Séance en hémicycle du 24 octobre 2019 à 10h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • différenciation
  • dérogation
  • norme
  • préfet
  • simplification

La séance

Source

La séance est ouverte à dix heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Conway-Mouret

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Conway-Mouret

J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la délégation sénatoriale aux outre-mer a été publiée.

Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Conway-Mouret

Mes chers collègues, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable demande que le délai limite de dépôt des amendements de séance sur le projet de loi d’orientation des mobilités examiné en nouvelle lecture soit reporté du mercredi 30 octobre au lundi 4 novembre à douze heures.

Y a-t-il des observations ?…

Il en est ainsi décidé.

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Conway-Mouret

L’ordre du jour appelle, à la demande de la délégation aux collectivités territoriales, l’examen de la proposition de résolution, en application de l’article 34-1 de la Constitution, relative à la consolidation du pouvoir de dérogation aux normes attribué aux préfets, présentée par MM. Jean-Marie Bockel et Mathieu Darnaud (proposition n° 664 [2018-2019]).

Dans la discussion générale, la parole est à Jean-Marie Bockel, auteur de la proposition de résolution.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Bockel

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis plusieurs années, les gouvernements successifs tentent de maîtriser l’inflation normative. Le Sénat, la délégation aux collectivités territoriales, en particulier, sous l’impulsion du président Gérard Larcher et conformément à notre mission de simplification des normes applicables aux collectivités, prend sa part de cet effort. Je citerai, à titre d’exemple, la proposition de loi relative à la simplification du droit de l’urbanisme, déposée par Marc Daunis et François Calvet, ici présents, sous la houlette de Rémy Pointereau, dont environ 70 % du contenu se trouve intégré à notre corpus juridique. À l’époque, nous avions fait le choix de nous attaquer à un sujet pour ne pas nous disperser et essayer d’être efficaces ; je crois que nous l’avons été.

Je mentionnerai aussi la proposition de loi portant Pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs, présentée par Rémy Pointereau et Martial Bourquin, en lien avec la délégation aux entreprises, qui a abouti à l’injection de dispositions de simplification dans la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ÉLAN.

Je citerai enfin la proposition de résolution tendant à mieux maîtriser le poids de la réglementation applicable aux collectivités territoriales et à simplifier certaines normes réglementaires relatives à la pratique et aux équipements sportifs, présentée par Dominique de Legge, Christian Manable et Michel Savin.

Pour autant, les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances. Il faut rappeler quelques chiffres qui illustrent la difficulté de réduire significativement le flux des nouvelles normes et le stock des anciennes. Pour le flux, chaque année, sont publiés environ 50 à 60 lois, hors conventions, entre 1 600 et 1 800 décrets, près de 8 000 arrêtés ministériels et entre 1 300 et 1 400 circulaires. Quant au stock, il s’établit à plus de 80 000 articles législatifs et plus de 240 000 articles réglementaires en vigueur.

Confrontés à cette difficulté, les pouvoirs publics se sont tournés vers une nouvelle méthode. Elle consiste à réduire le poids des normes en aval de leur production, d’une part, en sollicitant des services de l’État une interprétation « facilitatrice » de ces normes, d’autre part, en confiant à certains préfets, dans le cadre d’une expérimentation, le pouvoir de déroger à quelques-unes d’entre elles.

Si nombre de préfets font de l’interprétation facilitatrice des normes, comme M. Jourdain faisait de la prose, c’est-à-dire naturellement, il n’en reste pas moins que cette méthode est difficile à évaluer. Fondée sur de simples et lapidaires circulaires, elle ne dispose que d’une base juridique fragile et n’a fait l’objet d’aucun suivi par l’administration.

Le pouvoir de dérogation aux normes s’appuie, quant à lui, sur une base juridique autrement plus solide : un décret de décembre 2017. Expérimenté depuis le mois d’avril 2018 dans vingt départements et régions, il permet aux préfets, dans un nombre limité de domaines, de déroger aux seules décisions individuelles relevant de leur compétence et fondées sur des mesures réglementaires.

Nous avons pu évaluer ce dispositif, qui fait l’objet d’un véritable suivi par le ministère de l’intérieur. Et nous avons constaté qu’il joue d’ores et déjà un rôle utile dans les territoires où il est expérimenté. Il a permis, selon les cas, de réduire les délais d’obtention de décisions, voire de « sauver » des projets complexes ou affectés de défauts bénins, comme des dépassements de délai. Nous avons d’ailleurs auditionné deux des préfets concernés : ils ont souligné l’intérêt de cette démarche, mais aussi les points qui la freinent.

Ce mécanisme nous semble donc devoir être pérennisé, étendu à tout le territoire, avec un champ d’application élargi. C’est l’objet principal de cette proposition de résolution, déposée par Mathieu Darnaud, aujourd’hui excusé, mais partie prenante de la démarche, et moi-même, que d’encourager le Gouvernement à le faire rapidement.

Toutefois, je souhaite commencer par rappeler un point de méthode. Il est regrettable que, faute de suivi, l’incidence des instructions relatives à l’interprétation facilitatrice des normes soit impossible à mesurer. Pour l’avenir, il est impératif de systématiser, à l’échelon national et local, les mécanismes de suivi et d’évaluation des dispositifs de simplification.

Premier axe de notre proposition, nous recommandons que l’évaluation du pouvoir de dérogation par le ministère privilégie un dialogue direct avec les préfets expérimentateurs, chevilles ouvrières du dispositif. Elle pourrait par ailleurs associer des élus, des professionnels du droit, de même que le Conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics, le CNEN, présidé par Alain Lambert, avec lequel la délégation travaille bien et avec lequel le président Larcher a signé une charte il y a quelque temps. Nous avons un bon dialogue avec cette instance – ce n’est pas Alain Richard, également partie prenante, qui dira le contraire ! Les échanges sont tout autant de qualité avec les délégations aux collectivités territoriales des deux assemblées.

Deuxième axe de notre proposition, nous soulignons la nécessité de créer les conditions d’un dialogue entre l’État et les collectivités territoriales à propos de la simplification des normes, via une conférence de dialogue départementale. Une instance similaire avait été proposée par Alain Lambert et le regretté Jean-Claude Boulard, de même que par les rapporteurs de notre délégation, François Calvet et Marc Daunis, pour remédier aux difficultés du dialogue entre collectivités et services de l’État, en particulier pour ce qui concerne les projets d’urbanisme.

Loin d’être une instance de plus, cette conférence départementale est une occasion « en moins » de blocage et d’incompréhension. Au-delà de ses compétences inscrites dans la loi – l’émission d’un avis sur des cas complexes d’interprétation des normes ou sur les dérogations sollicitées –, elle serait par ailleurs un aiguillon pour les préfets et pour les services de l’État.

J’ai bon espoir que cette instance finisse par voir le jour. J’ai en effet déposé un amendement à cet effet au projet de loi Engagement et proximité, que la commission des lois a bien voulu intégrer à son texte et que le Sénat a adopté, dans le cadre de la première lecture, en tout cas.

Troisième axe de notre proposition, nous voulons renforcer la formation des agents publics et l’information des élus et des bénéficiaires potentiels. La recherche de la souplesse dans l’application du droit et l’objectif de simplification normative doivent devenir des éléments de la culture professionnelle des agents publics, pour l’instant davantage fondée sur le strict respect de la règle. Cela ne sera possible qu’en transformant les cursus de formation. Il est indispensable d’inclure des modules de formation initiale et permanente contre l’inflation normative dans les programmes des écoles du service public, les instituts régionaux d’administration, les IRA, l’Institut national des études territoriales, l’INET, le Centre national de la fonction publique territoriale, le CNFPT, et l’École nationale d’administration, l’ENA.

