Commission spéciale sur la bioéthique

Réunion du 12 décembre 2019 à 10h20

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Nous poursuivons nos travaux sur le projet de loi relatif à la bioéthique avec l'audition de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, directrice générale de l'Agence de la biomédecine.

Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo en vue de sa retransmission sur le site du Sénat.

Pour éclairer le débat sur la révision de la loi de bioéthique, plusieurs documents de référence sont disponibles : le rapport issu des États généraux de la bioéthique conduits sous l'égide du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), le bilan de l'application de la loi de bioéthique par l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (Opecst) ou encore l'étude rédigée par le Conseil d'État. Le rapport sur l'application de la loi de bioéthique, publié en janvier 2018, a constitué le premier de ces documents publiés sur la réforme en cours. Il est très clair et très pédagogique sur les sujets parfois techniques dont l'Agence a la responsabilité. C'est pourquoi j'ai souhaité que notre commission vous entende aussi rapidement que votre nomination, effective depuis le 30 octobre dernier, le permettait.

Debut de section - Permalien
Emmanuelle Cortot-Boucher, directrice générale de l'Agence de la biomédecine

Je vous remercie de m'avoir conviée pour évoquer le projet de loi relatif à la bioéthique. J'exerce mes fonctions depuis un mois et demi.

L'Agence de la biomédecine a été créée par la loi du 6 août 2004, dans la continuité de l'Établissement français des greffes. Ses activités se déploient dans quatre grands domaines qui ont en commun de requérir l'utilisation à des fins médicales ou scientifiques d'éléments ou de produits issus du corps humain : l'Agence de la biomédecine est ainsi compétente en matière de prélèvement et de greffe d'organes et de tissus, de prélèvement et de greffe de cellules souches hématopoïétiques - c'est-à-dire de moelle osseuse -, de procréation, d'embryologie et de génétique humaine. Ces domaines sont tous très largement régis par des dispositions issues des lois de bioéthique, et il est donc tout à fait naturel que l'Agence soit amenée à contribuer au débat en partageant l'expertise médicale, scientifique, juridique et éthique dont elle peut se prévaloir. Elle y contribue en restant fidèle au positionnement institutionnel qui est le sien : l'Agence est un établissement public administratif placé sous la tutelle du ministère de la santé ; ce statut exclut qu'elle puisse prendre position dans les débats de société, qui relèvent exclusivement de la représentation nationale ; en tant qu'organe administratif chargé d'une fonction d'expertise, l'Agence n'a pas vocation à y participer, et il est normal que, sur un certain nombre de sujets, elle choisisse délibérément de conserver une certaine neutralité.

L'Agence de la biomédecine a pris une part active au travail de préparation du projet de loi qui vous est soumis. Elle a répondu aux sollicitations des parlementaires. Elle a produit trois documents, qui ont alimenté les travaux de réflexion : un état des lieux de l'encadrement juridique international, un rapport d'information au Parlement et au Gouvernement sur l'état des connaissances et des sciences - actualisé en décembre 2017 - et un bilan de l'application des précédentes lois de bioéthique. L'Agence de la biomédecine a par ailleurs suivi de très près les débats à l'Assemblée nationale en première lecture.

Le projet de loi prévoit l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation (AMP) aux couples de femmes et aux femmes non mariées. Ce choix relève typiquement d'un débat de société dans lequel l'Agence de la biomédecine n'a pas d'observation particulière à faire valoir. Si l'évolution envisagée a lieu, l'Agence sera en mesure de soutenir sa mise en place dans les centres d'AMP et les centres de conservation des oeufs et du sperme en adaptant ses règles de bonnes pratiques. C'est le sens de l'ajout auquel les députés ont procédé au 4°bis de l'article L. 2141-1 du code de la santé publique.

