d’écrire un nouvel épisode de ce long feuilleton, et j’en suis très triste.

Voilà soixante-quatre ans, nous avions réussi à voter la loi Deixonne. Pourtant, la droite avait trouvé le moyen d’empêcher son application en ne publiant pas les décrets. Chaque fois que la question est sur la table, la droite trouve une argutie contre les langues régionales, tout en disant la main sur le cœur qu’elle défend les langues régionales. Que nenni !

Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Il s’agit au contraire d’empêcher l’usage de ces langues dans l’espace public et au cours de la vie publique et de les laisser s’éteindre en raison de l’arrêt de la transmission. Telle est la stratégie qu’a retenue la droite depuis des décennies, tout en l’accompagnant systématiquement d’un discours favorable à l’utilisation des langues régionales. C’est totalement faux, et c’était éminemment politique aujourd’hui.

J’ai écouté avec attention les propos de M. le rapporteur qui me semblaient très compliqués et je viens enfin de comprendre à la fin du débat. Cette fois, il nous a inventé un nouveau principe qui devrait s’appliquer lors de la discussion d’une loi constitutionnelle au Sénat : Ne touche pas à la Constitution !

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Cette règle réduit le débat, qui, si celle-ci nous avait été présentée dès le début, aurait pu s’achever beaucoup plus tôt.

Tel est le nouveau principe de M. le rapporteur : « Ne touche pas à la Constitution », ou plutôt « Ne touche pas à ma Constitution », car je l’ai trouvé très possessif lorsqu’il a donné sa définition de la Constitution et l’a défendue.

Une fois encore, la droite ne progresse pas sur ce sujet. C’est plutôt une mauvaise surprise.

À l’inverse, je dois le dire, nombre d’interventions à gauche ont suscité ma fierté. Je m’investis, comme d’autres ici, sur ce sujet depuis des décennies, et j’ai aussi connu des débats très difficiles à gauche. Néanmoins, j’ai trouvé que, sur ce texte porté avec ardeur par Mme la garde des sceaux, la gauche avait beaucoup progressé dans sa compréhension

MM. Rémy Pointereau et Bruno Retailleau s’esclaffent.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

À l’inverse, au travers des propos de Bruno Retailleau, on a agité le spectre du communautarisme. Ce n’était pas digne, ce n’était pas à la hauteur du débat. Agiter là le spectre du communautarisme, c’est annoncer une droite qui va vouloir revenir au pouvoir sur le mythe d’une France uniforme qui n’est pas à la hauteur des défis. C’est ce qui s’est dit dans ce débat. C’était un débat extrêmement politique – les arguties juridiques ne trompent personne. Un clivage très fort entre la droite et la gauche est apparu, et je suis très fier, ce soir, d’être à gauche !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Hermeline Malherbe et M. Michel Le Scouarnec applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Ces propos sont extrêmement clivants, à tel point qu’ils me paraissent simplistes. Or ce débat transcende et doit transcender les habitudes politiques et politiciennes.

D’un côté, on nous dit que le projet de loi est politicien en raison de la tenue prochaine des élections régionales. De l’autre, on estime que la proposition de loi du groupe Les Républicains est politicienne pour la raison inverse.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Vous avez tort tous les deux sur ce point.

Notre groupe se partage dans sa liberté : une légère majorité votera la motion et le reste ne la votera pas, car ce sujet transcende les clivages traditionnels.

Certains viennent de dire : le Sénat est l’expression des territoires et là il exprime ce que veulent les territoires. Or quand le Sénat exprime la volonté des territoires sur la réforme territoriale, vous n’en tenez aucun compte !

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Les arguments peuvent facilement être retournés.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Le Sénat, il est vrai, a toujours une capacité législative. Pour combien de temps, mes chers collègues, si j’en crois le rapport de M. Bartolone ?

Sourires sur les travées de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Il faut faire extrêmement attention. Madame la garde des sceaux, vous avez eu un stock de louanges mérité. Mais au-delà, il convient de revenir à l’essentiel : le garde des sceaux nous a expliqué que le Conseil d’État se trompait. Pour ma part, je ne suis pas toujours d’accord avec un certain nombre de ses décisions et avis. Toutefois, en l’occurrence, vous nous avez dit très clairement que, dans son avis du 30 juillet 2015, il avait tort. Je trouve que c’est assez grave, même si ce n’est qu’un avis.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

C’est assez grave pour que je réponde !

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Laissez-moi au moins aller jusqu’au bout, madame la garde des sceaux.

M. Dantec a eu le mérite d’exprimer sa position sur le fond. Il est favorable à l’application de la Charte, car c’est le droit de pratiquer une langue régionale dans la sphère publique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Or c’est contraire à nos principes généraux, et ce depuis longtemps.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

C’est un point que les opposants à ce projet de loi ne peuvent accepter. La Constitution, on peut éventuellement la modifier.

Madame la garde des sceaux, et je terminerai par là, vous avez parlé à juste titre de laïcité, mais nous, nous attendons un projet de loi constitutionnelle sur la laïcité, qui était promis. Quand le verrons-nous ?

Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira

Monsieur le président Mézard, je veux bien assumer tous les procès, on peut même considérer que je suis mithridatisée contre les procès qui me sont faits à partir de rien du tout.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Cependant, je ne me suis pas exprimée sur l’avis du Conseil d’État. J’ai lu un extrait de la décision du Conseil constitutionnel, et j’ai fait référence aux dispositions très clairement exposées dans le rapport explicatif – le compte rendu des débats fera foi.

Pour le reste, cela fait trois ans que je suis garde des sceaux. Je pense que, indépendamment de tous mes défauts, j’ai toujours été respectueuse des institutions ; me faire le procès de vouloir porter atteinte à celles-ci, y compris au Conseil d’État, qui a entre autres missions de conseiller le Gouvernement, dans une démocratie, me surprend de votre part, monsieur Mézard. Vous, si exigeant sur la légitimité de l’exercice du pouvoir, notamment du pouvoir législatif, vous si subtil…

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

… sur la mission et le rôle de chaque institution, comment pouvez-vous brandir l’argument selon lequel l’avis du Conseil d’État s’imposerait au Gouvernement ?

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Il exerce, entre autres missions, une mission de conseil du Gouvernement, dont ce dernier ne se prive pas, puisque, en de multiples occasions, il saisit spontanément le Conseil d’État, indépendamment du parcours d’examen des projets de loi.

Quoi qu’il en soit, je n’ai mis en cause ni le Conseil d’État en tant qu’institution ni l’avis de celui-ci.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Mes chers collègues, je tiens à revenir très brièvement sur quelques points.

Tout d’abord, étant donné que l’on nous attire sur un terrain très politique, je me dois de formuler clairement ce rappel : la droite et le centre sont pour la diversité et non pour l’uniformité.

Nous l’avons prouvé à de nombreuses reprises : en 2003, lorsque l’on a révisé la Constitution pour y inscrire l’organisation décentralisée de la République et ouvrir le droit à l’expérimentation ; en 2008, lors de la révision constitutionnelle précisant que les langues régionales font partie du patrimoine de la France ; et une nouvelle fois lors de la dernière réforme régionale, pour affirmer que l’Alsace pouvait fort bien fusionner ses départements et sa région…

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

… dans le but de constituer une collectivité à statut particulier. Lors de ce débat, les partisans de la diversité n’étaient certainement pas du côté de la gauche sénatoriale et du Gouvernement !

Ensuite, c’est une fausse habileté de vouloir contourner l’obstacle que représente la décision du Conseil constitutionnel en se référant, dans la Constitution, au complément qu’une déclaration interprétative apporterait à la ratification : il s’agit là d’un simple artifice.

Au début de la discussion générale, j’ai rappelé que cette déclaration était incomplète, qu’elle ne purgeait pas tous les problèmes de constitutionnalité.

En fait, le Gouvernement n’a pas osé prendre la seule décision qui se serait révélée cohérente et aurait permis la tenue du véritable débat politique

Mme Nicole Bricq s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

M. Philippe Bas, rapporteur. Certains de nos collègues ont défendu cette solution. Je songe à M. Danesi, qui s’est très bien exprimé sur ce sujet. Je pense également à Christian Kern, qui, par l’amendement qu’il a déposé, défend le choix suivant – je salue la cohérence de cette position, même si, à titre personnel, je ne voterais pas une telle réforme – : si nous devions réviser la Constitution conformément aux souhaits d’un certain nombre de mouvements régionalistes, il faudrait assumer, franchement et sans détour, le fait de déroger aux articles fondamentaux que nous avons déjà eu l’occasion de citer !

Applaudissementssur les travées du groupe Les Républicains. – M. Henri Tandonnet applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi constitutionnelle.

Je rappelle en outre que le Gouvernement a émis un avis défavorable.

En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

Il est procédé au dépouillement du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 30 :

Le Sénat a adopté.

Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l’adoption de la motion tendant à opposer la question préalable entraîne, en application de l’article 44, alinéa 3, du règlement du Sénat, le rejet du projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

En conséquence, les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public en salle des conférences sur l’ensemble de ce texte, initialement prévus le mardi 3 novembre prochain dans l’après-midi, n’ont plus lieu d’être, et l’ordre du jour de la séance du mardi 3 novembre s’établit comme suit :

À 16 heures 45 :

- Questions d’actualité au Gouvernement ;

À 17 heures 45, le soir et la nuit :

- Projet de loi organique relatif à l’indépendance et l’impartialité des magistrats et à l’ouverture de la magistrature sur la société.

M. le président du Sénat va prendre contact avec le Gouvernement, la commission des lois et les présidents de groupe pour examiner l’éventualité de commencer l’examen de ce projet de loi organique avant les questions d’actualité au Gouvernement.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre deux demandes de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion, d’une part, du projet de loi relatif à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du secteur public et, d’autre part, du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine de la prévention des risques.

Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à ces deux commissions mixtes paritaires selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt-et-une heures trente, sous la présidence de M. Hervé Marseille.