Les témoignages des élus et des fonctionnaires territoriaux attestent, par ailleurs, de l’existence d’un déficit d’information sur les dispositifs de simplification qu’il est impératif de combler. À titre d’exemple, les sites internet des préfectures et du ministère de l’intérieur devraient comporter des rubriques aisément accessibles sur ces sujets.

Cela étant, l’expérience montre que mettre en œuvre la dérogation exige un surcroît d’instructions pour les services. Dans ces conditions, que l’administration centrale tienne compte de la dynamique facilitatrice des préfectures dans l’affectation de leurs moyens humains pourrait être non seulement une exigence de bonne administration, mais aussi un outil de motivation des personnels et des préfets.

Enfin, quatrième et dernier axe, nous proposons d’élargir le champ de la possibilité de déroger aux normes. Il s’agit, d’abord, de l’ouvrir à l’ensemble du territoire national.

Au-delà, une première faculté d’extension du champ d’application du décret consisterait à élargir la dérogation à des domaines nouveaux. Les préfets pourraient ainsi déroger en toutes matières relevant de leurs compétences, sous les réserves classiques du respect des engagements de la France et des intérêts de la défense ou de la sécurité.

Par ailleurs, les « circonstances locales » conditionnant la possibilité d’une dérogation préfectorale sont superfétatoires avec la condition de l’existence d’un motif d’intérêt général et ne semblent pas constituer une condition indispensable. S’agissant d’une dérogation à des normes, comment un acte motivé par l’intérêt général et pris par le préfet, autorité locale, dans le cadre des compétences qu’il exerce dans le département ne serait-il pas ipso facto adapté aux circonstances locales ?

Une deuxième possibilité d’élargissement, qui constituerait un puissant outil de déconcentration, consisterait à donner la faculté au préfet de département, selon des modalités à préciser, de déroger à des décisions relevant de la compétence des autorités supérieures, préfet de région ou ministre.

Une troisième avancée, plus audacieuse, serait d’attribuer, cette fois aux autorités décentralisées, un pouvoir de dérogation sur les actes individuels relevant de leurs compétences.

Une quatrième piste, plus ambitieuse encore, consisterait à autoriser des dérogations, sollicitées par les collectivités territoriales, à des normes législatives ou réglementaires. Envisagée dans le cadre du projet de révision constitutionnelle, elle est également évoquée dans les réflexions préalables au projet de décentralisation – j’ai encore eu l’occasion d’en discuter ce matin même avec Jacqueline Gourault.

Bien sûr, sa mise en œuvre ne doit altérer ni la cohésion nationale ni l’égalité entre les citoyens. N’oublions pas que pour les partenaires des collectivités et pour les citoyens, la différenciation territoriale peut être une source d’insécurité juridique et de complexité. Il lui faut donc un cadre d’exercice minutieusement construit, conjugué à des mécanismes politiques concrets permettant d’empêcher des abus.

Au sein du groupe Union Centriste, nous avons récemment organisé, avec Françoise Gatel, un colloque sur les enjeux de différenciations territoriales qui a eu un grand succès. Nous avons cette préoccupation d’assurer l’égalité des territoires, d’exercer une forme de solidarité et de laisser une nécessaire souplesse. Il faudra trouver la juste mesure, en respectant l’esprit français, car nous ne sommes pas un État fédéral. Ainsi, nous pourrons avancer.

Dans cet esprit, je vous invite, mes chers collègues, à adopter la proposition de résolution qui peut donner de réelles pistes pour davantage de simplification.

J’appelle le Gouvernement, monsieur le secrétaire d’État, à poursuivre, en la matière, cette coopération avec le Sénat, en général, avec notre délégation, en particulier, puisque nous sommes au service de cette volonté modernisatrice et simplificatrice.

Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, RDSE et LaREM.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de résolution part certainement d’une intention louable : pérenniser les dispositions du décret du 29 décembre 2017, qui met en place l’expérimentation, sur quelques territoires choisis, d’un droit de dérogation des préfets à adapter la réglementation aux situations locales.

Elle entend aussi, avant même de disposer d’un corpus suffisant de résultats de l’expérimentation en cours, élargir le domaine de cette expérimentation et populariser les exemples de dérogations réussies au titre de bonnes pratiques, ce qui nous paraît, cette fois, plus discutable.

Je résumerai simplement mon propos.

Premier point, le décret lançant l’expérimentation de ce droit préfectoral à déroger aux normes réglementaires est bienvenu et d’ailleurs étonnamment clair, je dois le dire. À l’heure actuelle, si mes informations sont bonnes, environ 140 arrêtés de dérogation auraient été pris, et un seul fait l’objet de contestation.

Il semble aussi – si je me trompe, M. le secrétaire d’État me le dira – que ces dérogations portent, dans l’ensemble, plus sur la procédure, comme la réduction de la durée d’une enquête publique, sous peine de faire échouer un projet localement important, ou la mise en application anticipée de dispositions d’un plan de prévention des risques d’inondation, un PPRI. Les choses ont plus été modifiées sur la forme, la procédure, que sur le fond, ce qui me paraît vraiment constituer la piste de recherche à privilégier.

Deuxième point, si la création, prévue par la proposition de résolution, d’une instance départementale autour du préfet et composée de représentants des collectivités territoriales est bienvenue dans la mesure où ces élus sont peut-être les mieux placés pour repérer les domaines dans lesquels une adaptation de la réglementation serait souhaitable, cette instance ne saurait être, selon nous, transformée en instance d’expertise et encore moins en instance de décision, ce qui n’est pas clairement indiqué dans les préconisations.

Dans le même ordre d’idée, on pourrait fragiliser le dispositif en élargissant les possibilités de dérogation à des questions sans lien avec des difficultés et des spécificités locales ou en accordant aux collectivités le pouvoir de déroger aux décisions législatives. Cette idée m’a quelque peu étonné, mais enfin, il faut être moderne !

En outre, contrairement à ce qu’on croit et à ce qu’on dit, les bonnes pratiques sont rarement généralisables et leur réussite suppose le plus souvent des conditions locales très particulières. En faire la publicité avant une expérimentation suffisamment large me semble donc un peu risqué.

Troisième point, je crains que tout l’appareil prévu par la proposition de résolution afin d’affermir juridiquement les décisions dérogatoires prises pour sécuriser les préfets et les inciter ainsi à se saisir de ce nouveau droit n’ait l’effet inverse : refroidir toutes leurs velléités d’innovation. Certes, celles-ci existent, certains préfets me les ont exprimées, mais tous n’en ont pas.

Restons simples, ne compliquons pas, commençons par élargir le champ de l’expérimentation, et peut-être alors, quand nous disposerons d’un corpus suffisant, serons-nous en mesure de préciser comment généraliser utilement les effets de cette expérimentation. Je recommanderais d’élargir l’expérimentation en cours, qui semble avoir donné des résultats tout à fait intéressants dans un nombre significatif de départements, pour pouvoir en tirer des conclusions réellement incitatives.

Nous mesurons l’intérêt de la question et l’opportunité de l’avoir soulevée, mais nous avons quelques différences d’appréciation sur les préconisations. Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe CRCE s’abstiendra sur cette proposition de résolution.

M. Jean-Pierre Sueur applaudit.

Applaudissements sur les travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Gatel

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la délégation aux collectivités territoriales du Sénat, présidée par Jean-Marie Bockel, nous soumet aujourd’hui une proposition de résolution qui est le fruit d’un long travail achevé avec la présentation, au mois de juin dernier, d’un excellent rapport sur la réduction du poids des normes en aval de leur production, sorte de cauchemar récurrent de l’ensemble des élus locaux.