Le projet de loi envisage d'instituer un droit d'accès à l'origine pour l'ensemble des enfants issus d'une AMP avec recours à un tiers donneur. Le système proposé prévoit, d'une part, la création d'une commission ad hoc placée auprès du ministre chargé de la santé qui aura pour mission de recevoir les demandes des enfants issus du don, ainsi que le cas échéant, celles des donneurs qui souhaiteraient savoir combien d'enfants ont été conçus à partir de leurs gamètes ; d'autre part, la mise en place d'un registre tenu par l'Agence de la biomédecine qui permettra, sur saisine de la commission ad hoc, d'avoir accès aux données nécessaires pour répondre à ces deux types de demandes. Pour rendre possible l'exercice de ce droit d'accès aux origines pour tous les enfants conçus avec recours à un tiers donneur, le projet de loi modifie le régime juridique du don de gamètes en prévoyant qu'il ne pourra plus être effectué que si le donneur accepte que son identité soit révélée aux enfants issus du don, s'ils en font la demande à leur majorité.

Le projet de loi prévoit donc un phasage en trois temps pour l'entrée en vigueur de ce nouveau régime : pendant une première période d'un an à compter de la promulgation de la loi, l'AMP sera élargie aux couples de femmes et aux femmes non mariées, mais continuera à se faire à partir de gamètes qui auront été recueillis sans que le donneur ait accepté le principe d'un droit d'accès à l'origine pour les enfants issus du don ; au cours d'une deuxième période, les dons ne pourront plus être effectués que si le donneur consent à ce que les enfants issus de ce don puissent, sur leur demande, avoir accès à son identité ; enfin, au cours de la troisième période, l'AMP ne pourra plus être réalisée qu'à partir de gamètes recueillis auprès de donneurs ayant consenti à la levée de l'anonymat avec la tenue d'un registre relatif aux donneurs de gamètes. C'est une nouvelle mission que le projet de loi envisage de confier à l'Agence de la biomédecine : l'outil élaboré devra être opérationnel à l'expiration d'un délai d'un an à compter de la promulgation de la loi et devra répondre à des exigences très fortes en termes de fiabilité, de résistance à l'obsolescence et de sécurité. Nos équipes ont d'ores et déjà commencé à réfléchir aux modalités pratiques de fonctionnement de ce registre en capitalisant notamment sur l'expérience acquise avec l'utilisation des autres traitements de données tenus par l'Agence de la biomédecine notamment dans le domaine de la greffe d'organes et de cellules.

L'Agence de la biomédecine se prépare aussi, dès à présent, à assurer la promotion du don de gamètes dans le contexte où il y aurait lieu de reconstituer un stock de gamètes recueillis sous l'empire du nouveau régime juridique. Si les dispositions envisagées sont adoptées, il s'agira sans aucun doute d'un changement de paradigme pour l'Agence, justifiant de repenser les méthodes de communication et les publics visés.

Dans le domaine du prélèvement et de la greffe d'organes, le projet de loi apporte des modifications importantes pour développer le don croisé, qui reste de faible importance en France. Il prévoit de faire disparaître la règle actuelle, qui limite à deux le nombre de paires donneur-receveur susceptibles d'être mises en relation, et de renvoyer au décret le soin de fixer un nombre plus élevé. Les chaînes ainsi constituées pourront en outre faire intervenir des donneurs décédés et les équipes de prélèvement et de greffe ne seront plus soumises à l'obligation de réaliser l'ensemble des opérations de manière simultanée, mais dans un délai de 24 heures. Par ailleurs, le projet de loi introduit des dispositions visant à faciliter le fonctionnement des comités d'experts chargés d'autoriser le prélèvement. Ces mesures sont cohérentes avec l'objectif du troisième plan Greffe adopté en 2017.

Dans le domaine du prélèvement et de la greffe de cellules souches hématopoïétiques, le projet de loi vise à tenir compte du développement de la greffe semi-compatible qui intervient dans un contexte familial et donne de bons résultats. L'Agence de la biomédecine doit suivre les donneurs de cellules, y compris lorsqu'ils sont apparentés. Tel est l'objet des dispositions introduites par le projet de loi à l'article L. 1418-1 du code de la santé publique. Le projet de loi ouvre aussi la possibilité pour un mineur de procéder à un don de moelle osseuse au profit de son père ou de sa mère. Compte tenu des risques inhérents à un tel don, un encadrement fort est prévu avec l'intervention d'un administrateur ad hoc qui représentera les intérêts propres du mineur, la saisine du président du tribunal de grande instance aux fins de recueillir le consentement de l'intéressé et l'obligation de vérifier avant de recourir à cette faculté, qu'elle est la seule option thérapeutique envisageable pour le père ou la mère de l'enfant.