La réduction du nombre de normes est évidemment une préoccupation extrêmement importante, régulièrement exprimée au Sénat. On le sait, un peu plus de 400 000 normes réglementaires s’imposent aux seules collectivités locales et les enferment très souvent dans un coûteux carcan juridique.

Cette « incontinence normative », pour reprendre les termes employés par MM. Lambert et Boulard dans leur rapport de 2013, est un obstacle considérable à l’initiative. Elle est surtout contreproductive à l’efficacité de l’action publique, qui nous est chère et dont nous n’avons cessé de parler pendant ces quinze derniers jours. Elle l’est a fortiori dans un contexte de crise économique et de baisse des ressources des collectivités.

Les normes sont souvent, nous n’arrêtons pas de le dire, un empêchement de faire !

Mais ce matin, nous débattons plus spécifiquement du pouvoir de dérogation aux normes attribué aux préfets, une sorte de rêve pour les élus locaux, qui constitue un aspect important de cette thématique.

Il convient en effet de s’intéresser aux outils qui permettent d’accompagner avec souplesse et pragmatisme les élus sur le terrain, à savoir l’« interprétation facilitatrice » et le pouvoir de dérogation des préfets.

Et ce que nous examinons ce jour est bien, mes chers collègues, une facette de la différenciation territoriale.

On ne cesse de parler de différenciation territoriale depuis plusieurs mois, à commencer par le Gouvernement. Ce fut en effet un axe très important du dernier discours de politique générale du Premier ministre, et Mme la ministre Jacqueline Gourault est en ce moment en pleine consultation afin de préparer le texte qu’il est maintenant convenu d’appeler le projet de loi 3D.

Les centristes du Sénat, par nature, par essence et par conviction décentralisateurs, ne sont pas en reste sur le sujet. En effet, nous avons organisé, au mois de septembre dernier, un colloque sur la différenciation territoriale qui a connu un certain succès, Jean-Marie Bockel l’a rappelé.

Des mesures de différenciation territoriale, nous en avons adopté un certain nombre au cours des deux semaines passées lors de l’examen du texte Engament et proximité, présenté par le ministre Sébastien Lecornu. Eh oui, comme M. Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, nous faisons de la différenciation sans le savoir ! Nous la souhaitons néanmoins.

Aujourd’hui, il est question d’une forme particulière de différenciation, qui concerne non pas l’organisation territoriale, mais l’adaptation des normes ou, plus précisément, l’adaptation des normes à la diversité et à la spécificité des territoires.

Rappelons-le très fortement, différenciation rime avec déconcentration. Il n’y aura pas de différenciation sans déconcentration !

Je ne reviendrai pas sur l’ensemble de cette proposition de résolution, mais je tiens à insister sur ses trois derniers points, qui me semblent stratégiques.

« Envisager la possibilité pour le représentant de l’État de déroger à des décisions relevant de la compétence des autorités supérieures » : il faut que les préfets aient cette possibilité de dérogation. C’est une nécessité pour commencer à s’extraire de l’inertie de la technostructure administrative à laquelle il arrive d’être un peu trop conceptuelle et normative. Dans la mise en œuvre de tel ou tel projet, les élus doivent savoir que leur préfet détient en propre une réelle faculté d’adaptation, laquelle les dispense d’en référer systématiquement à une autorité supérieure, à Paris.

« Étendre le droit de dérogation en l’ouvrant aux autorités décentralisées pour les actes individuels des collectivités territoriales relevant de leurs compétences » : cette deuxième proposition est liée à la précédente. Là encore, la finalité est que les élus aient face à eux une autorité pleinement déconcentrée et sécurisée, une autorité qui représente l’État, mais à laquelle on a conféré une autonomie de décision suffisante lui permettant d’accorder des dérogations.

« Envisager de permettre aux collectivités territoriales de déroger, sur leur demande, aux normes législatives ou réglementaires relatives à leurs compétences, sous réserve d’un mécanisme politique empêchant la survenance d’abus et garantissant l’égalité des citoyens devant la loi » : cette dernière proposition, probablement la plus ambitieuse, serait de facto une nouvelle étape fondamentale de la décentralisation. Une décentralisation qui ferait le choix de la différenciation, d’une adaptation aux réalités locales avec, comme priorité, l’amélioration de la qualité des politiques publiques au bénéfice de nos concitoyens.

Si nous appelons de nos vœux ces évolutions, je partage pour autant la réserve formulée par les auteurs de la proposition de résolution, qui insistent sur la nécessité de mettre en place « des mécanismes concrets permettant d’empêcher des abus locaux qui, une fois installés, seraient difficiles à corriger. »

Je tiens à saluer, une fois encore, la qualité du travail de nos deux collègues, Jean-Marie Bockel et Mathieu Darnaud. Nous espérons que leurs propositions seront entendues par le Gouvernement dans les mois à venir, notamment dans le cadre du projet de loi 3D.

Vous l’aurez compris, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe Union Centriste, convaincu que la décentralisation arrivera un jour, partage l’intégralité des préconisations de cette proposition de résolution. Sans surprise, nous la voterons à l’unanimité.

Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Indépendants. – M. Antoine Lefèvre applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de François Calvet

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais féliciter M. le président de la délégation aux collectivités territoriales, Jean-Marie Bockel, et Mathieu Darnaud pour la proposition de résolution que nous examinons ce matin.

Ce texte est une suite logique du rapport d’information qu’ils ont présenté sous l’intitulé Réduire le poids des normes en aval de leur production : interprétation facilitatrice et pouvoir de dérogation aux normes.

« Prolifération », « inflation », « surproduction », les dénominations sont nombreuses pour désigner un mal désormais bien identifié : l’accumulation des normes qui pèsent sur les collectivités territoriales.

On fait souvent remonter la prise de conscience de la prolifération des normes au rapport public du Conseil d’État de 1991, lequel établissait le constat suivant : « la surproduction normative, l’inflation des prescriptions et des règles ne sont pas des chimères mais une réalité ». De substantiels développements venaient étayer la démonstration de l’existence d’une véritable « logorrhée législative et réglementaire ».

Vingt-huit ans plus tard, le constat est le même et se révèle particulièrement préoccupant pour les collectivités territoriales.

À la demande du président Gérard Larcher et en emboitant le pas de Rémy Pointereau, mon collègue Marc Daunis et moi-même avons conduit une mission transpartisane qui a donné lieu à un rapport d’information intitulé Droit de l ’ urbanisme et de la construction : l ’ urgence de simplifier. De ce rapport est issue une proposition de loi adoptée à l’unanimité par l’ensemble des groupes du Sénat en 2016.

Nous avions, en effet, constaté les difficultés du dialogue entre collectivités territoriales et services de l’État, en particulier pour les projets d’urbanisme et d’aménagement.

Une application stricte du contrôle de légalité n’est-elle pas un facteur d’absence de possibilité de dérogation ou d’adaptation nécessaire à la réalisation d’un projet de développement économique et créateur d’emplois ?

Pour remédier à cette situation et simplifier l’action des élus, nous proposions dans notre rapport de créer une conférence d’accompagnement des projets locaux.

Malgré les avancées signalées par Jean-Marie Bockel, il est regrettable que cette idée d’une instance de conseil auprès du préfet n’ait, pour le moment, pas été suivie d’effet, alors même que constats de terrain et études montrent que les relations entre collectivités et services de l’État se sont dégradées depuis plusieurs années.

Le quatorzième point de la proposition de résolution reprend la nécessité d’instituer une instance départementale auprès du préfet.

Compte tenu de l’application de la règle du non-cumul des mandats, j’y ajouterai aujourd’hui que devraient siéger un député et un sénateur désignés, par département, choisis par le président de chacune des assemblées.