Pour la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines (CSEh), le projet de loi prévoit de passer d'un régime d'autorisation à un régime de déclaration. Cette évolution, qui avait été suggérée par l'Agence de la biomédecine dans le rapport relatif à l'application de la précédente loi de bioéthique, tire les conséquences du fait que le travail sur ces cellules n'implique pas nécessairement la destruction d'un embryon et ne présente donc pas les mêmes risques sur le plan éthique que la recherche sur l'embryon lui-même. Le projet de loi propose toutefois une garantie : l'Agence de la biomédecine dispose d'un pouvoir d'opposition dont elle ne peut faire usage que sur le fondement d'un avis, rendu public, de son conseil d'orientation. Ces mesures visent à soutenir la recherche française sur les CSEh dont les très bons résultats doivent être consolidés : les équipes installées en France ont démontré leur capacité à mener des travaux de haut niveau et à publier dans des revues scientifiques à fort impact ; elles ont aussi fait la preuve de leur capacité à conduire des essais cliniques à partir de ces travaux. Les bénéfices concrets, pour les patients, des recherches qui sont conduites sur les CSEh paraissent désormais à portée de main.

En ce qui concerne la recherche sur l'embryon lui-même, le projet de loi maintient le principe d'une autorisation soumise à des conditions précises, notamment au respect de plusieurs principes éthiques. Il apporte en outre une précision nouvelle portant sur la durée de développement de l'embryon, fixée à quatorze jours, conformément au consensus international en la matière. Enfin, il clarifie la portée de l'interdiction, déjà présente dans la loi, de constituer un embryon chimérique : conformément à l'interprétation donnée par le Conseil d'État, le projet de loi précise que cette interdiction ne fait pas obstacle à l'introduction de CSEh dans un embryon animal, même si, d'un strict point de vue scientifique, une telle opération aboutit bien à la création d'une chimère.

Dans le domaine de la génétique, le projet de loi s'efforce de définir un cadre juridique conciliant deux exigences : tenir compte de l'évolution des techniques et protéger les personnes contre les risques que les tests génétiques peuvent leur faire courir si leurs résultats sont mal interprétés. En effet, les résultats des tests génétiques ont un caractère éminemment personnel, mais aussi une forte valeur prédictive - parfois à tort - et ils peuvent orienter les comportements individuels. Le projet de loi choisit de maintenir le principe de leur interdiction sauf à des fins scientifiques, médicales ou judiciaires et d'imposer le recours à un professionnel pour en interpréter les résultats. Pour rendre néanmoins tangibles les bénéfices issus des progrès de la génétique, le projet de loi précise les modalités d'information du patient et de sa parentèle en cas de découverte incidente faite à l'occasion d'un examen de génétique somatique. Il autorise aussi la réalisation d'examens génétiques sur une personne décédée ou une personne qui n'est pas en capacité de donner son consentement lorsqu'elle ne s'y est pas formellement opposée auparavant et organise les modalités d'information de la parentèle.

Dans ce projet de loi, l'Agence retrouve de nombreuses préoccupations exprimées par les professionnels avec lesquels elle est en contact régulier. L'Agence sera prête à mettre son expertise pour la mise en oeuvre des dispositions qui seront votées dans le cadre de la future loi de bioéthique.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Henno

Hier, nous avons entendu l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) sur la question du microbiote fécal et des innovations thérapeutiques qui lui sont liées. Notre éthique à la française est fondée sur le don anonyme et gratuit de sang, mais que penseriez-vous d'une éventuelle compensation, voire rémunération, du don ?