Je veux aussi évoquer deux points qui ne figurent pas dans la proposition de résolution. Le premier concerne plus particulièrement les zones frontalières où les transpositions de directives européennes ont ajouté des normes qui créent des distorsions de concurrence pour nos entreprises frontalières. Dans ce domaine, les préfets devraient avoir un pouvoir d’appréciation dans les départements frontaliers.

Le second point consiste en la création d’un service d’études d’impact autonome, qui permettrait non seulement de corriger l’application des normes, mais également d’anticiper leur incidence sur le terrain.

On ne peut plus se contenter des études d’impact du seul Gouvernement qui sont souvent insuffisantes, légères et, comme l’a souligné notre collègue Jean-Marie Bockel, orientées.

Enfin, il s’agit non de dérogation aux normes, mais de différenciation. Comme l’a évoqué Mathieu Darnaud, la différenciation prend en compte une certaine dynamique territoriale suffisamment spécifique, comme en zone de montagne. On doit permettre de sortir du champ national.

Ce texte pragmatique constitue un outil indispensable au service de la simplification du droit dans les collectivités territoriales.

Il prend toute sa place dans la démarche d’ensemble suivie aujourd’hui pour lutter contre la surproduction des normes.

Tel est le sens des travaux menés au Sénat. En effet, s’il est vrai que de nombreux rapports ont permis d’affiner le constat, il n’empêche que les normes se multiplient, créent la complexité et induisent des coûts au détriment de l’efficacité de l’action publique.

Mes chers collègues, il faut revenir à des valeurs sûres : le bon sens et la confiance envers le savoir-faire des élus et des préfets. Celui qui vous parle est un Girondin, mais un Girondin qui aime les préfets !

Nous voterons en faveur de la présente proposition de résolution.

Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.

Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il suffit de fréquenter les associations d’élus et d’assister à des réunions de maires pour se rendre compte que le thème des normes est omniprésent : « trop de normes ». Il faut regarder cela avec une certaine philosophie, car les mêmes qui protestent l’après-midi contre l’abondance des normes sont susceptibles d’en demander davantage le matin, dans un juste souci de préservation de l’environnement, de sécurité ou de santé publique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Cela étant dit, il est vrai que la question se pose. Comment y répondre ? Cher Jean-Marie Bockel, cher Mathieu Darnaud, nous ne sommes pas persuadés que la solution passe par les préfets et leur pouvoir d’adaptation.

À nos yeux, ce qui est efficace, ce serait évidemment d’avoir des ouvertures peut-être plus grandes en matière d’expérimentation et d’adaptation dans la Constitution. Mais vous pensez bien que je ne vais pas entamer un tel débat aujourd’hui : il faudrait qu’il y eût une réforme de la Constitution, ce qui supposerait d’avancer encore sur quelques points, notamment le numérique.

Une autre solution réside évidemment dans la loi, et non dans le décret ; la loi peut prévoir un certain nombre d’adaptations ou d’expérimentations.

Une troisième solution a déjà été décidée par le Parlement. À la suite des états généraux des collectivités locales, qui avaient été organisés voilà quelques années par Jean-Pierre Bel, Jacqueline Gourault et moi-même avions été chargés d’élaborer deux propositions de loi.

La première portait sur les conditions d’exercice des mandats locaux. Elle a abouti à quelques mesures positives, qui doivent d’ailleurs être complétées ; nous l’avons vu ces derniers jours.

La seconde concernait les normes. Par ce texte, adopté, je crois, de manière unanime par le Sénat, nous avons institué le Conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics, ou CNEN. L’idée était simple : tout projet de texte réglementaire ou législatif susceptible d’entraîner des normes complémentaires pour les collectivités territoriales serait étudié en amont par cette instance. Le CNEN, qui se compose essentiellement d’élus des communes, des départements et des régions, a la faculté de renvoyer la copie au Gouvernement en demandant une réécriture. Cela se révèle relativement efficace. Il serait bien de regarder comment cet organe, qui est présidé par Alain Lambert, travaille.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Je le sais, cher Jean-Marie Bockel. M. Lambert a dû vous dire que les conditions de travail n’étaient pas idéales. Bien souvent, les textes sont transmis très tardivement par le Gouvernement, et le CNEN éprouve des difficultés à formuler un avis dans les délais qui lui sont impartis. Il me semble qu’une des pistes serait de lui donner plus de moyens et de latitude pour remplir sa mission, qui est très utile.

Ainsi, dans le domaine sportif, quand l’excellente Fédération française de basket-ball – vous savez que nous n’avons rien contre le basket-ball – impose de changer les tableaux d’affichage faute de quoi le terrain ne serait pas homologué, la décision qu’elle prend entraîne des dépenses publiques dans plusieurs centaines de communes, alors que la question de savoir si c’est absolument nécessaire et si les collectivités territoriales n’ont pas d’autres priorités se pose légitimement. Par conséquent, il est bon que des élus et leurs représentants puissent dire en amont que ce n’est pas la bonne méthode et qu’il faut se centrer sur d’autres sujets.

Venons-en à nos préfets. J’ai une idée, peut-être simpliste – mais je ne crois pas –, de la fonction de préfet. Le rôle du préfet est non pas d’adapter les lois ou les décrets, mais de les appliquer ; si quelqu’un a ce rôle, c’est bien lui. Il représente l’État ; c’est une banalité de le rappeler. Que figurent dans la loi et dans d’autres textes des possibilités d’adaptation, très bien !

Permettez-moi de citer deux anciens Premiers ministres. En 2013, Jean-Marc Ayrault demandait aux préfets de veiller à ce que leurs services « utilisent toutes les marges de manœuvre autorisées par les textes » ; cela me semble très clair. En 2016, Manuel Valls s’adressait aux préfets en ces termes : « Il vous appartient d’utiliser toutes les marges de manœuvre, dans le respect des textes législatifs et réglementaires en vigueur » ; cela me paraît de bon sens.

Mon groupe pense donc qu’il faut faire preuve de prudence. Le préfet du Haut-Rhin, que M. le président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation cite à juste titre dans son rapport, déclarait, à propos du décret de décembre 2017 : « Ce décret a soulevé un important paradoxe. Lors de sa parution, il a en effet suscité une grande inquiétude ». Il poursuivait en évoquant « la possibilité d’une incertitude juridique puisqu’une décision prise sur dérogation s’avère plus fragile juridiquement, ainsi qu’[un] risque de donner l’impression d’un État arbitraire prenant des décisions différentes en fonction des demandeurs et des collectivités territoriales concernées. » C’est ce que dit un préfet de la République !

Je fais également observer que M. le préfet de Vendée a utilisé cette possibilité d’expérimentation des dérogations dans une décision en faveur d’un parc éolien en évitant la réalisation d’une étude d’impact et d’une enquête publique. J’ignore ce que dirait une juridiction administrative si elle était saisie d’un tel sujet.

Nous sommes donc partisans d’une certaine prudence. Certes, c’est effectivement une bonne idée d’adapter les normes, d’expérimenter, de trouver la souplesse nécessaire et de s’adapter au terrain. Mais il faut que ce soit prévu par la loi et les autres textes et que le préfet fasse ce qu’il a à faire, c’est-à-dire représenter l’État, appliquer la loi et les instructions des ministres.

Nous voterons contre la présente proposition de résolution, parce que nous sommes attachés à la distinction des rôles et à la séparation des pouvoirs. La décentralisation n’est pas la négation de l’État ; elle est seulement la négation d’un État omnipotent qui voulait faire trop de choses au risque de ne pas bien les faire.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

M. Jean-Pierre Sueur. Nous sommes pour que l’État comme les collectivités territoriales et leurs élus jouent pleinement leur rôle. En d’autres termes, nous préférons la séparation des pouvoirs à la confusion des pouvoirs.

Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.

Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Gold

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que la réforme constitutionnelle, qui doit consacrer le droit à la différenciation territoriale, peine à voir le jour, le Sénat est réuni ce matin pour affirmer sa position sur le pouvoir de dérogation aux normes attribué aux préfets.

Dans un pays historiquement centralisé tel que le nôtre, les normes ont toujours été conçues pour garantir une égalité de traitement entre les citoyens et les territoires, avec de surcroît des attentes très élevées envers les politiques publiques.

Le constat est connu, ancien et unanime : chacun déplore l’inflation normative, législative comme réglementaire. Nous aussi, législateurs, devons prendre notre part de blâme. Je me souviens ainsi du travail considérable effectué par la mission Bureau d’annulation des lois anciennes et inutiles, ou Balai. Celle-ci a conduit à l’adoption d’une proposition de loi de notre collègue Vincent Delahaye tendant à améliorer la lisibilité du droit par l’abrogation des lois obsolètes illisibles, que nous avons été très nombreux à cosigner. Le groupe RDSE y a pris sa part, avec le rapport de notre collègue Nathalie Delattre.

La présente proposition de résolution constitue une nouvelle pierre à cet édifice titanesque. Mon groupe valide bien entendu sans réserve le rapport sur lequel elle s’appuie. Par son attachement aux territoires et à leur diversité, comme vous tous, il souscrit pleinement à l’objectif d’allégement des démarches administratives et d’accélération des procédures.

Au-delà de la différenciation territoriale, le Gouvernement a reconnu que la réduction du stock des normes applicables aux collectivités figurait parmi les enseignements du grand débat. Ce n’est pas nouveau. Je pense aussi au travail important fourni par nos anciens collègues Alain Lambert et Jean-Claude Boulard dans leur rapport.

Les élus nous le disent tous les jours : le poids des normes et des obligations alourdit leur charge de travail et ralentit la progression des réformes. L’inflation normative – je parle ici des flux, et non du stock – est un obstacle aux initiatives locales. Elle paralyse l’action publique, là où nos concitoyens attendent beaucoup des collectivités. Et elle alimente encore la crise des vocations chez les élus locaux.

Bien entendu, les gouvernements successifs ont tenté ces dernières années de maîtriser cette inflation normative en réduisant non pas le flux de nouvelles normes ou le stock de normes anciennes, mais le poids des normes, grâce à une interprétation facilitatrice de la part de l’État et à une expérimentation offrant un pouvoir de dérogation aux préfets.

L’interprétation facilitatrice étant soumise à un engagement concret des préfets, les auteurs de la proposition de résolution lui préfèrent le pouvoir de dérogation aux normes, qui s’appuie sur une base juridique plus solide et plus objective.

Toutefois, cette expérimentation n’est pas exploitée à son maximum, puisqu’elle est mal connue et très encadrée. De plus, nous l’avons compris, elle arrive à son terme au mois de décembre prochain.

À travers cette proposition de résolution, le Gouvernement est ainsi invité à prendre des mesures pour étendre le dispositif, qui serait alors assorti de mécanismes d’information et de formation. La différenciation territoriale pouvant être source d’insécurité juridique et de complexité, elle doit en effet être encadrée, pour être mieux conciliée avec le principe d’égalité des territoires.

Toutefois, avant toute révision constitutionnelle, le groupe RDSE se joint à la délégation aux collectivités territoriales pour solliciter de l’État un indispensable desserrement des contraintes pesant sur les collectivités. Comment pourraient agir efficacement les petites collectivités face aux 1 600 décrets et 8 000 arrêtés ministériels produits chaque année alors que le contrôle de légalité des préfectures est de moins en moins protecteur ?

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Gold

La délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation propose ainsi plusieurs mesures pour davantage de rapidité, de souplesse et de pragmatisme dans la mise en œuvre des politiques publiques : d’abord, en rendant pérenne et en élargissant le champ d’application du droit à la dérogation pour les préfets de région ; ensuite, en donnant la possibilité au préfet de département de déroger à certaines décisions du préfet de région et du ministre ; enfin, en étendant également ce pouvoir aux collectivités qui souhaiteraient déroger à certaines normes pour tenir compte de leurs spécificités locales.

Ces mesures seraient utilement complétées par une meilleure information des agents, élus et destinataires des normes, par un dialogue local renforcé entre l’État et les collectivités, ainsi que par une meilleure évaluation du dispositif. Une consultation du Sénat est même envisagée pour les dérogations sollicitées par les collectivités. Assorties de telles garanties, les mesures évoquées semblent répondre au besoin de simplification de nos territoires. C’est pourquoi le groupe RDSE votera majoritairement en faveur de cette proposition de résolution.

Toutefois, nous nous accordons pour dire qu’une démarche au cas par cas est limitée. C’est une approche globale dont nous avons besoin, pour ouvrir une nouvelle forme de décentralisation et de proximité. Cela passe par une profonde transformation des processus de fabrication des normes, au-delà de la seule révision constitutionnelle.

Enfin, je tiens à rappeler que la dérogation doit poursuivre un motif d’intérêt général et de non-régression. Ne tombons pas dans la caricature en allégeant tout et partout. Le niveau d’exigence doit absolument être maintenu, notamment en matière environnementale, où l’idée de bien commun doit toujours nous accompagner.

Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC. – M. François Calvet applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

Ce débat est bienvenu, et il a l’avantage d’être toujours d’actualité, quelle que soit la période où on peut l’engager. Nous sommes là pour nous livrer à une analyse du résultat produit par deux circulaires et un décret qui s’étalent entre 2013 et 2017, les circulaires parlant de « marge d’interprétation » et le décret parlant, comme c’est logique, de « pouvoir de dérogation encadré ».

Je participe à la demande générale de restitution et d’évaluation de l’application de ces textes. Nous attendons de savoir ce que M. le secrétaire d’État en dira. Simplement, je nous prends collectivement à témoin que voilà encore un cas d’injonction contradictoire : nous avons accompagné et, pour beaucoup, voté la réduction des effectifs dans le plan Préfecture du XXIe siècle, mais, dans le même temps, nous demandons aux préfectures d’assumer des tâches supplémentaires. Il faut donc bien que nous soyons un peu pragmatiques.

Je souligne tout particulièrement le caractère productif et judicieux, du fait de la charge qui pèse sur les représentants de l’État et de la loi constitutionnelle dans les territoires, de la recommandation concrète contenue dans la proposition de résolution, à savoir la création d’un petit conseil local d’accompagnement du pouvoir de dérogation. L’expérience que nous avons tous – la mienne a quelques dizaines d’années dans le Val-d’Oise – montre que, dans les commissions consultatives placées auprès du préfet, de conseil et de conciliation, il y a une bonne expertise de travail local et, bien souvent d’ailleurs, une élévation du niveau de réflexion permettant d’avoir une jurisprudence rationnelle. Au fond, il est simplement suggéré de faire des petits CNEN locaux. À mon sens, cela ne coûterait rien, et ce serait un utile outil d’accompagnement du travail, si astreignant, des services préfectoraux.

Je ne m’étendrai pas sur les autres préconisations de la résolution. En revanche, je voudrais élargir le propos à la conception d’aujourd’hui, qui est en transformation et en débat, de la légalité de l’action publique. Nous sommes un État de droit, construit par une tradition multiséculaire, dans laquelle l’institution dont j’ai eu l’honneur d’être membre, le Conseil d’État, a évidemment joué un certain rôle. Le principe de légalité, qui traverse l’ensemble des missions et des strates de l’action locale, fait partie de notre culture de base.

Le rapport du Conseil d’État de 2013 sur le droit souple a été pour moi une vraie et heureuse surprise. Analysant l’existant et constatant ce qui est en train de se passer, celui-ci a commencé à développer une théorie que je résumerais un peu sommairement comme un retour de l’opportunité ; c’est le retour du droit de l’administration et des pouvoirs publics de procéder à des appréciations d’opportunité, donc de faire revenir dans l’application du droit une marge de pouvoir discrétionnaire.

Simplement, le pouvoir d’appréciation se heurte à une peur et à une méfiance, du fait d’une tradition ancienne et de l’évocation des anciens régimes autoritaires. Le débat a été très intense dans le premier tiers de la IIIe République, et le thème de la peur de l’exécutif a fait l’objet d’ouvrages historiques très intéressants. En France, notre usage est d’entourer le pouvoir d’appréciation de l’autorité publique par un cadre très exigeant de procédure, de droit de la défense, d’examens successifs, d’enquêtes et d’évaluations. C’est très ancré dans nos conceptions.

La rigidité de la loi ne vient pas de nulle part. Toute norme exigeante a été exigée. Dans le dialogue que nous avons avec la « société civile », selon le terme gramscien par lequel on a choisi de la baptiser, nous faisons en permanence face à des injonctions, à des demandes de règles fixes et transcendantes, à une démarche souvent très péremptoire ; et, disons-le, nous y cédons souvent. Accessoirement, c’est probablement encore plus le cas pour les institutions européennes. Parmi les facteurs, devenus très prégnants, très rigides, des lois que nous appliquons, la part de transpositions de textes de l’Union européenne est dominante.

De surcroît, et sans être déplaisant à l’égard de quiconque, il y a évidemment aussi beaucoup de professionnels du droit qui pensent pouvoir tirer avantage de la rigidité de la loi et de l’exigence des procédures. Si vous êtes un bon avocat en matière d’environnement, vous gagnez tous vos procès sur des questions de procédure, jamais sur une question de fond. D’ailleurs, pour trouver une norme de fond dans le code de l’environnement, que j’ai un peu fréquenté, il faut se promener longtemps !

Sourires sur les travées des groupes Les Républicains et UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

Nous sommes donc face à un enjeu qui touche très profondément la culture juridique de ce pays. Si nous voulons aller plus loin dans la transformation de méthodes de l’action publique, nous devons effectuer un travail de formation permanente et de révision des concepts auprès de l’ensemble des services juridiques de nos services publics, ce qui est une vaste mission. Dans la vie de la plupart de nos institutions, on demande au service juridique de la sécurité. Sa préoccupation va donc être de multiplier les précautions dans le sens du respect toujours le plus prudent, le plus scrupuleux, des règles de procédure en vigueur. Il suffirait de laisser un téléphone ouvert dans un service de commandes publiques de collectivités territoriales, pour s’en apercevoir. Environ 80 %, et je suis modeste, du pouvoir d’appréciation des autorités de commandes publiques est effacé par la préoccupation de sécurité inspirée par le service, dont c’est pour l’instant la conception de sa mission.

Nous avons donc devant nous, me semble-t-il, un long temps de débat et d’analyse critique de ce que produit la loi et de ce qu’on en attend.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

Je crois comprendre que nous avons tout le temps devant nous s’agissant de la future réforme constitutionnelle… Mais – je voudrais vous en rendre tous témoins – si celle-ci survenait, le volet « différenciation » serait particulièrement exigeant pour le Parlement. En effet, la différenciation passerait forcément par la loi ; nous aurions alors, nous ou nos successeurs, la mission rigoureuse de savoir jusqu’où nous différencions et où nous situons les normes essentielles, qui doivent rester applicables à tous.

Mon groupe votera en faveur de cette proposition de résolution, comme un moyen de poursuivre la réflexion. Mais il nous semble que la conclusion est encore loin de nous.

Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Conway-Mouret

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Di Folco.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Di Folco

Nous nous retrouvons aujourd’hui pour discuter de la proposition de résolution relative à la consolidation du pouvoir de dérogation aux normes attribué aux préfets, déposée par nos collègues Jean-Marie Bockel et Mathieu Darnaud, deux spécialistes de la vraie vie des territoires.

Ce texte s’inscrit dans la continuité des travaux menés depuis plusieurs années par notre institution, au service de la simplification du droit applicable aux collectivités. C’est dans le cadre de cet effort que nos deux collègues avaient déjà présenté au mois de juin dernier un rapport intitulé Réduire le poids des normes en aval de leur production : interprétation facilitatrice et pouvoir de dérogation aux normes. Ils y dressaient une nouvelle fois le constat de l’inflation normative, celui des difficultés qu’ont les gouvernements successifs à y faire face, alors qu’un « choc de simplification » avait pourtant été promis voilà plusieurs années, mais en vain.

Le résultat de cet état de fait est un environnement normatif encore trop souvent résistant à l’initiative locale, quand il ne lui est pas activement hostile. Face à cela, nos collègues invoquaient la nécessité d’un nouveau modèle, fondé sur le dialogue de l’administration centrale avec les échelons locaux. Je me joins à ce vœu, dont la réalisation s’impose plus que jamais, alors que, partout en France, de plus en plus d’élus locaux nous font connaître leur découragement.

C’est dans ce contexte qu’intervient la proposition de résolution dont nous discutons aujourd’hui. Elle traduit l’une des principales propositions du rapport : la possibilité pour les représentants de l’État de se faire les chevilles ouvrières d’une simplification flexible et locale par le recours renforcé à des pouvoirs de dérogation aux normes.

En réalité, des préfets remplissent déjà ce rôle. Depuis un décret du 29 décembre 2017, ils peuvent déroger à certaines normes. L’expérience a été concluante. Dans certains cas, elle a permis d’économiser beaucoup de temps ou d’argent, voire de « sauver » des dossiers de subventions apparemment condamnés à échouer.

Il est donc proposé, très justement, dans le présent texte d’étendre et de faciliter la mise en œuvre de ce dispositif. Il est aussi suggéré de développer les mécanismes de concertation entre services de l’État dans les territoires et les collectivités, et de mettre en place un meilleur suivi des résultats de ces mesures.

Je pense qu’affiner les retours en provenance du terrain ne peut être que positif, aussi bien pour les collectivités que pour leurs partenaires au sein des directions locales de l’État. J’espère que le Gouvernement entendra cet appel à la coopération locale.

Les autres mesures suggérées par les auteurs de la proposition de résolution relèvent du bon sens, et, même si elles paraissent simples, pourraient se révéler étonnamment utiles. En effet, simplifier et ouvrir des possibilités de dérogation ne sert à rien si personne n’est averti de l’existence de celles-ci. C’est pour cela que rassembler les bonnes pratiques au sein d’un guide diffusé aux préfectures et communiquer sur ces problématiques est indéniablement une bonne idée. En plus, la mise en œuvre en serait aisée et relativement peu onéreuse.

Le remède envisagé dans cette proposition de résolution n’est évidemment pas une panacée. Il permet néanmoins d’ajuster le curseur de certaines situations sur le terrain et donc de mettre un terme à des symptômes. Mais nous ne devons pas cesser de nous efforcer de combattre le mal, qui est l’inflation normative incontrôlée, dont la source n’est pas dans les territoires.

Vous le comprendrez, le groupe Les Républicains votera la présente proposition de résolution.