Que pensez-vous de l'idée d'étendre les compétences de l'Agence au champ de l'intelligence artificielle (IA) appliquée à la médecine ?

Debut de section - Permalien
Emmanuelle Cortot-Boucher, directrice générale de l'Agence de la biomédecine

La question de la rémunération du don peut se poser pour les organes, les cellules et les gamètes. Le principe de la gratuité du don est posé dans le code civil, et c'est sur ce principe qu'est bâti tout notre système de don, mais aussi la confiance du public dans ce système. Ce principe garantit que le donneur est libre et volontaire. Nous sommes tous très attachés à ce principe. Il est aussi garant de l'efficacité de nos collectes, car, dans les pays où le don est rémunéré, on a pu observer que certains donneurs ne donnaient plus. L'Agence défend donc ce principe de gratuité avec fermeté et signale toutes les initiatives qui s'en écarteraient.

Ce principe de gratuité va de pair avec le principe de neutralité financière du don pour le donneur, auquel nous sommes également très attachés : celui qui donne ne doit supporter aucun coût à raison de son don. L'Agence a élaboré un guide sur le sujet de la compensation financière, diffusé auprès de l'ensemble des centres hospitaliers.

L'IA est très prometteuse et ouvre des potentialités dans tous les domaines de la médecine - imagerie médicale, diagnostic, etc. Mais un tel champ de compétences irait bien au-delà de nos compétences traditionnelles définies par les activités de soin qui sont réalisées à partir d'éléments ou de produits issus du corps humain. L'Agence n'a pas d'expertise particulière à faire valoir sur un domaine aussi large que celui de l'IA appliquée à la médecine, et elle n'est pas armée en termes de moyens pour répondre à l'ensemble des questions qui seraient posées. Par exemple, l'Agence travaille avec l'École nationale supérieure et l'École d'économie de Paris pour modéliser les chaînes croisées de dons.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Jomier

Je tiens à vous remercier ainsi que vos équipes pour leur disponibilité. Ce projet de loi ouvre le don à de nouvelles catégories de population : les mineurs pour le don de cellules souches hématopoïétiques et les majeurs protégés pour le don d'organe. Faut-il poursuivre sur d'autres domaines comme le don du sang ? Les donneurs ne me semblent pas suffisamment valorisés dans notre société : qu'en pensez-vous ?

La loi ne peut pas tout prévoir et l'Agence est parfois saisie de demandes de dérogations, ce qui aboutit souvent à faire évoluer la loi. Comment traitez-vous ces demandes ? Sont-elles transmises pour information au Parlement ?

Debut de section - Permalien
Emmanuelle Cortot-Boucher, directrice générale de l'Agence de la biomédecine

Le projet de loi ouvre le don aux mineurs et aux majeurs protégés. La question d'une extension au don de sang relèverait de l'Établissement français du sang ou du ministère de la santé et je ne m'aventurerais donc pas sur ce sujet.

La valorisation des donneurs est essentielle : il est fondamental que les donneurs aient des marques de reconnaissance et que l'on apprécie à sa juste valeur la générosité de leur geste. Nos actions de communication sont axées sur cette thématique ; nous avons développé le ruban vert comme signe de reconnaissance de tous ceux qui soutiennent le don d'organe ; nous participons à l'ouverture de lieux de mémoire consacrés aux donneurs dans les hôpitaux. Mais notre préoccupation est aussi de garantir que le donneur ne sera pas mû par une autre perspective que celle de sa pure générosité, car c'est la garantie de sa liberté, sans aucune pression, pas même sociale.

S'agissant des demandes de dérogation, nous appliquons la loi, dans le cadre de la jurisprudence du Conseil d'État. Cette jurisprudence nous impose parfois de tenir compte de circonstances particulières. Par exemple, en matière d'exportation de gamètes, alors même que la loi prévoit que leur exportation est interdite, une décision du Conseil d'État nous a enjoints d'autoriser cette exportation dans un cas très particulier, sous peine de porter une atteinte excessive au droit au respect de la vie familiale et privée de la personne concernée, garantie par la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales. L'Agence applique donc la loi, mais tient aussi compte, ponctuellement, de circonstances particulières qui peuvent aboutir, dans certains cas, à écarter la loi. Cela se fait bien entendu dans le cadre de la jurisprudence du Conseil d'État et avec beaucoup de précautions.