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et LaREM.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Chasseing

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’adoption par le Sénat à la quasi-unanimité du projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, dont l’examen s’est achevé cette semaine, a été un signal fort quant aux souhaits d’évolution. La chambre des territoires est particulièrement attentive à la situation des collectivités locales, qui sont touchées par la multiplication des règles, l’inflation législative et la complexification des normes, comme l’ont montré les auditions que nous avons réalisées dans le cadre de la délégation présidée par Jean-Marie Bockel.

J’en veux pour preuves quelques exemples concrets qui remontent de nos territoires. Vous les connaissez tous.

Dans le secteur de l’urbanisme, la question de l’accessibilité peut, pour des questions financières, mettre en difficulté une petite commune. Elle a également des répercussions sur nos hôtels et restaurants de campagne pour lesquels il est complexe, au regard de la faible rentabilité, de se mettre en totale conformité avec l’ensemble de la réglementation.

Il en est de même de la question des logements sociaux prévus dans la loi pour un accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR, qui mériterait d’être ajustée en fonction de la commune, de ses besoins et de ses capacités réelles.

Par ailleurs, la rigidité de l’avis conforme de la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers, la CDPENAF, pénalise les petites communes dans l’obtention d’un permis de construire.

On trouve d’autres exemples nombreux dans le secteur sportif, comme les toilettes accessibles aux personnes handicapées pour l’arbitre, ou encore dans le secteur agricole. Sans la mise en place de normes très contraignantes, des subventions peuvent être refusées aux collectivités.

L’expérimentation prévue par le décret du mois de décembre 2017 fut un exercice riche d’enseignements. Ce pouvoir utilisé environ une soixantaine de fois a montré que l’adaptation aux territoires était une nécessité rendant plus efficace l’application de la loi.

Le lien entre l’échelon local et l’échelon national doit continuer à se construire et cela passera par un lien plus fort entre les services de l’État et les collectivités territoriales. L’écoute des élus locaux est primordiale, notamment celle du maire, qui connaît son territoire et les besoins de ses administrés. Sur ce point, la création d’une instance départementale permettant d’interpréter la norme ou d’identifier les difficultés dans la mise en œuvre de la norme à l’échelle locale nous paraît essentielle.

La création d’un guide de bonnes pratiques et d’un processus d’information est tout aussi importante. Elle permettra une fluidification dans les échanges.

La mise en place d’un mécanisme de suivi et d’évaluation est également nécessaire. La pratique nous démontre que nous devons constamment veiller à ce que la réglementation reste adaptée aux spécificités locales.

La République est une et indivisible, mais ses territoires ne sont pas les mêmes. Cela constitue sans doute notre richesse, mais rend parfois contreproductive une administration trop centralisée, chaque territoire présentant des spécificités et des handicaps propres.

Il nous faut identifier le problème avec précision. Il me semble qu’il est double : inflation normative et inadaptation aux territoires. Partant de là, le pouvoir de dérogation des préfets, à l’écoute des maires et des acteurs du territoire, va dans le bon sens.

Mon groupe est convaincu qu’une plus grande décentralisation pourrait régler nombre de difficultés évoquées précédemment.

De plus, nous devrons mener des discussions sur les matières auxquelles ces dérogations pourront s’appliquer, ainsi que sur les objectifs et les conditions de celles-ci. Ce travail préalable est nécessaire et nous permettra d’offrir un cadre précis et une définition claire de la consolidation du pouvoir de dérogation.

En conclusion, mes chers collègues, oui à l’adaptation des normes aux territoires, oui à la simplification et à la souplesse normative, oui à la décision d’adapter la loi en fonction des territoires et des collectivités.

Le préfet nous paraît le bon niveau. Le groupe Les Indépendants est favorable à la consolidation de ce pouvoir de dérogation aux normes qui lui est attribué.

Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, LaREM et Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Laurent Nunez

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis le début du mandat, le Gouvernement partage une conviction : il faut répondre aux questions des territoires en fonction des territoires.

Notre République est une et indivisible, et je suis naturellement profondément attaché à ce principe de notre Constitution. Toutefois, l’unité signifie que nous devons trouver les meilleures manières de faire appliquer nos lois, les meilleurs moyens de faire valoir les principes de la République.

Nous ne pouvons donc pas être aveugles face aux problématiques différentes des territoires et qui appellent, pour une même fin, des moyens parfois distincts.

C’est avec cette conviction qu’un décret du 29 décembre 2017 a permis l’expérimentation du droit de dérogation des préfets. Tous les orateurs ont rappelé ce texte qui permet une gestion au cas par cas plus efficace et pragmatique de certaines questions clés, comme l’aménagement du territoire, l’urbanisme, l’emploi et l’activité économique, ou encore la protection et la mise en valeur du patrimoine culturel.

Nous avons mis certaines contraintes et conditions à cette expérimentation. Ainsi, celle-ci doit être justifiée par un motif d’intérêt général et l’existence de circonstances locales – j’y reviendrai. Elle doit également avoir pour effet d’alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l’accès aux aides publiques. Elle doit encore se limiter à la dérogation à des normes de niveau réglementaire, à l’occasion de décisions individuelles. Elle doit aussi être compatible avec les engagements européens et internationaux de la France. Enfin, elle ne doit pas porter atteinte aux intérêts de la défense ou à la sécurité des personnes et des biens, pas plus qu’une atteinte disproportionnée aux objectifs fixés par les dispositions auxquelles il est dérogé.

Cette expérimentation concerne un nombre limité de départements – dix-neuf – et court sur une période de deux ans. Cependant, dès maintenant, nous pouvons commencer à en saisir l’utilité et les bénéfices. De ce point de vue, je tiens à saluer le travail mené par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat, qui s’est penchée sur ce sujet et a produit au mois de juin dernier un rapport d’information particulièrement intéressant sur la réduction du poids des normes pour les collectivités.

Je crois que, sur ce thème, nous avons tout intérêt à avancer ensemble et je constate par le biais de cette proposition de résolution des sénateurs Jean-Marie Bockel et Mathieu Darnaud que nous regardons dans la même direction.

La première vertu de cette proposition de résolution est qu’elle constate tout l’intérêt du pouvoir de dérogation aux normes des préfets. Sur ce point, le Gouvernement est en plein accord.

Ensuite, ce texte comporte des avancées que je veux saluer. Je pense à la systématisation des mécanismes de suivi et d’évaluation. C’est une mesure saine, utile et profitable à tous.

Je pense également à l’idée d’édicter un guide de bonnes pratiques, qui est particulièrement pertinent et pourrait servir à tous les préfets et aux collectivités.

D’autres exemples me viennent à l’esprit, comme un effort de communication sur la simplification des normes. C’est une volonté que le Gouvernement partage, et je peux d’ores et déjà indiquer que plusieurs pistes sont étudiées, comme la création de contenus dédiés sur les sites gouvernementaux, des communications plus régulières auprès des membres du corps préfectoral, ou encore la création de modules de formation en la matière.

J’ajoute que certains des points soulevés dans la proposition de résolution sont déjà en partie mis en place. Je citerai à cet égard deux exemples.

D’une part, l’idée de consulter les préfets expérimentateurs, afin d’avoir un retour sur expérience, est évidemment judicieuse. Nous avons déjà engagé ce travail. Le texte propose également d’aller plus loin, notamment en associant les élus à cette évaluation. C’est une suggestion intéressante, qu’il faudra creuser.

D’autre part, donner aux préfets la capacité de consulter les administrations centrales pour des questions particulièrement complexes est une bonne chose, mais elle existe déjà. Les préfets ont même la possibilité de saisir les tribunaux administratifs ou les cours administratives d’appel pour avis, au-delà de la consultation de leurs administrations centrales.

En revanche, je ne vous cache pas une plus forte réserve sur l’idée de créer une instance départementale en matière de simplification. Comme je le disais à l’instant, il existe aujourd’hui d’ores et déjà des moyens faciles pour que les préfets bénéficient d’éclaircissements sur des points de droit précis ; il pourrait donc être redondant, voire un peu contradictoire, de créer cent commissions départementales sur la simplification administrative.

Enfin, le texte de la proposition de résolution identifie des pistes pour élargir la possibilité de déroger aux normes. Vous le savez, le Gouvernement n’est pas étranger à cette philosophie, mais il ne peut se retrouver totalement dans les propositions qui sont formulées.

D’abord, il paraît important d’attendre le retour sur expérience et l’évaluation du dispositif avant d’en élargir le champ. Pour autant, il est clair que, dans son principe et pour les domaines où elle est pratiquée, cette expérimentation a permis de réelles avancées. Elle doit donc être non seulement reconduite, mais étendue à tout le territoire national.

À cet égard, je rappelle que le droit de dérogation s’applique à des décisions individuelles. Il ne s’agit pas d’une différenciation territoriale qui consisterait à appliquer les normes différemment d’un territoire à l’autre. D’une manière générale, ces décisions sont prises en tenant compte des circonstances locales, lesquelles doivent justifier l’arrêté de dérogation. D’ailleurs, et c’est un élément important, cet arrêté doit être motivé.

M. le sénateur Sueur a évoqué à juste titre les risques de contentieux, mais, comme je l’ai rappelé, cet arrêté est pris en application d’un décret. À notre connaissance, à ce jour, hormis le recours contre l’arrêté visé précédemment, qui a d’ailleurs été rejeté, sur les 134 arrêtés qui ont été pris – M. Collombat a avancé le nombre de 140 –, aucun n’a fait l’objet d’un recours.

En Vendée, où un arrêté a permis de déroger à certaines procédures, pour reprendre l’exemple cité par M. Sueur, le préfet avait conduit des concertations informelles préalables, notamment avec des associations environnementales. Cet arrêté n’a pas été attaqué : c’est bien la démonstration de toute la pertinence de ce dispositif, qui fait appel à l’audace de nos préfets.

Monsieur le sénateur Collombat, pour avoir été moi-même préfet, je pense que l’ensemble des préfets français partagent ce sentiment ; et ils sont tous très audacieux. D’ailleurs, je remercie François Calvet de leur avoir adressé un satisfecit, très apprécié par le ministère de l’intérieur. On peut compter sur les préfets, je sais que vous le savez, pour appliquer cette mesure avec beaucoup de tact et de justesse et pour apprécier les situations.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

M. Pierre-Yves Collombat. Le tact est là, c’est sûr !

Sourires.

Debut de section - Permalien
Laurent Nunez

C’est justement pour cette raison que je ne partage pas l’idée de supprimer la notion de « circonstances locales » des conditions nécessaires pour déroger à une règle de droit général. Il me semble que nous créerions un champ d’application peut-être trop large ; or l’important aujourd’hui est bel et bien de mener une politique adaptée à chaque territoire. La notion de différenciation, défendue par le Gouvernement, s’inscrit pleinement dans cette logique. Aussi, il me paraît essentiel d’en maintenir la mention.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, cette proposition de résolution va dans le bon sens et répond à un besoin bien réel. Nous souhaitons de l’adaptation envers les territoires. Nous souhaitons une approche pragmatique et efficace. C’est pourquoi le Gouvernement est favorable au présent texte.

Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, UC et Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Conway-Mouret

La discussion générale est close.

Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.

Le Sénat,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu le décret n° 2017-1845 du 29 décembre 2017 relatif à l’expérimentation territoriale d’un droit de dérogation reconnu au préfet,

Vu le rapport d’information de la délégation aux collectivités territoriales du 11 juin 2019 n° 560 (2018-2019) intitulé « Réduire le poids des normes en aval de leur production : interprétation facilitatrice et pouvoir de dérogation aux normes »,

Considérant la nécessité de simplifier l’édifice normatif applicable aux collectivités territoriales afin de desserrer les contraintes et alléger les coûts pesant sur elles,

Considérant que le Gouvernement a lancé une expérimentation territoriale d’un droit de dérogation reconnu au préfet par le décret n° 2017-1845 du 29 décembre 2017,

Considérant que les dispositifs de simplification ne doivent pas porter uniquement sur le flux et le stock de normes mais s’atteler à en réduire leurs effets négatifs,

Considérant que les liens entre les collectivités territoriales et les services déconcentrés de l’État doivent impérativement être renoués au niveau local pour mener une politique durable de simplification des normes,

Considérant que la formation des agents publics et le renforcement de la communication sur les dispositifs de simplification sont indispensables à la réussite de ces dispositifs,

Considérant que l’intérêt démontré par le pouvoir de dérogation aux normes confié aux préfets appelle sa pérennisation et son extension,

Invite le Gouvernement à :

– Systématiser pour l’avenir les mécanismes de suivi et d’évaluation, aux niveaux national et local, des dispositifs de simplification ;

– Évaluer le dispositif de dérogation aux normes dans le cadre d’un dialogue direct avec les préfets expérimentateurs, en y associant notamment des élus et des professionnels du droit, et identifier, à cette occasion, les normes qui posent problème et qui mériteraient d’être modifiées, voire abrogées ;

– Instituer une instance départementale auprès du préfet, composée de représentants des services de l’État et des collectivités territoriales et disposant d’un secrétariat stable, compétente pour donner un avis sur des cas complexes d’interprétation des normes, les dérogations sollicitées au titre du décret du 29 décembre 2017, pour identifier les difficultés locales en matière de mise en œuvre des normes, pour porter ses difficultés à la connaissance de l’administration centrale et pour faire des propositions de simplification des normes, des processus et des procédures ;

– Tirer de l’expérimentation un guide de bonnes pratiques qui serait diffusé aux préfectures et aux exécutifs locaux et mettre en place des modules de formations sur le dispositif de dérogation pour les personnels du réseau préfectoral et des services déconcentrés ;

– Communiquer davantage sur la simplification des normes, et en particulier sur le dispositif de dérogation en direction des agents publics, en mettant en place un processus d’information régulière des personnels de l’État sur les possibilités offertes par le dispositif de dérogation ainsi qu’en incluant des modules de formation sur la politique de lutte contre la prolifération des normes dans les écoles du service public et dans les catalogues de formation permanente des agents publics ;

– Communiquer davantage en direction des élus et des destinataires finaux, citoyens et porteurs de projet ainsi que du grand public en insérant sur les sites internet des préfectures et du ministère de l’Intérieur une rubrique aisément accessible sur la simplification des normes et, en particulier, sur le dispositif de dérogation ;

– Tenir compte de la dynamique facilitatrice des préfectures dans l’affectation de leurs moyens humains ;

– Supprimer la condition relative à l’existence de « circonstances locales » pour déroger et la liste limitative de domaines pour lesquelles la dérogation serait possible, sous la réserve du respect des engagements européens et internationaux de la France et des intérêts de la défense ou de la sécurité des personnes et des biens ;

– Envisager la possibilité pour le représentant de l’État de déroger à des décisions relevant de la compétence des autorités supérieures ;

– Étendre le droit de dérogation en l’ouvrant aux autorités décentralisées pour les actes individuels des collectivités territoriales relevant de leurs compétences ;

– Envisager de permettre aux collectivités territoriales de déroger, sur leur demande, aux normes législatives ou règlementaires relatives à leurs compétences, sous réserve d’un mécanisme politique empêchant la survenance d’abus et garantissant l’égalité des citoyens devant la loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Conway-Mouret

La conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explications de vote.

Je mets aux voix la proposition de résolution.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à onze heures quarante-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Philippe Dallier.