Debut de section - PermalienPhoto de Corinne Imbert

Les règles de bonnes pratiques de l'Agence sont élaborées collégialement. Mais elles posent problème en matière de procréation médicalement assistée (PMA). Si un couple a déjà fait une tentative et souhaite procéder à une nouvelle tentative de stimulation chez la femme, les embryons doivent être obligatoirement détruits. Pourquoi détruire ces embryons sains ? Comment expliquez-vous cette règle ?

De nombreux professionnels sont favorables au diagnostic préimplantatoire aux aneuploïdies (DPI-A) qui ne figure pas dans le texte qui nous est soumis. Quelle est la position de l'Agence sur cette question ? Dans quel cadre pourrait-il être autorisé ? Devrait-il être réservé aux femmes qui ont fait plusieurs fausses couches ou aux femmes plus âgées qui produisent néanmoins beaucoup d'embryons ?

L'ouverture du dépistage prénatal permettrait la recherche d'un gène particulier responsable d'une maladie pour laquelle nous avons une thérapie. Qu'en pensez-vous ?

Debut de section - Permalien
Emmanuelle Cortot-Boucher, directrice générale de l'Agence de la biomédecine

Les règles de bonnes pratiques interdisent le cumul embryonnaire : on doit en effet utiliser les embryons déjà conçus avant de réaliser une nouvelle stimulation ovarienne afin d'éviter les embryons surnuméraires. Une dérogation, très encadrée, existe dans le cas où l'embryon déjà conçu aurait un défaut. Ce sont les dispositions législatives qui interdisent le cumul embryonnaire. Les règles de bonnes pratiques, validées par un arrêté, ne peuvent pas modifier la législation ; elles ne sont que réglementaires.

Le projet de loi ne propose pas d'extension du champ du DPI : aujourd'hui, celui-ci ne peut être effectué que lorsque le couple a de fortes chances de donner naissance à un enfant porteur d'une maladie incurable, ce qui suppose que cette maladie ait déjà été identifiée dans la famille. Cette question de l'extension du DPI pour détecter un nombre anormal de chromosomes avec un DPI-A ou des maladies génétiques autres que celles connues dans la famille a été discutée à l'Assemblée nationale en première lecture. Il s'agit d'une question de société sur laquelle l'Agence ne peut qu'apporter des éléments d'expertise médicale et scientifique. Or, nous ne disposons pas encore d'éléments suffisamment solides pour établir un lien entre aneuploïdie et risque de fausse couche. Un programme hospitalier de recherche clinique va être lancé sur le sujet. Il n'est donc pas possible d'affirmer que l'extension du DPI augmentera l'efficacité de l'AMP. Des mécanismes de correction naturelle peuvent jouer dans certains cas : des études américaines montrent qu'il existe de faux positifs qui se corrigent spontanément. Avec un DPI-A, nous risquons donc d'éliminer des embryons qui auraient été sains et d'aboutir à une perte de chance de procréer pour certaines femmes qui auraient peu d'embryons. Nous avons besoin d'éléments scientifiques plus étayés.

La situation d'un couple qui fait un DPI avant le transfert d'un embryon n'est pas la même que pour un couple qui fait un dépistage prénatal, car, dans ce deuxième cas, la grossesse a déjà commencé.

Enfin, il faut avoir en tête que l'extension du DPI aux aneuploïdies et à des maladies génétiques peut conduire à faire de l'AMP une voie plus sûre pour concevoir un enfant que la procréation naturelle. Dans la mesure où le projet de loi envisage de faire disparaître le critère de l'infertilité comme condition du recours à l'AMP, le risque existe, et doit être pris en compte, de voir des couples s'engager dans une démarche d'AMP au motif qu'elle garantirait de meilleures chances d'avoir un enfant sain.

Sur ces sujets, l'Agence de la biomédecine n'a pas de position particulière à faire valoir. Ce sont des questions de choix. Mais il faut prendre en compte ces risques divers et les peser - c'est le rôle du Parlement - pour prendre une décision et faire un choix collectif éclairé.

Debut de section - PermalienPhoto de Muriel Jourda

Madame, vous avez cité la gratuité et le volontariat comme étant des principes forts de la bioéthique en France. Qu'en est-il de l'anonymat ?

Vous avez évoqué la possibilité que nous nous trouvions avec un stock assez bas de gamètes. Pourrions-nous envisager d'importer des gamètes de l'étranger ?

Enfin, l'âge limite pour pouvoir recourir à un AMP doit-il être fixé par la loi ou faire l'objet de rédactions de bonnes pratiques ?

Debut de section - Permalien
Emmanuelle Cortot-Boucher, directrice générale de l'Agence de la biomédecine

L'anonymat du donneur est un principe fort du système de dons de produits et d'éléments du corps humain en France. Votre question est liée à la création du droit d'accès aux origines pour les enfants issus du don.

Le principe d'anonymat demeure très important et l'Agence y est très attachée. Ce principe est respecté dans le cadre de la nouvelle loi, puisque les gamètes qui seront donnés aux couples ou aux femmes seules qui les attendent seront donnés par un donneur qui est anonyme pour le receveur, c'est-à-dire pour le couple ou la femme.

Le projet de loi crée en revanche un droit d'accès à l'origine pour l'enfant. Mais l'enfant n'est pas le receveur. L'enfant est un tiers. Cette levée de l'identité ne porte donc pas atteinte au principe de l'anonymat du don. L'anonymat du don a pour conséquence qu'un couple ne pourra pas choisir son donneur ni connaître son identité.

S'agissant des stocks de gamètes, le projet de loi conduit à instituer un nouveau régime de dons, impliquant l'obligation pour le donneur de consentir, si l'enfant issu du don le demande, à la révélation de son identité et à la transmission de données non identifiantes. Ce changement de régime juridique nous obligera à reconstituer un stock de gamètes.

Nous ne sommes pas les premiers à passer par ce type de changement. D'autres pays ont connu un changement de cette nature. Il a été observé qu'en ce cas le stock de gamètes prend un certain temps à se reconstituer, mais se reconstitue à un niveau qui n'est pas inférieur à celui qui était observé avant l'introduction d'un droit d'accès à l'origine. Ainsi, de nouvelles catégories de donneurs, plus jeunes, se sont mobilisées au Royaume-Uni. En définitive, le niveau de dons n'a pas diminué, ou a retrouvé à tout le moins au bout de plusieurs années un niveau comparable à celui qui avait été observé antérieurement.

L'importation de gamètes est autorisée en France, mais dans des conditions extrêmement strictes. Elle est en effet soumise à l'autorisation de l'Agence de la biomédecine et doit être effectuée dans des conditions expressément prévues par le code de la santé publique, notamment pour la poursuite d'un projet parental précis. Le Gouvernement et le projet de loi n'envisagent pas de modifier ce cadre. L'importation de gamètes demeure donc encadrée et soumise à des conditions relativement limitées.

Pour ce qui concerne l'âge limite des donneurs, la loi ne prévoit pas, en l'état, de limites particulières. La question de l'âge doit être vue en liaison avec les professionnels, la limite devant être précisée soit dans le cadre des règles de bonnes pratiques soit dans un texte réglementaire. Un travail devra sans doute être conduit avec les professionnels sur ce sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Chantal Deseyne

Ma question porte sur le transport des greffons, en particulier des greffons rénaux. Les deux facteurs les plus importants pour la réussite d'une greffe sont la compatibilité entre le donneur et le receveur et la rapidité d'exécution de la transportation. Or l'Agence de la biomédecine ne coordonne ni n'assure le transport des greffons, qui reste à la charge des établissements attributaires.

Comment pouvons-nous améliorer le transport des greffons en vue d'améliorer l'efficience médicale, et même économique, une personne greffée « coûtant » moins cher que quelqu'un qui doit être en dialyse ?

Debut de section - PermalienPhoto de Maryvonne Blondin

Avez-vous donné un avis sur le liquide de la société Hemarina, HEMO2life, qui permet le transport de greffons dans de meilleures qualités d'oxygénation ?

Par ailleurs, je voudrais vous interroger sur un autre produit issu du corps humain : les bactériophages, qui servent à lutter contre l'antibiorésistance et qui sont utilisés en cas d'urgence vitale pour lutter contre les infections bactériennes telles que le staphylocoque doré.

Debut de section - Permalien
Emmanuelle Cortot-Boucher, directrice générale de l'Agence de la biomédecine

Le transport des greffons est organisé sous le contrôle des équipes de prélèvement par des transporteurs, notamment privés. L'Agence de la biomédecine n'a pas de compétences dans la supervision de ces transports et n'est pas armée matériellement pour s'en doter. Cela suppose en effet d'être au plus près du terrain afin d'organiser des conditions matérielles de transport très efficaces et d'être en contact avec les partenaires situés à proximité des centres de prélèvement afin d'organiser l'acheminement des greffons jusqu'à leur point d'arrivée.

Pour des considérations d'efficacité, il est important que cette activité soit organisée par des personnes situées au plus près des équipes de soin et de prélèvement.

L'Agence de la biomédecine s'assure que les greffons sont bien arrivés à destination, particulièrement en ce moment dans le contexte de la grève, en faisant remonter toute difficulté. Mais quant à assurer l'organisation pratique de ces transports, c'est une mission extrêmement précise, qui implique une connaissance des acteurs locaux et supposerait des moyens humains et matériels dont l'Agence ne dispose pas actuellement.

Le système actuel impliquant une organisation pratique par les centres hospitaliers et les équipes de prélèvement en liaison avec des acteurs et des entreprises locaux donne satisfaction. Nous n'avons pas connaissance de pertes de chances pour les malades qui seraient liées à des difficultés d'acheminement. L'Agence assure pour sa part un rôle de supervision distanciée, en ce sens qu'elle fait remonter toute difficulté particulière et prend les mesures qui s'imposent si un problème d'acheminement est constaté.

Concernant la molécule découverte récemment en Bretagne à partir de travaux sur le ver marin, cette molécule a fait l'objet d'une demande d'autorisation déposée à l'ANSM. Il ne s'agit pas en effet d'un produit du corps humain. Cet élément doit donc être autorisé par l'ANSM en tant que dispositif ou produit médical. L'Agence a donné un avis favorable à l'ANSM sur ce produit.

S'agissant des bactériophages, cette question n'intéresse pas directement l'Agence de la biomédecine, car il ne s'agit pas d'un élément issu du corps humain. Comme la molécule extraite du ver marin, ce produit doit faire l'objet d'une autorisation, le cas échéant, par l'ANSM. Nous ne sommes donc pas directement concernés par ce sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Elisabeth Doineau

Vous avez dit que vous aviez grandement participé à l'élaboration du projet de loi, notamment par le bilan que vous avez pu faire de l'ancienne loi de bioéthique. Entre la loi initiale et celle qui est sortie de l'Assemblée nationale, certains éléments vous apparaissent-ils comme essentiels et devant être défendus au Sénat ?

Debut de section - Permalien
Emmanuelle Cortot-Boucher, directrice générale de l'Agence de la biomédecine

Nous retrouvons dans le projet de loi les principaux éléments avancés par les professionnels qui interviennent dans les champs de compétences qui sont les nôtres. L'Agence de la biomédecine y retrouve des éléments de réponse aux principales questions qui avaient été soulevées.

Nous n'avons donc pas de demande particulière à faire valoir devant le Sénat.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Merci beaucoup.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site internet du Sénat.

La réunion est close à 11 h 20.